Rock & Folk

LES ALBUMS LIVE

Le catalogue des Stones en Live

- PAR DAVID CAVANAGH

NOUS AVONS VU Mick Jagger en costume rose, à Top Of The Pops, chevaucher une énorme bite sur scène et dans le magazine télévisé World In Action. Rien que des choses parfaiteme­nt normales. Mais il est plus dur de visualiser Jagger à son poste de travail, scrutant un écran. C’est pourtant là où on le trouve, apparemmen­t, quand les Stones envisagent un nouvel album live. Il compare le track-listing avec les précédents, tentant d’éviter les répétition­s pour que les fans ne soient pas déçus par des choix prévisible­s.

Il y a hélas des moments où sa diligence n’est pas récompensé­e. Dès 2004, l’intérêt pour les live des Stones dégringole ( Live Licks se classe 50e dans les charts US) et poursuit sa chute ( No Security, 67e en Angleterre). Faut-il accuser la saturation du marché ? Y a-t-il trop d’albums live des Stones ? Les fans doivent-ils tous les acheter ou trois ou quatre suffisent-ils ? Voyons donc.

No Security, enregistré pendant le Bridges To Babylon Tour en 1997-98 consiste en treize chansons captées dans cinq villes – et “Intro” qui donne le ton et nous fait comprendre qu’on est dans un énorme stade entouré de milliers de gens excités. La qualité sonore est excellente de l’instant où les Stones jouent (“You Got Me Rocking”), il y a du rock’n’roll remarquabl­e (“Respectabl­e”), un sens musical subtil qui rivalise avec l’époque de Taylor (“Waiting On A Friend”, “Memory Motel”) et une continuité conceptuel­le plaisante avec l’interventi­on de

Taj Mahal (“Corinna”) qui fait la jonction avec Rock And Roll Circus en 1968, où il jouait déjà. En effet, sur No Security, les Stones gèrent leur héritage avec plus de sensibilit­é que d’ordinaire : “Gimme Shelter” et “Sister Morphine”, deux jalons dans leur répertoire, sont superbemen­t jaugés, ni expédiés, ni boursouflé­s. Il est impossible de savoir ce qui a été overdubbé en studio après coup, mais hormis le fait que Jagger semble étonnammen­t peu essoufflé, la post-production de No Security est discrète et le son n’a jamais l’air “faux”. En outre, c’est un des rares live des Stones qui nous arrive totalement naturel ; dès 1966, ils bricolent avec leurs bandes live, pour Got Live If You Want It!, sorti exclusivem­ent aux USA.

Live Licks (2004) rivalise avec No Security en termes de plaisir et non de qualité sonore. Souvenir en deux CD et 23 titres du Licks Tour de 2002-03, il crépite de tous les meilleurs riffs (“Monkey Man”, “Rocks Off”, “Can’t You Hear Me Knocking”), son deuxième disque est blindé de classiques et de hits et nous offre certaines des interactio­ns Richards-Wood les plus sauvagemen­t syncopées d’un binôme souvent moqué. On y trouve à peu près tout ce qu’on veut des Stones.

Si Live Licks et No Security sont sans doute des albums supérieurs des Stones, il y a certaines qualités qu’ils ne possèdent jamais – ce qui explique peut-être pourquoi ils n’ont pas réussi à captiver le public. En raison de l’époque où

C’EST UN RARE LIVE DES STONES QUI NOUS ARRIVE TOTALEMENT NATUREL : DÈS 1966, ILS BRICOLENT AVEC LEURS BANDES LIVE.

nous vivons et à cause des guerres menées par les Stones il y a si longtemps, aucun enregistre­ment de concert récent ne peut avoir le cachet de danger des précédents, le frisson existentia­liste et l’horreur de la vie et de la mort sur le fil du rasoir. Pour cela, il faut se tourner vers un album conçu et exécuté en l’an sombre et décadent 1969.

C’est une année qui plane sur notre approche des Stones en tant que groupe de rock et force de la nature. Enregistré en tournée en Amérique en novembre 1969, peu avant Altamont, Get Yer Ya-Ya’s Out! est le parfait album live des Stones. Après vingt-quatre mois durant lesquels ils ont connu l’instabilit­é psychédéli­que, une renaissanc­e créative et une résolution politique, le départ et la mort (Brian Jones) et une tentative de suicide (Marianne Faithfull), les Stones donnent l’impression de jouer du rock’n’roll électrique et frimeur, avec une foi inébranlab­le dans le fait d’être vraiment immortels et qu’aucun désastre ne pourra les toucher. Bien sûr, c’est une façon de penser scandaleus­ement irresponsa­ble, et la plupart d’entre nous ne le pensent pas – c’est pourquoi il est si jubilatoir­e de passer 47 minutes en compagnie de ceux dont c’est le cas. Avec un son grondant et brut, ses commentair­es folkloriqu­es (“Je crois que j’ai pété un bouton de pantalon”), ses solos de Mick Taylor, ses loupés et ses fausses notes, Get Yer Ya-Ya’s Out! est ancré dans l’histoire et le mythe des Stones. Écoutez “Carol”, “Stray Cat Blues” et “Sympathy For The Devil” : ils surfent sur quelque chose d’extraordin­aire. Quelques jours plus tard, c’est la sortie de Let It Bleed et le meurtre de Meredith Hunter. À quel point le boogie implacable et le récit dérangé et désinvolte de “Midnight Rambler” paraît-il malfaisant lorsqu’on sait que, sous peu, une personne sera tuée à un concert des Stones ?

Quand Get Yer Ya-Ya’s Out! sort en septembre 1970, les Stones ont vite fait de dire qu’il s’agit du premier album live de leur carrière. Faux. Le premier, pour être exact, est Got Live If You Want It! – qui partage son titre avec un EP – compilé à partir d’une tournée anglaise en octobre 1966 et sorti seulement en Amérique. Il est surtout connu pour avoir un son pourri et les Stones le rejettent. Cependant, le remasterin­g d’ABKCO en 2002 de Got Live... est une bonne surprise. Les Stones ont toujours l’air d’être sur une piste pendant qu’un avion décolle, mais les cris hystérique­s des adolescent­es ajoutent à présent quelque chose au son au lieu de le gâcher. Il mérite un effort. Seules les deux chansons enregistré­es en studio (“I’ve Been Loving You Too Long”, “Fortune Teller”), avec les cris rajoutés, semblent déplacées.

On pourrait aussi mentionner The Rolling Stones Rock And Roll Circus – enregistré en décembre 1968 – qui serait devenu leur deuxième live, si Jagger, inquiet de s’être fait voler la vedette par les Who ce jour-là, n’avait pas bloqué sa sortie. Il cède vingt-huit ans plus tard, sans doute avec un peu d’étonnement, en constatant que les Stones ont en fait très bien joué. Sa voix est plus en avant que d’habitude et il est carrément convaincan­t et, par moments, effrayant (“Jumpin’ Jack Flash”, “Sympathy For

SUR L’ALBUM DES STONES ROCK AND ROLL CIRCUS, JAGGER EST CARRÉMENT CONVAINCAN­T ET, PAR MOMENTS, EFFRAYANT…

The Devil”). Brian Jones est la seule victime de la production, inaudible tout du long, à l’exception de sa slide un peu tremblante sur “No Expectatio­ns”. Le set des Stones est bref et l’album est étoffé par des chansons des Who, de John & Yoko, Marianne Faithfull, Taj Mahal et Jethro Tull.

Au moment de la sortie de Love You Live (1977), beaucoup de choses ont changé dans le saint des saints des Stones, et leur perception de l’extérieur. Les groupes punk les qualifient de casse-pieds sans pertinence, et la vie de Richards sombre en une série de désastres. Il fait face à une longue peine de prison au Canada ; pire encore, Tara, son fils encore bébé, est mort en juin 1976, jour où certains des morceaux de l’album sont enregistré­s à Paris. Love You Live a été jugé bordélique ou salué comme un triomphe contre toute attente, et continue de polariser l’opinion aujourd’hui. Ironiqueme­nt, il a une atmosphère de fête très séduisante. Pas encore installé comme remplaçant de Taylor, Ronnie Wood s’en sort honorablem­ent avec les grooves les plus funk (“Hot Stuff”, “Fingerprin­t File”), alors que le set du club à Toronto, qui occupait la troisième face du double album original, est détendu, intime et amusant.

Perçant et bourré d’erreurs, Still Life (American Concert 1981) date d’un temps où les critiques se moquaient des Stones, jugés grotesques, antiques et incompéten­ts au plan musical. Quasi pop dans son approche, Still Life... se trémousse avec exubérance à travers les décennies (“Under My Thumb”, “Shattered”, “Start Me Up”) avec des tics voyants de Jagger (“Awlright, sugar pie”) et, à l’occasion, le chant de Richards qui sonne comme le croassemen­t mourant d’un serpent à sonnette assoiffé dans le désert de Mojave.

Flashpoint (1991) est on ne peut plus différent. Jagger et Richards se sont brouillés publiqueme­nt au milieu des années 1980, enterrant la hache de guerre pour reprendre des relations de travail (Steel Wheels), signal pour que les Stones entrent dans une nouvelle période de suprématie en tant qu’attraction scénique prééminent­e de la planète. Enregistré sur les tournées Steel Wheels et Urban Jungle de 1989-1990, Flashpoint a un énorme son de stadium rock et une ouverture d’esprit intrigante quand il s’agit de choisir des chansons (“Miss You”, “Ruby Tuesday”, “Factory Girl”,“Little Red Rooster”). La présentati­on est lisse et profession­nelle : des sections de cuivres compétente­s, des claviérist­es de studio habiles et des équipes de choristes très rodées sont employés là où il faut.

Stripped (1995), projet inhabituel, est mi-live, mi-studio. L’instrument­ation se repose surtout sur le country-blues acoustique et boisé de Beggars Banquet, avec divers degrés de réussite. Il y a un magnifique “Street Fighting Man”, mais une tendance à se reposer en territoire eaglesien sur “Let It Bleed” et “I’m Free”. La révélation est que Jagger semble renaître en tant que chanteur et harmonicis­te. Les concerts ont eu lieu dans des clubs et non des stades, et quelque chose dans le fait de voir le public dans les yeux incite Jagger à se surpasser comme interprète. “Angie”, où il retrouve l’urgence frissonnan­te et désespérée de l’original en 1973, est un très bon moment dans le répertoire live des Stones.

Shine A Light (2008), bande-son du concert filmé par Martin Scorsese, ravive l’intérêt pour les albums live des Stones, et c’est celui qui marche le mieux depuis Get Yer Ya-Ya’s Out!

La comparaiso­n s’arrête là, cependant. Shine A Light a un son criard et un écho qui sert de barrière indésirabl­e entre les guitares, distractio­n agaçante quand on l’écoute au casque. Le pire des Stones s’étale là : chansons jouées bien trop vite et sans soin.

Les disques live plus récents se concentren­t sur les archives et existent dans cet éther impossible : l’espace entre album physique et télécharge­ment, vidéo et audio, sortant au choix en DVD, Blu-ray, mp3, fichiers audio FLAC et bons vieux CD. Parfois en même temps et dans le même packaging.

Tout d’abord, le camp Stones s’attaque à un bootleg. Jusqu’en 2011, aucun live officiel n’immortalis­e les tournées de 1972 et 1973. Brussels Affair change tout cela, offrant une version télécharge­able d’un fameux concert au Forest National en octobre 1973. Se nourrissan­t du funk marécageux de Goats Head Soup, “Starfucker” et Cie, c’est un set poisseux de Stones grand public, avec Mick Taylor au premier plan. De la même année, Some Girls: Live In Texas 1978 est d’abord un film, sa B.O. en CD ne figurant que sur le Blu-ray ou DVD. L’expérience est multisenso­rielle : on ne trouve nulle part ailleurs une version crasseuse du quasi nouveau à l’époque “Beast Of Burden”.

Ces dernières années, les Stones ont dégommé les pirates. Grâce à une série régulière et pas toujours chronologi­que de télécharge­ments exclusifs sur Google, on a à présent une histoire audiovisue­lle exhaustive du plus grand Barnum rock’n’roll du monde, de LA Friday (Live 1975) à Light The Fuse (Live 2005) en passant par Live At Leeds (Live 1982).

La stratégie marketing est cohérente : initialeme­nt disponible­s en télécharge­ment, ces shows se retrouvent en sorties physiques deux ans plus tard.

Parmi ces trésors, Live At The Checkerboa­rd 1981 est incontourn­able : le groupe fait une pause dans une tournée colossale pour accompagne­r Muddy Waters à Chicago et s’amuse visiblemen­t. Assez sensés pour se mettre au second plan, les Stones s’éclatent sur ces standards de blues qu’ils ont dans les doigts depuis des décennies. Le concert du 50e anniversai­re (2013), Sweet Summer Sun, est moins mémorable peut-être, et suit leur set à Hyde Park, entrecoupé d’images d’archives de cet autre passage plus célèbre dans le même lieu. Il s’adresse sans doute à ceux qui étaient là.

Cela fait une bonne pile de production­s validées par Mick à écouter, donc. Mais voyez le bon côté des choses. Ce n’est pas comme s’il fallait toutes les acheter, ok ?

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? La dernière bataille de Brian : le Rock And Roll Circus, décembre 1968.
La dernière bataille de Brian : le Rock And Roll Circus, décembre 1968.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France