Rock & Folk

Andy Shauf

“WILDS”

- ERIC DELSART

ANTI-/ BOOGIE DRUGSTORE

En 2020, Andy Shauf avait publié avec “The Neon Skyline” un album-concept qui s’écoutait comme un livre audio. Les onze chansons qu’il contenait formaient autant de chapitres à une poignante histoire de séparation et de désillusio­n amoureuse. Formidable conteur d’histoires, Shauf narrait de sa voix murmurée les hauts et les bas d’une relation vouée à l’échec par la lorgnette de micro-événements révélateur­s, et les racontait sur des chansons folk aux arrangemen­ts soft-rock. Un an après ce disque magnifique, le chanteur canadien propose un nouvel album tiré des mêmes sessions fructueuse­s, composé de neuf chansons qui ne collaient pas à la narration de “The Neon Skyline”. Dès la première écoute, il paraît évident que ces titres n’ont rien de chutes de studio. Au contraire, on pourrait même arguer que certaines des plus belles chansons jamais écrites par Shauf ont été écartées de “The Neon Skyline” sur l’autel de la cohésion narrative, et que ce “Wilds” ne s’en trouve que meilleur. Comme si un disque de bonus surpassait l’album dont il est issu, en quelque sorte. Une fois de plus, Shauf joue de tous les instrument­s, mais là où son prédécesse­ur possédait des arrangemen­ts jazzy feutrés riches en instrument­s à vent, “Wilds” se veut plus dépouillé, plus folk dans l’esprit. En 2020, Shauf avait publié sur son bandcamp quelques morceaux de l’album à venir. “Judy” et “Jeremy’s Wedding” possédaien­t alors la même empreinte esthétique vaporeuse que les morceaux de “The Neon Skyline”. L’artiste a réenregist­ré ces deux morceaux pour l’album dans des versions plus lentes, plus aérées, avec la basse plus en avant, et en mettant l’accent sur les mélodies. Ainsi débarrassé­es de tous leurs effets, ces deux chansons mélancoliq­ues frappent au coeur, d’autant que Shauf les enrobe d’un groove country lumineux. C’est la formule magique de ce disque : des chansons nostalgiqu­es susurrées par un chanteur au timbre délicat, mais interprété­es avec simplicité, sans apitoiemen­t, et parfois même avec un certain allant (“Judy (Wilds)”, “Television Blue”). Ce contraste toujours efficace entre l’amertume du fond et la douceur de la forme, si cher aux meilleurs songwriter­s, fait encore mouche ici. Avec ses lignes de basse dodelinant­es et son ambiance épurée, “Wilds” évoque ainsi par moments le

Paul McCartney pastoral de “Ram” ou la pop désabusée d’Elliott Smith (“Jaywalker”, “Call”). Les mélodies paraissent évidentes, tout semble facile, limpide, déconcerta­nt d’aisance. Pour couronner le tout, Shauf s’avère une fois de plus être un narrateur absolument saisissant, dans son phrasé délicat comme dans sa façon de lâcher des observatio­ns laconiques. A l’image de la merveilleu­se “Spanish On The Beach” ou ce “Believe Me” (dont la mélodie rappelle le Sixto Rodriguez de “Like Janis”), où Shauf revisite en quelques esquisses magistrale­s le moment-clef d’une relation perdue à jamais, le talent de la mise en scène de l’artiste est extraordin­aire de minimalism­e et de précision. Maniant l’euphémisme avec finesse, maquillant ses angoisses derrière un sens de l’humour auto-dépréciate­ur, Andy Shauf est un auteur magnifique, doublé d’un chanteur au phrasé magnétique. Avec “Wilds” qui, à l’inverse de “The Neon Skyline”, s’apparente plus à une compilatio­n de nouvelles qu’à un roman (qu’on s’imagine très bien lire sur un transat devant une piscine, comme sur la pochette du disque), il s’affirme une fois de plus comme un talent rare. ★★★★

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