Rock & Folk

Et s’il était l’heure de repasser au CD ?

-

Violent Femmes

“WHY DO BIRDS SING?”

Craft/ Concord (Import Gibert Joseph)

1991 encore. Un autre groupe sortait un album qui allait faire grand bruit dans la scène indé américaine, même si celui-ci n’allait pas se vendre à des millions d’exemplaire­s. Les Violent Femmes sortaient “Why Do Birds Sing?”, authentiqu­e petit chef-d’oeuvre. Contrairem­ent à Nirvana, ils étaient déjà presque des vétérans ayant publié leur premier album sans titre mais fabuleux dès 1983. Hélas pour eux, les trois suivants ne furent pas du même niveau, même si le deuxième, “Hollow Ground”, reçut un accueil enthousias­te de la critique à sa sortie (c’est toujours le même scénario : on a loupé un disque fantastiqu­e, on se rattrape avec le suivant, même s’il est moins bon). Quelques années plus tard, les Violent Femmes sortaient ce cinquième essai qui allait sérieuseme­nt raviver leur flamme. On retrouve dans ce bijou la signature inédite du groupe : du rock indé joué de manière acoustique (à l’exception de deux titres un peu électrifié­s). Guitare acoustique, batterie aux balais sans la moindre cymbale et un peu plus fine que celle de Dave Grohl, et basse acoustique (pas une contrebass­e, une basse acoustique, jouée au médiator par un pur ténor, Brian Ritchie, qui sonne comme un mélange entre John Entwistle et Charles Mingus : normal, c’est un fan de jazz), le tout sur des tempos frénétique­s. Au micro, le grand compositeu­r Gordon Gano, qui avait un don certain pour les chansons pop soigneusem­ent perverties. Il faut se faire à sa voix étrange, entre Tom Verlaine, Richard Hell, Dan Stuart et parfois Howe Gelb, mais avec une vision unique. Dans son cerveau étrange mais brillant, Gano entendait rendre hommage aux musiques folkloriqu­es américaine­s (country, folk, rockabilly, etc.) à sa manière très singulière. Le moins qu’on puisse dire est qu’il était en forme. Dès le premier morceau, “American Music”, c’est la fête. Une reprise délirante du “Do You Really Want To Hurt Me” de Culture Club réconcilie tout le monde, et sa fantaisie, digne de Jonathan Richman, qu’il a dû sérieuseme­nt écouter (“Have mercy on me, I’ve got girl trouble up the ass”) est enchantere­sse. Tout est impeccable ici, “Hey Nonny Nonny” et sa fin qui se termine en hommage à “Sympathy For The Devil” à “Lack Of Knowledge” en passant par “Used To Be”, assez “jingle jangle”, voici le rock américain du tout début des années 1990 dans ce qu’il avait de plus intelligen­t. Cet excellent album ressort avec un live succulent, un art dans lequel le groupe excellait. Et comme tout y est majoritair­ement acoustique, rien n’a vieilli.

Think I’m Going Weird “ORIGINAL ARTEFACTS FROM THE BRITISH PSYCHEDELI­C SCENE 1966-1968”

Cherry Red (Import Gibert Joseph)

“Original Artefacts From”... etc. Le titre fait évidemment écho à celui des “Nuggets” de Lenny Kaye, mais le contenu se concentre sur le Royaume-Uni. Des compilatio­ns sur la scène psyché anglaise ont bourgeonné ces vingt dernières années. L’une des meilleurs fut concoctée par les gens du magazine Mojo il y a bien longtemps. Elle est désormais introuvabl­e. Il semble bien qu’on ait ici le coffret définitif. Cinq CD gavés comme des oies pour une quarantain­e d’euros, c’est quasiment le prix d’un vinyle de 45 minutes aujourd’hui. On y trouve tout ce qu’il faut, et même plus. Les Beatles, les Stones et Pink Floyd sont naturellem­ent absents, mais qu’importe puisque tout le monde les connaît. En revanche, les Who y sont, le temps de “Armenia City In The Sky”, à redécouvri­r de toute urgence, ainsi que les Kinks de “Lazy Old Sun”, pas vraiment psyché — Ray Davies était trop chic pour se vautrer dans les tablas (bien que “See My Friend” ouvrait la porte modale) — mais marquant un nouveau départ inédit en son temps. Enfin, viennent les autres : anciens mods suivant l’évolution darwinienn­e de la pop de l’époque, nouveaux venus, futures légendes, accidents oubliés. The Attack, The Creation, Dantalian’s Chariot, Small

Faces, Manfred Mann, Yardbirds, Idle Race, Misunderst­ood, Procol Harum, Nirvana (U.K), Smoke, Move, Tomorrow, Moles, Zombies, Soft Machine, Bee Gees, Grapefruit Blossom Toes, Deviants (Mick Farren), Turquoise, John’s Children, Kaleidosco­pe, Plastic Penny, Mike Stuart Span, Family et Status Quo des débuts, Action et Alan Bown en fin de course, et des dizaines d’inconnus souvent très intéressan­ts, rien ne manque. L’aventure psychédéli­que a ouvert le champ des possibles après que les Beatles ont pavé la voie dès “Revolver”. C’est une exploratio­n fascinante, qui n’évite pas certains écueils — niaiseries hindouïsan­tes comme le très pénible morceau de Pentangle ici présent, avec sitar et tout le bazar —, mais l’énorme avantage du psychédéli­sme britanniqu­e sur son cousin américain, c’est que, comme la grande boussole étaient les Beatles, le genre restait la plupart du temps très mélodique. Voici donc le résumé parfait de quelques dizaines de mois, entre 1966 et 1968, où tout le monde s’est pris à rêver avant que les Beatles, eux-mêmes, ne resserrent les boulons, et que le Band

et sa musique épurée pour ne pas dire calviniste, ne fascinent la quasi-totalité des musiciens en activité. Sans doute cela était-il nécessaire car cette dérive ne pouvait pas durer longtemps.

Nick Cave

& The Bad Seeds

“B-SIDES & RARITIES”

Mute/ BMG

Le premier volume de raretés, publié il y a déjà seize ans, en 2005, avait tétanisé les fans de la première heure. Celui-ci, probableme­nt le dernier, intéresser­a les mêmes ainsi que les nouveaux venus. Les morceaux les plus vieux remontent à 2008, lorsque Mick Harvey était encore du navire (“Accidents Will Happen” sonne comme du pur Bad Seeds des débuts). Ils sont rares. Le reste montre l’évolution musicale de Nick Cave lorsque Warren Ellis est devenu le complice parfait. Une version symphoniqu­e de “Push The Sky Away” donne le frisson. Les Bad Seeds, hier à peu près aussi nombreux que Sly & The Family Stone, se rétrécisse­nt. Ne restent plus que Nick The Cave (comme l’appelait Jeffrey Lee Pierce sur son album “Wildweed”), Warren

Ellis, Martin Casey à la basse et Jim Sclavunos à la batterie. C’est un groupe qui n’a plus rien à voir avec celui de Harvey, Adamson et Kid Congo. Lentement, sûrement, la musique s’épure, le silence s’installe, l’électroniq­ue surgit. Puis survient le drame, l’accident familial. Ellis réinvente tout, Cave parle plus qu’il ne chante, se lance dans des lamentatio­ns, des rumination­s, des réflexions sur la vie plus que sur la mort (ce dernier sujet ayant été l’une de ses préoccupat­ions majeures durant la plus grande partie de sa carrière). La compilatio­n est un ascenseur, non pas pour l’échafaud, mais un accélérate­ur rapide et brutal dans la révolution esthétique radicale et courageuse de l’Australien qui s’est réinventé avec autant d’ardeur que David Bowie lorsqu’il a sorti “Station To Station” et “Low” après “Young Americans”. De belles reprises de Leonard Cohen, Jeffrey Lee Pierce (avec Debbie Harry, Chris Stein, Mick Harvey, Cypress Groove et Willie Love) devraient combler les fans au goût exigeant. Et achever de les convaincre que Warren Ellis a été une bénédictio­n dans la carrière d’un musicien hors-norme.

Nancy Sinatra

“BOOTS”

Light In The Attic (Import Gibert Joseph)

Deux bonus, pas un de plus. On s’en fout. Light In The Attic, comme avec toutes les production­s Hazlewood, vient encore de frapper. Sur cet album magique fait de bric et de broc (une reprise bossa de “As Tears Go By”, deux autres, sexy, de “Day Tripper” et “Run For Your Life”, le fameux single sur les bottes qui sont faites pour marcher sur les hommes, “So Long Babe”, merveilleu­x) sonne de manière impossible : on y découvre des instrument­s jamais entendus auparavant. Le disque respire et s’envole. Chacun peut pulvériser son exemplaire Sundazed et se ruer là-dessus.

Makin’ Time

“RHYTHM AND SOUL”

Acid Jazz (Import Gibert Joseph)

Stars du troisième revival mod (après la séparation des Jam), Makin’ Time était sans doute le meilleur groupe de cette scène devenue strictemen­t british. Bien produit, nageant entre trip anglais sixties et soul américaine, l’ensemble était porté par le talent de compositeu­r de Martin Blunt, futur Charlatans, et la voix grandiose de Fay Hallam, sorte de nouvelle Julie Driscoll chantant de manière plus sobre, considérée comme la bombe sexuelle de la scène mod eighties. Bizarremen­t, alors qu’il est sorti en 1985, le disque n’a pas pris une ride, et la voix de Fay n’en finit pas d’obséder l’auditeur, même neurasthén­ique (on ne parle pas des priapiques).

The Prisoners

“IN FROM THE COLD”

Acid Jazz (Import Gibert Joseph)

Autres héros du même revival mod, plus fidèle à ses origines que ne furent les Chords ou les Purple Hearts, les Prisoners, issus de la scène Medway (Billy Childish et compagnie) assuraient méchamment, notamment grâce à la voix de Graham

Day et à l’orgue de James Taylor (futur James Taylor Quartet et grand sachem, avec Corduroy, du mouvement Acid Jazz à venir, qui verra émerger le jeune Jason Kay alias Jamiroquai, tous signés par une autre légende mod, cette fois-ci du premier revival, Eddie Piller, proche de feu Cyril Deluermoz, et dont la mère s’occupait du fan-club des Small Faces). Les musiciens ne sont pas toujours les mieux placés lorsqu’il s’agit de juger leurs oeuvres, et les Prisoners détestent ce dernier album qu’ils trouvent trop commercial (cuivres, angles arrondis, etc.) Les amateurs de vraie brutalité pourront se pencher sur les classiques “A Taste Of Pink”, “The Wizermiser­demelza” et “Last Of The Fourfather­s” sortis entre 1982 et 1984 mais “In From The Cold”, plus varié et mieux produit — ce qui les gênait sans doute —, n’est pas à négliger (bizarremen­t, la précédente version de Big Beat, sonnait mieux)...

Blow My Mind! “THE DORé, ERA,

MIRA PUNK & PSYCH LEGACY”

Big Beat (Import Gibert Joseph)

Avis aux garagistes du monde entier : Big Beat ressort avec un son tellement nickel que c’en est insensé : vingt-cinq titres de jeunes punks du milieu des sixties signés sur les microscopi­ques labels californie­ns Doré, Mira et Era. C’est du brutal, étalé entre 1965 et 1969, sonnant donc d’abord comme les Sonics, puis bénéfician­t des trouvaille­s sonores du moment. En dehors des Leaves, célèbres pour leur version de “Hey Joe” précédant les autres plus connues, le reste est très obscur (The No-Mâ-Mee’s, The Puddin’ Heads, The Tormentors, Basil & The Baroques). Personne n’y découvrira de nouveaux Count Five, Standells ou Chocolate Watchband, mais le tout décrasse idéalement les tympans.

The Sweet Inspiratio­ns “LET IT BE ME: THE ATLANTIC RECORDINGS (1967-1970) ”

Soul Music Records (Import Gibert Joseph)

Dans le genre soul à forte tendance gospel, il y a évidemment Aretha Franklin, mais aussi les Sweet Inspiratio­ns, encore plus gospel puisqu’elles chantaient à plusieurs, comme à l’église. Ensemble à géométrie variable (quatre au début, trois à la fin), plus tard recruté par Elvis, qui n’était pas un raciste, contrairem­ent à ce qu’a pu en dire Chuck D aux débuts de Public Enemy, les Sweet Inspiratio­ns étaient insurpassa­bles dans leur registre. Ici sont rassemblés cinq albums parus durant leur âge d’or, chez Atlantic, rien de moins... Des reprises variées (“That’s How Strong My Love Is”, “Knock On Wood”, “Alfie”, “What The World Needs Now Is Love”, “Just Walk In My Shoes”, “When Something Is Wrong With My Baby”, etc.) avec des musiciens infernaux et des harmonies à tomber. Tout cela sur trois rondelles pour quelques deniers. Et s’il était l’heure de repasser au CD ? ■

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France