Stone the CrowS
PARMI LES MEMBRES DU FAMEUX CLUB DES 27, Leslie Harvey n’est certes pas le plus célèbre, mais pas le moins talentueux. Son tragique accident a coupé les ailes d’une formation passionnante, entre soul psychédélique, blues âpre et rock’n’roll débridé. Laquelle a permis de révéler la voix rauque et tonitruante de Maggie Bell, héritière méconnue de Janis Joplin.
Maggie Bell voit le jour dans une famille modeste de Glasgow. A seulement dix-sept ans, elle est poussée par sa mère sur la scène du Locarno Ballroom, où elle amasse les livres sterling chaque soir à la tête de l’orchestre résident, abandonnant bien vite un job alimentaire de décoratrice de vitrines. Elle y rencontre Leslie Harvey, frère du futur meneur du Sensational Alex Harvey Band. Un jeune guitariste virtuose avec lequel elle noue une relation amoureuse. Maggie s’éclipse bientôt en Allemagne pour se roder sur les bases de l’Armée américaine. A la suite de l’assassinat de Martin Luther King, Maggie et Leslie rentrent au bercail et fondent Power, avec le claviériste John McGinnis et le bassiste Jimmy Dewar. L’attelage étincelle au Burns Howff, un club local. Leslie y est approché par Mark London. Il s’occupe de Cartoone, dont le guitariste s’est blessé à la veille d’une tournée aux Etats-Unis, et il a besoin d’un remplaçant ponctuel. Leslie accepte la pige et, deux mois plus tard, il est de retour avec les cheveux longs, une veste en daim et une Stratocaster flambant neuve. Il a même jammé avec Allman Brothers. Power recrute l’expérimenté batteur Colin Allen (Zoot Money, John Mayall). En guise de renvoi d’ascenseur, Mark London amène Peter Grant à un concert du quintette. Subjugué, le colossal manager de Led Zeppelin propose ses services à la petite troupe, qu’il renomme Stone The Crows. Un contrat de licence est signé avec Polydor, et le quintette investit très vite les studios Activision de Londres pour un premier album. Stone The Crows y dévoile ses atouts : la voix éraillée de Maggie Bell, rappelant beaucoup Janis Joplin, répond à celle, rauque et chaleureuse, de Dewar. On est frappé par la guitare fluide de Les Harvey, inspirée par Eric Clapton, et l’orgue omniprésent de McGinnis. Allen propose un jeu discret, presque jazz. Les grands moments de cet effort sont le blues acoustique “Blind Man” ainsi que la reprise transfigurée de “The Fool On The Hill” et l’intrigante “I Saw America”, qui occupe l’intégralité de la face B : pas moins de dixsept minutes entre boogie détendu, ballade soul solennelle et passages presque atonaux. Stone The Crows franchit ensuite l’océan Atlantique afin d’ouvrir pour Joe Cocker et Mountain. Un second album, “Ode To John Law”, suit peu après. Stone The Crows y creuse le sillon soul psychédélique de son prédécesseur. Outre l’obsédant mantra “Love 74” et la débonnaire “Mad Dogs & Englishmen”, l’auditeur est captivé par l’atmosphère noctambule de “Friend”, ornée d’un magnifique solo de Harvey : un grand titre oublié. McGinnis et Dewar prennent ensuite la poudre d’escampette, le second rejoignant Robin Trower. Ils sont remplacés par Steve Thompson (basse) et Ronnie Leahy (claviers) pour un troisième long-format, “Teenage Licks”. Ce sommet discographique démarre sur les chapeaux de roues avec “Big Jim Salter”, dans la veine musclée du Deep Purple de Ian Gillan. La reprise de “Don’t Think Twice, It’s Alright” (Bob Dylan) est infiniment classieuse, tout comme la chaloupée “Mr. Wizard”, dopée par des cuivres ronflants. Dans un registre laid-back plus proche des Faces, deux titres sont irrésistibles : l’euphorisante “Keep On Rollin’” et “I May Be Right I May Be Wrong”. Lorsque paraît “Teenage Licks” en 1971, Stone The Crows est au comble de sa popularité. Le gang tourne avec Led Zeppelin et Maggie Bell est élue “meilleure chanteuse” par les lecteurs du Melody Maker. La jeune femme est aussi conviée à vocaliser sur “Tommy” des Who, comme sur “Every Picture Tells A Story” de Rod Stewart. Hélas, trois fois hélas, cet élan prometteur est brisé par le tragique décès de Leslie Harvey, à seulement vingt-sept ans : il s’électrocute accidentellement durant le soundcheck d’un concert à Swansea. Maggie est évidemment dévastée, comme ses camarades, mais tous décident de poursuivre malgré la peine. Peter Green est invité à quelques répétitions pour tâter le terrain, mais il lâche ses acolytes à la veille d’une date de festival… Steve Howe dépanne en urgence avant que l’Ecossais Jimmy McCulloch (Thunderclap Newman) n’accepte le poste. Il permet au groupe d’achever “Ontinuous Performance”, le quatrième album alors en chantier. Un chant du cygne éblouissant, avec l’élégiaque “One More Chance” sur laquelle Leslie écrase une dernière fois sa pédale wah-wah, le rageur “Penicillin Blues” et l’épique “Niagra”. Jimmy intervient sur la réjouissante “Good Time Girl” et sur “Sunset Cowboy”, hommage mélancolique à l’ami disparu. En 1973, Stone The Crows s’abîme finalement sous le poids du chagrin. Colin Allen rejoint Focus et McCulloch les Wings de Paul McCartney. Quant à Maggie Bell, elle entamera bientôt une brillante carrière solo. ■