Tous les livrets de l’édition originale étaient parfumés
Admirée par plusieurs générations de chanteuses, en particulier Joni Mitchell et Tori Amos, et de chanteurs, LAURA NYRO a longtemps été plus reconnue pour ses compositions, dont les reprises ont été des succès durables pour un grand nombre d’artistes, que pour ses propres disques, pourtant magnifiques. Récemment, vingt-quatre ans après sa mort, les hommages à son oeuvre se multiplient. Dernier en date, la réédition de ses albums vinyles 1967-1978 en un coffret, “American Dreamer” (2021).
Née le 18 octobre 1947 dans le Bronx, à New York, Laura Nigro est la fille d’un trompettiste de jazz et accordeur de piano, Louis Nigro. La famille possédant un piano Steinway, elle apprend à en jouer en autodidacte, tout en développant ses talents de mezzo-soprano dotée d’une voix à trois octaves. Sa formation musicale est complétée par l’écoute des disques de Gilda, sa mère. Ainsi, elle découvre des chanteuses telles que Judy Garland et Leontyne Pryce, et des compositeurs européens, Maurice Ravel et Claude Debussy, puis grâce à la radio et
aux concerts, Billie Holiday, Nina Simone, John Coltrane, Miles Davis, Smokey Robinson et le doo-wop de Nolan Strong & The Diablos. Bob Dylan est une autre influence majeure. Parallèlement, sa mère, sa tante et son oncle, les artistes Theresa Bernstein et William Meyerowitz, l’amènent à s’intéresser aux mouvements pacifistes et féministes. Laura écrit ses premières chansons à l’âge de huit ans. Pendant ses études à la Manhattan High School Of Music & Art, elle forme un groupe de doo-wop qui chante dans les rues de New York. En 1966,
par l’intermédiaire de son père, Laura, qui s’est choisi le pseudonyme de Nyro, passe une audition avec Artie Mogull — un découvreur de talents, éditeur de musique et producteur — qui devient son manager. Ayant décroché un contrat avec Verve, les sessions pour le premier album prennent place entre juillet et novembre 1966 à New York pour une sortie en février 1967, “More Than A New Discovery”, qui sera réédité en 1969 par Verve, puis en 1973 par Columbia sous le titre “The First Songs...”. Bien que “More Than A New Discovery” soit un bon album,
sa réalisation ne convient pas à Laura Nyro, frustrée de ne pas avoir pu s’exprimer totalement. En effet, désigné par Verve, le producteur de Peter Paul And Mary, Milton Okun n’ayant pas confiance dans la capacité d’une jeune femme d’à peine dix-huit ans à jouer du piano et à diriger en même temps un orchestre, engage le pianiste Stan Free. D’autre part, avec l’arrangeur Herb Bernstein, ils altèrent les changements fréquents de tempo pour rendre les chansons plus accessibles. Malgré ces modifications du projet initial, “More Than A New Discovery” contient tous
CHARLES BÉBERT : JOURNALISTE, REPORTER, PHOTOGRAPHE. Prenez garde, Mesdames et Messieurs. Celui qui touche à Bébert va en enfer. A tout le moins au tribunal, ou à l’hôpital. Enfin, là où tout se passe, tout se joue, dans les lieux de pouvoir. Car lui en a un grand : celui de rendre les instants inestimables, insaisissables, inexorables. Charles Bébert est photographe. A Nice, il est une figure. Sur la Côte (d’Azur, cela va sans dire) où son scooter a tracé tous les sillons du reporter, il arbore un regard fier et malin, une moustache finement taillée, porte le pantalon patte d’eph’ et a plus d’un sac dans son objectif pour y ranger les nombreuses affaires qu’il mène tambour battant. Tous ont rencontré l’oeil méditerranéen de son grand coeur. Souriez, qu’il dit, mais il n’a pas besoin de le dire. Pour Bébert, sourire, c’est la vie. Rien que ça. Lorsqu’il raconte une histoire, lui ne manque pas de faire travailler ses zygomatiques. On pourrait dire qu’il exagère, mais c’est déjà le début de quelque chose qui est denrée rare : l’humanité.
Tenez, celle de Mick (qu’il prononce Mike) Jagger. Le chanteur des Rolling Stones traîne ses guêtres devant le Negresco, en partance pour l’aréoport de Nice. Là, Bébert le photographie mais Mick lui demande une faveur ; sur le cliché, il devra figurer seul. C’est que le sex-symbol doit se marier, sous peu, avec… une autre femme qui est certainement la femme d’un autre. Bébert l’immortalise dans une tenue à damier, casquette et foulard rose. Il tient parole ; quelques mois plus tard, Mick, qui n’a pas la mémoire courte, autorise Bébert à tenir l’appareil pour son mariage religieux avec Bianca à Saint-Tropez. Intime de Jean-Paul Belmondo, de Johnny, de Cloclo, d’Eddie Barclay, depuis qu’il a quitté Oran (où aux côtés de son père, il daguerréotypait déjà sous l’appellation Bébert et Fils), Bébert prend les vedettes en photo. Adepte du reportage, il écoule son grand oeuvre à toutes les gazettes, de Las Vegas à Las Planas. A Cannes surtout, un terrain de jeu fort rémunérateur depuis que la Croisette concurrence la Promenade et les stars, les Anglais.
Mai 1968. Ad Horrea (le petit nom latin de Cannes, ie le grenier), aussi, connaît la contestation. Le bordel gronde, le Festival tremble. Pour Godard et Truffaut, il convient de se montrer solidaires avec les mouvements de grève et les étudiants.
Le cinéaste franco-suisse ne mâche pas ses mots : “Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons !” Monica Vitti, Roman Polanski et Louis Malle démissionnent du jury. Quelques jours avant l’interruption inédite du Festival, la moitié de la famille Beatles décide de faire un tour de Côte. Ringo et George reviennent de Rishikesh, une ville du nord de l’Inde, au pied de l’Himalaya et au bord du Gange. Sous l’influence du Quiet Beatle, les Fab Four ont médité et emporté dans leurs valises (notamment) les chansons du “Blanc”.
Que du bon. L’instigateur de cette retraite a tout pour être serein.
Le 17 mai 1968, Eddie Barclay, qui distribue les Scarabées en France, tient grande fête à Nice, au restaurant La Pignata, en l’honneur du dieu national : Johnny. Bébert assure le photoreportage. Sa femme est à ses côtés. A trois heures du matin, Bébert et son épouse s’apprêtent à rentrer lorsqu’ils croisent, surpris, sur le parking du restaurant, Ringo et George accompagnés de leurs délicieuses épouses. La chance sourit aux audacieux. La voie lactée scintille. Le flash éclabousse la chemise à jabot de George. C’est dans la boîte à images ! Exaspéré, l’Anglais moustachu se jette sur Bébert, le pousse dans le dos, lui fait un croc-en-jambe. Et voilà Bébert, à terre, au sol, atterré, le genou en sang, les négatifs sur le bord de la route. Il se relève, attrape George par l’encolure. Sa femme les sépare. Bébert sauvegarde ses objectifs, direction l’hôpital Saint-Roch, se fait recoudre la patte, sept points de suture et une incapacité de travail de dix jours. Les ITT (acronyme pour incapacité temporaire de travail), c’est bon pour les paresseux. Charles demande à son fils Bruno de conserver une trace de l’affront. Le fiston de six ans est déjà bien adroit. La photo est vendue à des tabloïds anglais. Prix du forfait : dix mille francs, déposés le soir même sur le livret A de l’héritier. Le lendemain, alors qu’il se remet de ses émotions, le téléphone sonne. Maître Rivoir, sans l’avis de son pote qui n’est pas son client, a pris les choses en main. Bébert s’insurge, porter plainte contre un Beatles alors que les Anglais viennent d’être décorés par la Reine, ça risque de lui coûter bonbon. Le bonimenteur le rassure. Il s’occupe de tout. L’information fait le tour de France, du moins du sud de l’Hexagone. Le compère de Bébert qui officie pour Radio Monte Carlo, l’animateur Gardett, alerte les auditeurs de l’incident et assure que les Beatles ne passeront plus à l’antenne pendant dix jours. Même durée que l’ITT de Bébert.
Et bam ! Pas de liberté pour les ennemis de Bébert. A Nice, on le sait, celui qui touche à Bébert, il va tout droit en enfer.
La procédure judiciaire suit son cours.
Dans le Nice-Matin du 20 novembre 1968, on annonce que la correctionnelle de Nice s’apprête à accueillir un sacré client. Un prévenu accusé de coups et blessures. Une infraction sur une personne presque dépositaire de l’autorité publique, en tout cas au service du public. Bébert n’est pas très confiant. Il n’a jamais voulu aller au tribunal contre Harrison. Resurgit inconsciemment cette bonne vieille crainte qu’une justice des riches protégera l’assaillant au détriment de sa victime. L’article prétend que Bébert réclamerait quinze mille francs au guitariste. Il veut retirer sa plainte, mais le procureur juge que la star a troublé l’ordre public. Les faits sont là, pris en photo à l’instant T. Il y a l’arrivée des deux Beatles, le genou ensanglanté de Charles, les points de suture. Que demander de plus ? L’infraction est constatée, c’est prémédité qu’il avance ! “Easy peasy” comme disent les Anglais. D’ailleurs les voici. Déguisés en avocats, les six mousquetaires d’Harrison débarquent de la Tamise, accostent la Riviera familière, payent Bébert qui accepte de ne plus vouloir poursuivre George (ce qu’à vrai dire il souhaitait depuis le début de ce fait peu divers). Pierre Pasquini, gaulliste, résistant, représentant du peuple, futur ministre délégué chargé des Anciens combattants et Victimes de guerre, enfin avocat aux entournures, s’active en coulisse pour faire plier le proc’. Ce n’est pas sérieux de faire venir Sir George. Il n’y aura pas de procès Bébert contre les Beatles. L’incident est clos. Peu de personnes peuvent se vanter d’avoir été à deux doigts de mettre George Harrison à genoux et de l’envoyer au carré des petites gerbes. Fin de l’histoire ?
Non. La fin, c’est toujours le début de quelque chose. Une année passe. Un bruit de couloir fort fiable avance que George Harrison s’apprête à quitter Nice pour la Sardaigne. L’occasion est trop belle. Bébert, qui n’en manque pas une, choisit un ami photographe (Gilbert Pressenda) : il a une idée forte derrière sa tête dure. Ils se font passer pour des passagers du vol et finissent par se retrouver sur le tarmac, à deux miles de George. Bébert serre la main du Beatle, qui n’en finit plus de glousser. Ça y est, c’est de l’instant pur pris sur le vif. La photo est fissa vendue aux feuilles de chou anglaises, avec la légende suivante : “Un an après les faits, George et Bébert sont réconciliés.” Et rien de plus. Bébert en rit encore. On entend Bergson philosopher : “Rien ne désarme comme le rire.” C’est sérieux, mais c’est si vrai ! ■