Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT Dans “Flashback Acide” (Robert Laffont, 19,90 €), Phil — plus ‘Mad’ que jamais — Manoeuvre nous raconte vingt-cinq ans d’excès, jubilé d’argent de virées et de rencontres grandioses ou aberrantes. En pleine forme, sage comme une imag

MON MOIS A MOI

- PAR BERTRAND BURGALAT

Dans le métro, des pubs pour des concerts de B.B. King (1925-2015), John Williams (toujours de ce monde mais pas sur scène), Randy Newman (en personne à Paris fin mars). Difficile de distinguer les vivants des morts. En 1989 déjà, le public de la Halle Georges Carpentier, qui attendait Jerry Lee Lewis depuis des heures, se demandait si son avion avait jamais décollé. Il avait fini par atterrir. The Killer déboula, droit comme un I, pipe au bec. Sans un regard pour son groupe (James Burton à la guitare…) qui tenait la position, il attaqua “Roll Over Beethoven” et quitta la salle sur “Memphis Tennessee” au bout de douze rounds. Il a quatreving­t-six ans maintenant, on ne le reverra plus. Il y a trente ans, dans les cérémonies officielle­s, les derniers poilus ont été progressiv­ement remplacés par des reenactors, le moment semble venu pour les derniers fondateurs du rock.

La lettre d’informatio­n du mois d’octobre de l’Adami n’aurait pas concerné Jerry Lee ou Chuck Berry, très à cheval sur les modalités de paiement : “Les artistes se retrouvent souvent dans des situations de travail informel, aux contours mal définis. Les raisons peuvent être nombreuses, parce qu’on a envie de ‘rendre service’, ‘de se faire connaître’, ‘de créer de nouvelles opportunit­és’, ‘de faire plaisir’ : – Passe nous voir au studio, on enregistre mon nouvel album et apporte ta guitare.

– On joue au Baltazar samedi soir, tu pourrais monter sur scène si ça te dit.

En clair, des propositio­ns fort sympathiqu­es, mais où il n’est jamais question d’argent. Comme

si le ‘plaisir de jouer ensemble’, ‘Tu peux le faire pour moi, c’est pas grand-chose’ pouvaient

remplacer votre rémunérati­on…” C’est souvent le charme et la limite de l’autoproduc­tion et du Do It Yourself. Certes, tout échange, et le plaisir de faire de la musique, ne doit pas être réduit à une transactio­n financière. Si on ne peut que regretter que l’altruisme, l’engagement unilatéral, sans attente de contrepart­ie, soient des valeurs rarement exaltées, le “à charge

de revanche”, lui, est rarement suivi d’effets : la plupart des réalisateu­rs qui ont utilisé ma musique gracieusem­ent ne m’ont jamais rappelé ensuite, ce qui me va très bien : le meilleur moyen de détecter un fâcheux et de s’en débarrasse­r, c’est de lui rendre service. Tout espérer, ne rien attendre, donc, les bonnes surprises arrivent par d’autres voies. En février 1970, Jean-Pierre Bernard a vu Martin Circus au Parc des Expos de Nancy. Depuis, il remue ciel et terre pour ce groupe auquel le Rockhatry de Belfort consacre une importante exposition du 4 au 8 décembre, “Vu d’un Fan”, à son initiative. L’entrée est gratuite, mais vous pouvez lui commander des autocollan­ts (@carminrict­us sur Twitter et Instagram) pour le soutenir. Il n’est pas le seul à avoir été marqué par cette formation. Le bassiste, Bob Brault, est une de mes plus grandes influences avec Francis Darizcuren, Russ Stableford (The Love Affair et probableme­nt “Nothing But A Heartache”, des Flirtation­s) ou James Jamerson. Il y a vingt-cinq ou trente ans, au temps de la techno en caleçon cycliste, je pensais ne jamais réentendre des réalisatio­ns de la qualité de “Il Faut Rêver” et “J’Aimerais Bien Te Faire Flipper Un P’tit Peu”. Mais aujourd’hui, dans le flot de parutions, il y a des merveilles : Laure Briard, de plus en plus superbe, “Supertrama” (Midnight Special Records). “The Dandelion”, par Oracle Sisters, plus proches de Van Dyke Parks et des High Llamas que du prêt-à-folker auquel ils sont parfois assimilés. “Slow Avec Toi”, par Pasta Grows On Trees, Ian Chippett “I Never Cry”, Nicolas Leoni & Alexander Faem “Devant Mon Ordinateur” (Martyrs Of Pop / Modulor), Niki Demiller “Tertiaire Blues” (La Tebwa), “Spinning Down”, sur l’album Venus Chariot de Rohn — Lederman (COP Internatio­nal), “America”, de West Side Story, interprété par Romain Leleu, avec un arrangemen­t fantastiqu­e de Manuel Doutrelant pour trompette et quintette à cordes (Harmonia Mundi/ RL Production). Mieux vaut tard que jamais, je découvre maintenant “Dracula Drug”, de Frankie And The Witch Fingers (Greenway Records) et le magnifique “The Garden”, par Papooz (Half Awake Records), sortis l’an dernier, ainsi que la compilatio­n “Deutsche Elektronis­che Musik: Experiment­al German Rock And Electronic Music 1972-83” (Soul Jazz Records, merci Axelle Le Dauphin). Sur Arte, “Glam Rock, Splendeur et Décadence”, de Christophe Conte, excellent doc sur ce genre qui fit le trait d’union entre bubblegum et punk. Impossible de ne pas avoir envie de monter le volume en écoutant “Action”, par Sweet, et son pont de la mort à 2’35, la version Suzi Quatro de “Hit The Road Jack” ou “Elected”, d’Alice Cooper. En repensant au délicieux Alvin Stardust, je tombe sur l’album “Alvin”, sorti en 2014 alors qu’il était en train de disparaîtr­e. Il n’avait rien enregistré depuis trente ans, c’est un miracle d’élégance et de délicatess­e, produit par deux équipiers de Robbie Williams, Richard Scott et Scott Ralph. Il y a souvent chez les rappeurs, un peu comme chez les skins jadis, une propension à ressembler à l’image qu’on se fait d’eux. Depuis les années 1990, Sear et ses acolytes (Karim Boukercha, Grégory Protche, Reijasse…) du journal “Get Busy” ont poussé le hip-hop à sortir de l’ordinaire, comme d’autres esthètes de banlieue avaient pu le faire pour le rock, ou le magazine 20 Ans pour la presse féminine. Il faut lire “Get Busy – L’anthologie De L’Ultime Magazine” (Marabout, 39 €) même si on n’aime pas le rap, comme on peut consulter le site virage.paris alors qu’on se fiche du foot et du PSG. Leurs entretiens, avec Benoît Poelvoorde ou Dominique Zardi, sont épatants, c’est brillant, libre et totalement imprévisib­le. “Alone”, Les Mémoires De Mickey Baker, paraissent enfin (Séguier, 22 €). Quelle joie, merci à Ungemuth d’avoir fait l’entremette­ur avec l’épatant Jean Le Gall, et à Andrew Loog Oldham pour ses mots toujours justes quant à l’influence de Mickey sur sa génération de musiciens, et l’importance de ce récit. Non, tout n’est pas fichu, la preuve, on peut inventer une nouvelle rubrique aujourd’hui. C’est celle de Fabrice Epstein dans notre magazine, qui traite du rock sous l’angle judiciaire (merci à Vincent Tannières de lui avoir ouvert ces pages). Il publie “Rock’N’Roll Justice” (La Manufactur­e De Livres, 25 €), 58 affaires captivante­s brillammen­t exposées, si j’avais lu ça il y a quarante ans, j’aurais continué le droit. Le procès V13 (pas si mal, ce nom de missile ou de jus de légumes), toujours : “Plus le temps passe et plus la douleur d’avoir perdu ma fille augmente. J’en suis à payer encore l’abonnement de son téléphone pour pouvoir entendre sa voix.” Patrick Jardin (cité par Éric Dussart, La Voix Du Nord, 27 octobre). Et Ann-Flore, s’adressant aux accusés (citée par Stéphane Durand-Souffland dans un article vertigineu­x, Le Figaro, 27 octobre) : “L’au-delà n’existe pas. Le paradis, c’était ici et vous avez tout foutu en l’air.”o

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