Rod devient l’une des superstars des seventies
Des albums déments, qui ont marqué beaucoup de gens, des Jacobites aux Black Crowes (on se demande quelle a été la réaction de Rod lorsqu’il a entendu Chris Robinson pour la première fois). Les chansons y sont excellentes. A l’époque, tous les groupes ont leur guitariste virtuose : Mick Taylor, Paul Kossoff, Jimmy Page, Pete Townshend qui n’est pas un manchot, Peter Green. Rod a… Ron Wood. Et c’est très bien comme ça. Ronnie ne donne pas dans le branlage de manche. Il joue comme il peut, avec poésie et un sens du relief très chic. C’est l’aspect brinquebalant de la musique des Faces ou de Rod en solo qui en fait tout le charme. Un art avec beaucoup d’instruments acoustiques, des respirations, des musiciens excellents mais souvent ivres (Kenney Jones, Ian McLagan et l’immense Ronnie Lane) qui soudent le tout.
Jetsetter
Entre les Faces et sa carrière solo, le héron au total look tartan grave huit albums merveilleux en quatre ans, auxquels il faut ajouter les deux avec Jeff Beck, enregistrés juste avant. Les Faces ont un bar sur scène et jouent au foot pendant les concerts. Pour les albums, avant d’enregistrer, ils passent quatre heures au pub, Ron et lui se prennent de la coke par voie anale lorsque leurs parois nasales se trouvent trop endommagées (ce n’est pas un exemple à suivre). Ceux qui sont traités de “Rolling Stones du pauvre” sont en fait le groupe du peuple et ne suivent pas les âneries glam rock. Et ce mélange de folk, de rock’n’roll et de pure soul est impensable ou très rare chez Jagger et Richards. Enfin, Rod chante comme personne.
Tout cela ne doit pas durer : le succès de “Maggie May” par Rod en solo change la donne. En tournée, son groupe est renommé Rod Stewart & The Faces. Les Faces n’aiment pas. Ronnie Lane fout le camp. La schizophrénie est intenable. Après avoir embauché un bassiste japonais alcoolique, le groupe se sépare, Ron Wood est courtisé par les Stones, ne suit plus Rod en solo. Qui enregistre un album (“Atlantic Crossing”, 1975, juste après le bancal “Smiler”) produit par Tom Dowd, partiellement enregistré au mythique studio de Muscle Shoals, avec les musiciens habituels qui ont accompagné tant de légendes soul. Sur le papier, cela aurait dû être parfait. Sur disque, c’est raté : il n’y a pas de composition digne de ce nom. Mais le dégoulinant “Sailing” cartonne dans le monde entier. Rod devient l’une des superstars des seventies, comme son pote Elton John avec qui il fait la fête en permanence. Le suivant, “Night Of The Town”, est à peine mieux, surtout grâce à sa composition “The Killing Of Georgie, Parts 1 & 2”, un mini-drame contre l’homophobie, ce qui était assez rare à l’époque. Nous sommes en 1976, période des Ramones et de Patti Smith. Rod est un jetsetter exilé à Los Angeles pour échapper au fisc anglais. La suite est affligeante. Le carton de “Da Ya Think I’m Sexy?” sur l’atroce “Blondes Have More Fun” le propulse au sommet du disco nul. Pour cette “composition”, Stewart pompe un musicien brésilien, qui lui fait un procès et le gagne, ainsi qu’un morceau de Bobby Womack (qui ne lui demande rien). Après quoi, tout est à oublier. Rod est anobli, il porte des épaulettes, a les manches de sa veste retroussées, passe sa vie à conquérir des mannequins, fait des grandes fêtes et des enfants, se retrouve incapable de composer, n’a plus de Ron Wood ou de Ian McLagan pour l’aider au moment où d’autres anciens comme Leonard Cohen, Bob Dylan, Lou Reed ou Neil Young se remettent en question, mais il est vrai que parmi ceux-là, aucun n’est anglais. Sa discographie est consternante, mais peu lui chaut : il est riche. Dans les années quatrevingt-dix, plusieurs albums de classiques du Broadway des années 1930 et 1940 redorent sa médaille. Cela ne va pas plus loin. Rod reste ce lad, amateur de foot et de voitures coûteuses. C’est un peu triste, mais vu ce qu’il a fait il y a longtemps, personne ne lui en veut. ★