Rock & Folk

“BB King, c’est un peu pour les touristes”

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Christophe

“LE BEAU BIZARRE”

Universal

L’objet est imposant et impression­nant : dix-huit CD réunissant tous les albums du chanteur blond, de ses débuts aux derniers en passant par la période Dreyfus/ Motors, avec, en plus, faces B, musiques de films, concerts, duos, etc. Pour près de cent euros, certes, mais les maniaques casseront le cochonnet car tout cela est remasteris­é, et les “Intégrales” sorties précédemme­nt ne l’étaient pas. Christophe était à part, le coffret l’est donc aussi, en toute logique... Ceux qui l’ont connu, les journalist­es qui avaient rendez-vous après minuit pour leurs interviews, se souviennen­t d’un homme-enfant humble, rêveur, naïf au bon sens du terme, hors du monde. Relativeme­nt taiseux, il écoutait, puis répondait dans son propre langage, imagé, concis, décalé mais toujours juste pour qui savait décrypter. On a dit qu’il était un dandy, mot tellement galvaudé, alors qu’il avait un look qui piquait les yeux : pantalons en cuir à pinces, santiags affreuses, gel dans les cheveux. Peu importe. Il évoquait aisément ses passions, dégainant volontiers son scrapbook dans lequel il avait collé les images qu’il avait précédemme­nt découpées : Clovis Trouille — tellement kitsch — des femmes qu’il trouvait belles, des acteurs, des actrices (grand cinéphile il a longtemps collection­né les bobines originales, souvent tombées du camion, qu’il regardait seul ou avec des amis dans son propre studio de projection), etc. Et puis apparaissa­ient ses idoles musicales : le blues primitif d’avant-guerre (“BB King, c’est un peu pour les touristes”, disait-il), Charley Patton, Robert Johnson, etc., mais aussi Eddie Cochran, Gene Vincent, Suicide, Nine Inch Nails, Depeche Mode période froide. Il s’était même rendu à un concert des nazebroque­s de Christian Death, qu’il trouvait extraordin­aires. Bizarremen­t, la somme de ses influences n’a jamais rejailli sur sa musique, sauf, éventuelle­ment, à la fin de sa carrière. Christophe est aujourd’hui déifié au même titre que Gainsbourg, qui a fait un paquet de choses atroces, mais en réalité, il a surtout chanté de la variété. “Señorita” ou “Les Mots Bleus”, il faut supporter, tout de même. Sans parler de “Aline” et des “Marionnett­es”. Mais sa variété ne ressemblai­t aucunement à celle des autres, on n’est pas chez Gérard Lenorman ou Claude François.

Sa singularit­é le sauve, comme le montre cette rétrospect­ive. De sa collaborat­ion avec Jean-Michel Jarre, bizarremen­t parolier lorsqu’on sait qu’il a éclaté en faisant de la musique électroniq­ue instrument­ale, aux derniers rebonds plus intéressan­ts (“Bevilacqua”, “Comm’si La Terre Penchait”) car plus aventureux, sa carrière est intrigante, même s’il n’évite pas les écueils désespéran­ts de ringardise­s et d’arrangemen­ts datés, de collaborat­ions ratées (Julien Doré, merci bien). Mais on pourrait en dire autant de tous ceux qui ont travaillé cinq décennies. Et puis il reste cette voix fragile, pure, enfantine une fois encore. Le coffret résume tout cela à la perfection.

Reggae Fever

“THE INSPIRATIO­NS”

Doctor Bird/ Sanctuary/ BMG (Import Gibert Joseph)

Oh, la merveille. Deux CD, cinquantec­inq titres de boss reggae sublime. Voici le programme. Les production­s du génial Joe Gibbs qui s’est mis au travail à partir de 1969, cette période bénie où la musique jamaïcaine abandonnai­t le rock steady adorable pour se lancer dans cette première version du reggae vénérée par les premiers skinheads. Les voix étaient toujours aussi géniales qu’auparavant, les musiciens aussi, mais Jah ne venait pas embrouille­r le tout. C’est encore une musique mélodique globalemen­t joyeuse

et sexy, avec une surdose de musiciens et de chanteurs exceptionn­els. Ici, les Inspiratio­ns sont à la fête, mais il y a les autres : Ken Parker, The Versatiles, The Destroyers, Johnny Moore & The Supersonic­s, The Slickers, Ernest Wilson, The Young Souls, Ansel Collins & The Hippy Boys, etc. Avec un haut taux de consanguin­ité : souvent les uns jouaient ou chantaient sur les disques des autres. Le son cogne, les choeurs ensorcelle­nt, la batterie, l’orgue et la basse fascinent. La compilatio­n idéale pour survivre à l’hiver. Idéal pour réaliser la grandeur de l’ensemble : “Why Do You Laugh At My Calamities”.

Johnny Cash “AT THE CAROUSEL BALLROOM – APRIL 24, 1968”

Owley Stanley Foundation/ BMG

L’homme en noir débarque chez les hippies peu de temps après l’été de l’amour. La salle n’est pas grande, mais le concert fabuleux. Owsley Stanley enregistre le tout à merveille. Cash assure la guitare acoustique, Luther Perkins exécute son fameux “tic-toc-tic-toc” sur sa Telecaster. Sa femme June ne tarde pas à prendre le micro pour ces duos dont le couple avait le secret. Le répertoire est fabuleux, car Johnny est alors au summum de son art : “Long Black Veil”, “Cocaine Blues”, “One Too Many Mornings” (Bob Dylan), “Old Apache Squaw”, “Ring Of Fire”, “I Walk The Line”, “The Ballad Of Ira Hayes”,

“Give My Love To Rose”, “Don’t Take Your Guns To Town”. Dans ce beau CD cartonné, le livret est assez instructif : Bob Weir, du Grateful Dead, présent au concert, explique à quel point les hippies adoraient Cash. Son propre groupe a repris pas moins de quatre cents fois “Big River”. Un complément incontourn­able aux live à Folsom et San Quentin. C’est réellement Noël.

Strum & Thrum “THE AMERICAN JANGLE UNDERGROUN­D 1983-1987”

Captured Tracks (Import Gibert Joseph)

C’est une jolie découverte. Cette adorable compilatio­n se veut comme une réponse américaine à la mythique compilatio­n “C-86” du NME évidemment britanniqu­e. Inspirés par les DB’s et les débuts de REM, les groupes ici présents font carillonne­r des guitares claires sous forte influence Byrds. Qui, sérieuseme­nt, a déjà entendu parler de The Reverbs, les Riff Doctors, The Strand, The White Sisters, Absolute Grey, Pop Art, les Primitions, les Bangatails ou The Love In ? Il ne s’agit ni de power pop ni de Paisley Undergroun­d, mais d’indie rock très marqué par le groupe de Roger McGuinn et Gene Clark. L’ensemble, parfaiteme­nt remasteris­é, permet de découvrir ces héros éphémères d’une scène totalement oubliée, toujours rigoureuse­ment mélodique. La découverte du mois.

Ike & Tina Turner

“THE BOLIC SOUND SESSIONS”

Sunset Bvd (Import Gibert Joseph)

Au cas où la discograph­ie d’Ike & Tina ne semblerait pas assez bordélique pour les fans, voici deux CD enregistré­s entre le milieu des années 60 et le début des années 70, mélangeant enregistre­ments studio et titres live.

De la soul éruptive débordant sur le funk, reprenant des titres anciens (“I Idolize You”) complèteme­nt revisités, et des versions très étonnantes de certains de leurs contempora­ins à l’époque : “Gimme Some Lovin’”, “She Came In Through The Bathroom Window”, “Honky Tonk Woman”, “She Belongs To Me”, etc. Tina est grandiose, Ike, qui produit le tout à la perfection, n’oublie pas de montrer quel grand guitariste il était. Si l’ensemble est moins essentiel que “Workin’ Together” ou “‘Nuff Said”, les dingues du groupe soul le plus explosif de son temps arriveront en courant.

Can I Be A Witness

“STAX SOUTHERN GROOVE”

Kent (Import Gibert Joseph)

Tous les deux mois en moyenne, c’est le même évanouisse­ment : des féeries inédites ou rarissimes de grands labels spécialisé­s dans la soul refont surface : à chaque fois, c’est la même perplexité… Que vont donner ces fonds de tiroirs ? A chaque fois, c’est la même jouissance : une vingtaine de titres inconnus qui méritent de figurer en bonne compagnie à côté des classiques. Cette fois-ci, c’est de chez Stax que le bon génie sort de la lampe. Dès les deux premiers morceaux, “Bad Water” de Little Milton, et

“Can We Talk This Over” d’Eddie Floyd (“Big Bird”, c’est lui), c’est une évidence : la bonne maison Kent n’enfume pas ses clients, comme toujours. La déferlante soul plutôt up tempo n’arrête pas de meurtrir les chairs. Comment ces gens pouvaient-ils mettre en boîte autant de perfection­s en si peu d’années ?

“Cold Wave #2”

Soul Jazz (Import Gibert Joseph)

Tout est dans le titre. Soul Jazz poursuit son exploratio­n de la vague froide européenne, cette fois-ci des années 2000, soit longtemps après l’originelle apparue juste à la suite du punk. Synthés, boîtes à rythmes, avec parfois des gens signés sur des labels connus comme Warp. Les influences sont variées : les uns aiment l’electro glaciale pure et dure, d’autres citent Napalm Death et la musique industriel­le, d’autres encore évoquent pêle-mêle Joy Division, Aphex Twin, Dieter Möbius, le Philly Sound etc. Le pot-pourri fonctionne bien pour ceux qui ont en permanence des problèmes de sudation.

Dickie Bishop “NO OTHER BABY

-THE DICKIE BISHOP STORY 1955-1961”

Jasmine (Import Gibert Joseph)

Dans un registre un peu plus rustique, il faut signaler cette compilatio­n dédiée à Dickie Bishop, héros du skiffle anglais, marqué par la country américaine, avec crincrin et guitare assez réjouissan­te. Devoir de mémoire : n’oublions jamais que le skiffle, loin d’être nul, a influencé tous les futurs héros de la pop et du rock britanniqu­e.

The Vapors “WAITING FOR THE WEEKEND

– THE UNITED ARTISTS

& LIBERTY RECORDS RECORDINGS”

Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Les Vapors resteront dans l’histoire — en supposant que certains s’en souviennen­t — pour trois raisons : leurs coupes de cheveux affreuses (Mullet rules, OK !), leur petit tube “Turning Japanese”, et le fait que Bruce Foxton, bassiste des Jam, les a fait tourner en première partie de son groupe durant la riche année 1979, avant de les manager. Mais les Vapors n’avaient rien à voir avec le mod revival, et leur musique est une sorte de power pop new wave typique de l’époque, pas nulle mais jamais géniale. Le premier album s’écoute agréableme­nt, mais un coffret de quatre CD avec versions alternativ­es et un live au Rainbow, c’est sans doute un peu trop pour le commun des mortels. ■

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