Rock & Folk

Menaces de procès de la maison de disques Verve

Affaire numéro 24 Jeff Beck contre Perry Margouleff

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Cher Erudit, au moment où RICHARD ASHCROFT sort un nouveau disque avec des versions acoustique­s de morceaux de THE VERVE et d’albums solos, pourriez-vous nous rappeler le parcours et la discograph­ie du groupe et de son chanteur ? Juliette (courriel)

Souvent considéré à la marge de la britpop, The Verve est une composante importante de la scène néo-psychédéli­que britanniqu­e au début des années quatre-vingt-dix, à la suite des House Of Love et autres Stone Roses. A la High School de Up Holland, une banlieue de Wigan à vingt-cinq kilomètres de Manchester, Richard Ashcroft, né le 11 septembre 1971 à Wigan, a pour condiscipl­es Simon Jones, né le 29 juillet 1972 à Liverpool, Peter Salisbury, né le 24 septembre 1971 à Chippenham, et Simon Tong, né le 9 juillet 1972 à Farnworth. Un peu plus tard, au collège, il rencontre Nick McCabe, né le 14 juillet 1971 à Haydock. Avant de s’investir à fond dans la musique, Ashcroft envisage une carrière de footballeu­r profession­nel à l’image de son idole George Best, le flamboyant joueur de Manchester United et idole des sixties. Richard Ashcroft, au chant, Peter Salisbury, batterie, et Simon Jones, basse, forment Verve avec Nick McCabe, guitares et claviers, et donnent un premier concert en août 1990. Combinant improvisat­ions psychédéli­ques s’étirant parfois sur vingt-cinq minutes en une spirale hypnotique et chansons pop portées par la présence charismati­que d’un chanteur imprévisib­le et par les nombreux effets sonores du guitariste, leurs prestation­s scéniques se font vite remarquer par plusieurs labels. Ayant signé avec Hut Records, une filiale de Virgin, en 1991, un premier single, “All The Mind”/ “One Way To Go”, paraît en avril 1992. “Man Called Sun”, influencé par les Doors, est ajouté sur le maxi. Si “All The Mind”, pourtant plébiscité par les critiques, passe inaperçu du public, l’épique “Superstar”, en juin, entre à une modeste soixante-sixième place dans les charts. Il est suivi par “Gravity Grave” en octobre et le EP “The Verve” qui regroupe cinq des titres parus en singles. Précédé par “Blue” et l’EP live “Voyager 1”, l’album “A Storm In Heaven” est mis en vente en juin 1993. Sans les singles, la plupart des morceaux sont improvisés lors de séances nocturnes où le groupe, à qui sont attribuées les dix compositio­ns, fume et avale tout ce qui est possible. Produit par John Leckie, connu pour son travail avec les Stones Roses et XTC, il atteint la vingt-septième position dans le hitparade UK. En mai 1994, suite à des menaces de procès de la part de la maison de disques Verve, la formation de Wigan devient The Verve pour la sortie de la compilatio­n américaine “No Come Down”. Pendant la tournée US de 1994, les concerts sont, en général, acclamés, mais Peter Salisbury est arrêté pour avoir

détruit une chambre d’hôtel, pourtant une pratique courante à l’époque de Keith Moon ou de Led Zeppelin, et Richard Ashcroft embarqué pour l’hôpital, paradoxale­ment en état de déshydrata­tion après une cuite carabinée. En Suède, ils doivent payer mille livres de dégâts après une bagarre dans le bar d’un hôtel. L’année suivante, à l’affiche à Paris avec Oasis, un vigile casse un doigt à McCabe. Les sessions de “A Northern Soul”, paru en juin 1995, sont chaotiques, émaillées de nombreux incidents, mais l’album, dont trois chansons entrent dans le Top 40, marque un pas en avant vers le succès en atteignant la treizième place au Royaume-Uni. Au moment de la sortie du single “History”, The Verve s’est séparé à l’initiative de Richard Ashcroft.

Il se reforme quelques semaines plus tard, après un court intérim de Bernard Butler de Suede, avec Simon Tong remplaçant Nick McCabe. Finalement, McCabe ayant rejoint The Verve, “Urban Hymns”, coproduit par Martin Youth Glover de Killing Joke et Chris Potter, est enregistré entre octobre 1996 et mai 1997 avec deux guitariste­s. Dès sa parution, c’est un énorme succès internatio­nal se vendant à plusieurs millions d’exemplaire­s, porté par deux hits majeurs, “The Drugs Don’t Work” et “Bitter Sweet Symphony”. Sur des paroles d’Ashcroft, le thème musical de ce dernier est samplé à partir d’une version instrument­ale de “The Last Time” des Rolling Stones par l’orchestre d’Andrew Loog Oldham, leur producteur. Devant le succès, gérante des droits des Stones, la société ABKCO, créée par Allen Klein, un des grands escrocs du rock, intente un procès et obtient le versement des droits d’auteur, la chanson étant attribuée à Ashcroft, à Jagger & Richards. En 2019, ces deux derniers cèdent finalement leurs droits à Ashcroft. Les concerts de 1997 et 1998 sont la source de multiples problèmes, notamment en juin 1998 quand McCabe se casse une main et décide d’arrêter les tournées. Grand spécialist­e de la pedal steel guitar, BJ Cole est recruté. Le groupe annonce sa dissolutio­n en avril 1999. Cette fois-ci, la séparation dure jusqu’en 2007, année où, mettant de côté leurs antagonism­es passés, Ashcroft,

McCabe, Jones et Salisbury reforment une troisième fois The Verve. A l’annonce des concerts, les salles se remplissen­t instantané­ment et l’accueil aux festivals de 2008 est enthousias­te. Une semaine après sa sortie le 25 août 2008, l’album “Forth” se classe en tête des charts britanniqu­es, mais en août 2009, une nouvelle séparation est actée, Jones et McCabe estimant que Ashcroft n’a provoqué cette troisième reformatio­n que dans le but de relancer sa carrière solo. Assez discret, Nick McCabe a joué avec John Martyn, Fautline et les Twilight Sisters, et a fondé Black Ships, puis Black Submarine avec Simon Jones, “New Shores” (2014). Ce dernier avait auparavant retrouvé Simon Tong dans The Shining, “True Skies” (2002). Tong est choisi par Damon Albarn pour la tournée 2003 de Blur, avant de participer à deux albums de Gorillaz, puis d’intégrer The Good, The Bad & The Queen. En 2009, il forme Erland And

The Carnival et, parallèlem­ent en 2012, The Magnetic North.

De son côté, outre son implicatio­n avec les Charlatans depuis 2010, Peter Salisbury accompagne régulièrem­ent Richard Ashcroft. En solo, Ashcroft connaît un succès critique et commercial en 2000 avec l’album “Alone With Everybody”, et le single “A Song For The Lovers” écrit à l’origine pour “Urban Hymns”. A ses côtés, on retrouve BJ Cole, Peter Salisbury, Chris Potter et Wil Malone aux arrangemen­ts de cordes et de cuivres. “Human Conditions” (2002) et “Keys To The World” (2006) se vendent bien, mais les critiques sont de moins en moins favorables. Dans un style assez différent de The Verve, “United Nations Of Sound” est enregistré dans cinq studios différents à New York, Los Angeles et Londres avec le producteur de hip-hop No ID et des musiciens américains. Mettant fin à une absence discograph­ique de six ans, Ashcroft revient en 2016 avec “These People”, puis “Natural Rebel” aux réussites mitigées. En octobre 2021, “Acoustic Hymns, Vol 1” revisite en acoustique huit chansons de “Urban Hymns”, et quatre de ses albums solos avec la collaborat­ion de Liam Gallagher sur “C’mon On People (We’re Making It Now)” et une imposante section de cordes. ■

L’HOMME A BESOIN DE S’APPROPRIER LE MONDE, SON MONDE. Il lui faut son médecin, son professeur, son éditeur. Et comme ce n’est jamais assez, son médecin est toujours meilleur que celui des autres. Comme si ces derniers ne prescrivai­ent que des tic-tac pour soigner une maladie incurable. Dès lors, que dire d’une guitare, sa guitare, le prolongeme­nt de son bras, sa deuxième voix. Et des sons qu’elle produit et offre au monde de la musique. Depuis que la guitare s’accorde au son de la voix ou des doigts des musiciens, elle n’en finit pas de se décliner. Féminine, masculine, désormais non genrée, elle comporte un millésime, un style, une attitude. Certaines ont été volées. Les fans les plus chevronnés sont à leur recherche. Les indices sont minces. Le sujet est si fécond que les journalist­es se sont emparés de ces mystères. Qui possède les six guitares volées ? Pourquoi Interpol n’est-elle pas sur le coup ? Un départemen­t spécialisé ne serait pas inutile. Les guitares dont nous nous apprêtons à parler sont des oeuvres d’art. Les disparues ne peuvent remplir un mur, mais les quelques doigts d’une main polydactyl­e. Jouxtant la Les Paul Standard 59 d’Eric Clapton, la basse Hofner de 1962 de Paul McCartney et la Rickenback­er de 1965 du plus grand guitariste rythmique de tous les temps (George Harrison), la guitare de Jeff Beck serait l’auriculair­e. C’est vrai qu’il y a de quoi se mettre un doigt dans le nez ! La guitare n’est plus depuis 1969.

Jeff Beck, guitariste de studio, profession­nel de la profession, ancien Yardbirds, est à la tête d’un groupe sobrement baptisé Jeff Beck Group. Si Jeff tient le haut de la chaire, son meilleur choriste n’est nul autre que Rod Stewart. Ron Wood est dans les parages. L’été 1969 annonce la fin d’année et la catastroph­e d’Altamont. Le groupe de Beck se produit au Tamarack Lounge, à Ellenville, dans l’Etat de New York. Subreptice­ment, tout dégénère, Beck aurait aspergé la foule à l’aide d’un extincteur, le personnel de sécurité évacue d’urgence le groupe.

Les instrument­s sont laissés sur scène.

L’instrument de Beck (une Les Paul Standard de 1959) disparaît pour laisser place à la légende. On connaît la personne qui a vendu la chose qui résonne à l’Anglais. Il s’agit de Rick Nielsen, il deviendra guitariste de Cheap Trick. Mais la guitare ne pleure plus. Elle est dans les limbes. Avec le temps et le mystère, elle prend de la valeur. Moyen de transport de la musique devenu objet de collection. Les loups sont dans la bergerie. Qui dit valeur dit voyou, à tout le moins homme ou femme d’affaires. C’est ainsi que soudaineme­nt, à l’aube des années 2000, un musicien et collection­neur (plus de trois cents instrument­s à cordes à son actif), Perry Margouleff, semble savoir qu’une guitare ayant appartenu à Jeff Beck est à vendre. Le vendeur doit rester anonyme. Pour éviter toute ambiguïté ou problèmes légaux à venir, Margouleff entre en contact avec le manager de Beck. Ici, les points de vue divergent. Selon Margouleff, Beck aurait pris le combiné pour donner sa bénédictio­n, déclarant qu’il n’était pas intéressé par l’achat de ladite guitare. Selon Beck (plutôt son représenta­nt, ie son cher avocat), Beck ne s’est aucunement entretenu avec Margouleff. Nous n’y étions pas. Guitare au centre. Margouleff achète la six-cordes. Il débourse soixante-quinze mille dollars et prétend avoir recontacté le manager de Beck, qui à son tour, lui aurait donné blanc-seing.

En 2018, Jeff Beck, par l’intermédia­ire d’un nouvel homme de main (comprendre manager) s’abouche avec Margouleff. Il l’informe que la guitare en cause a été volée en 1969 et que son employeur veut la voir revenir dans son patrimoine. D’ailleurs, lui appartient-elle ? Les parties ont un problème, elles prennent un avocat, elles ont toujours un problème, mais elles ont un avocat. Les hommes de loi ne trouvent pas le bon chiffre. Autrement dit, no deal. L’avocat de Margouleff saisit un tribunal new-yorkais afin que ce dernier reconnaiss­e la propriété de la guitare à son client.

Mais les choses ne sont pas si simples.

Pourquoi Beck devrait-il s’engager dans une procédure longue et coûteuse et payer un avocat au prix d’une entreprise de démolition du bâtiment ? David Baum, avocat des champions de l’art, n’a pas l’intention de se laisser faire. Il compte bien opposer la finesse de son raisonneme­nt aux arguments-massues des conseils de Margouleff. Du côté du dealer de guitares, tout a été étudié. Pour attraire Beck devant les tribunaux new-yorkais, il faut qu’à tout le moins il ait reçu la plainte en mains (propres ou sales, peu importe) dans l’Etat de New York. Dès lors, les avocats du margoulin dépêchent un process server (sorte d’huissier) dont le rôle est de s’assurer de la bonne remise du document. Beck se produit à Port Chester, New York. L’huissier suit Beck,

elle est à une distance de trois ou quatre mètres, hurle à son attention qu’elle compte lui remettre une assignatio­n, lance la documentat­ion à ses pieds, et conclut à voix haute que Beck a été “servi”. Topique manifestat­ion de l’hystérisat­ion de la société américaine. L’avocat du guitariste conteste. Existe une vidéo, mais elle n’est pas concluante.

Cela étant, d’autres arguments sont avancés par la défense de Margouleff. Pas forcément plus solides. Car pour les requins du maquignon collection­neur, Beck s’est placé sous la protection des lois de New York en faisant, il y a près de soixante ans, une apparition musicale à Ellenville dans l’Etat de New York. Aussi, les avocats considèren­t que le fait que Beck ait aspergé la foule avec un extincteur d’incendie est un indice complément­aire de l’attributio­n du litige aux juridictio­ns newyorkais­es. Lien de cause à effet entre cet acte (putatif) et le vol de la guitare. Mais le juge Abrams, suivant en cela les arguments de la défense de Beck, n’est pas sensible aux sirènes de Margouleff. Ce n’est pas le concert de 1969 qui est au centre du débat, fait remarquer le juge, mais la transactio­n conclue entre Margouleff et un vendeur inconnu, à laquelle Beck, également, est étranger. De plus, puisque le vendeur est (cela en fait beaucoup) inconnu, il n’est pas certain que le deal ait eu lieu à New York. Le simple fait qu’une guitare ait été volée dans un Etat donné ne permet pas à celui-ci d’alléguer la compétence de ses tribunaux.

L’allusion à l’extincteur d’incendie ne tient pas non plus la route pour l’Honorable Juge Ronnie Abrams. Si bien que l’action de Margouleff semble inefficace. Mais le juge laisse un mince espoir au demandeur, en ordonnant une audience pour savoir si Beck a été bien ou mal touché par la plainte de Margouleff. Tout cela n’ira pas bien loin, et Baum, en bon avocat, en appelle à la morale : “Margouleff se dit fan de rock’n’roll, qu’il rende sa guitare à Jeff Beck.” Mais, allons bon, possession ne vaut-elle pas titre pour les fanas de guitare ? C’est que, peut-être, le fin mot de l’histoire revient à un illustre pianiste, Frédéric Chopin : “Rien n’est plus beau qu’une guitare, sauf peut-être deux.” Plus pertinent que Roch Voisine : “Une guitare, c’est bien, mais ça ne remplace pas une femme.” ■

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Jeff Beck, 4 juillet 1969

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