West Side Story
DE STEVEN SPIELBERG
D’un côté le classique absolu du cinéma musical des sixties. De l’autre, la plus grande légende du cinéma contemporain.
Comment résister à ça ? Beaucoup de cinéphiles, pourtant, se sont offusqués du projet : “Mais comment peut-on oser refaire ce chef-d’oeuvre ?” Ou … “Pourquoi Spielberg, bardé d’autres envies qu’il ne pourrait accomplir en vingt-huit vies, perd-il son temps à refaire ce classique ?” A cela une première réponse : ce “West Side Story” n’est pas le remake du film aux dix Oscars de Robert Wise, mais une revisite nostalgique du musical créé à Broadway en 1957. Un peu comme si un spectateur qui avait découvert la pièce à l’époque disait : “Mais comment peut-on faire un film de ce chef-d’oeuvre scénique ?” Et puis Spielberg s’offre aussi (vu qu’il en a les droits et les moyens) un de ses grands chocs musicaux d’enfance lorsqu’il écouta en boucle, à l’âge de dix ans, la B.O. du musical avant, cinq ans plus tard, de découvrir le film de Robert Wise. Qui, curieusement, est absent de la liste de ses dix-neuf pellicules préférées comme “Lawrence D’Arabie”, “Les 400 Coups”, “Psychose”, “2001, L’Odyssée De L’Espace”, “Le Parrain” et, mais oui... “Intouchables” (là, il exagère). Et aussi “La Guerre Des Mondes” version 1953, le seul de sa liste qu’il se soit permis de refaire. Son re-“West Side Story” est aussi l’occasion de se frotter pour la première fois au genre musical. Et surtout, comme à son habitude, Spielberg nous offre encore un film old school. Sans effets numériques visibles (alors qu’il en est le vrai précurseur depuis “Jurassic Park”), et filmé à l’ancienne façon David Lean ou John Ford. Avec des plans composés et des couleurs pétantes proches du regretté Technicolor. Et sans l’ombre d’un montage hystériquement haché comme les films d’action brise-crâne de Michael Bay ou de n’importe quel Marvel antipoétique. Malgré le côté rebelle qu’ils partagent à travers leur animosité, leurs fringues post-James Dean, leur look rock et leurs tignasses gominées, on arrive donc toujours à faire la distinction entre les membres des Portoricains, les Sharks, et ceux des Italo-Irlando-Polonais, les Jets. Deux gangs rivaux qui s’affrontent en permanence dans les bas-fonds de l’Upper West Side du New York des années cinquante jusqu’à provoquer le drame... Spielberg, tout en gardant l’esprit vintage de la pièce et du film (costumes, décors, époque) modernise tout de même “West Side Story” en ne se limitant plus à une confrontation de territoires mais en donnant davantage d’importance aux tensions résultantes de l’immigration et du communautarisme. Comme un sacré reflet de l’air du temps. Les rixes et la love story impossible entre Maria, jeune Portoricaine dont le frangin sympa est affilié aux Sharks, et Tony, le plus cool et le plus romantique des Jets, se font à travers des séquences musicales d’une telle ampleur qu’elles en lavent nos iris. Si bien que le spectateur a constamment l’impression de s’envoler dans les airs au rythme des danses, des notes et, bien sûr, des mythiques chansons reprises de la pièce et du film original. De l’entraînant “America” au poétique “Tonight”, jusqu’au romantique “Maria”. Des chansons qui accompagnent tous les personnages, de l’espoir au drame, quand les conflits grandissants entre Jets et Sharks finissent par briser le coup de foudre amoureux entre Maria et Tony. On comprend que Spielberg, au lieu de s’attaquer au cinquième volet d’ “Indiana Jones”, a préféré rendre son hommage personnel à “West Side Story”. Lui qui, depuis quelques années déjà, tourne des films plus engagés comme “Pentagon Papers” sur l’implication douteuse des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam, “Lincoln” sur les derniers mois du Président le moins trumpesque des Etats Unis, voire “Ready Player One” qui, sous couvert d’un pur pop-corn movie, dénonce les déviances totalitaires de la distraction de masse qu’il a pourtant contribué à créér. Avec “West Side Story”, Spielberg s’inquiète (les méfaits de la violence, du racisme et de l’entre-soi) tout en distrayant majestueusement (musique, chansons, danses) et en n’oubliant jamais que le cinéma peut — et surtout doit — rester un art (le septième, pour mémoire). Bien sûr, “West Side Story” est un des rares films de cette année à découvrir (au moins la première fois) absolument sur un grand écran. Avant qu’il ne soit gobé par Netflix, Disney, Apple ou Amazon... (actuellement en salles). ■
The Beta Test
The Beta Test
Acteur et réalisateur de curieux films indépendants au ton décalé (dont “Thunder Road”, sorti en France), Jim Cummings récidive dans l’humour mi-zinzin, mi-dramatique avec son nouveau long-métrage produit en financement participatif. Soit le parcours d’un agent à la ramasse engoncé dans une histoire de secte, de sexe, de sang et de chantage. Cummings superpose différentes histoires qui s’interpénètrent pour former une charge ironique (voire gentiment énervée) sur l’industrialisation à outrance d’Hollywood. Lui-même incarnant cet agent qui condense de nombreuses tares : il est froid, insensible, intérieurement paumé, parano et totalement à l’ouest. Son cerveau n’arrêtant pas de bouillir alors qu’il ne laisse rien paraître. Plus bizarre et intrigant que franchement compréhensible et distrayant, “The Beta Test” semble marcher volontairement à côté de ses chaussures. Enfin, si les films avaient des chaussures ! Le moins que l’on puisse dire est que Jim Cummings a su se créer un style identifiable qui n’appartient qu’à lui. Il faut juste qu’il réussisse maintenant à partager ses intentions un poil ésotériques avec un maximum de spectateurs (actuellement en salles).
The Card Counter
Scénariste de génie (“Taxi Driver” et “Raging Bull” de Martin Scorsese, quand même !), Paul Schrader a eu sa période vista quand il passa derrière la camera à la fin des années soixante-dix via le drame syndical “Blue Collar” et “American Gigolo”, qui révéla Richard Gere. Mais ses vingt dernières années, ses films, un peu bâtards, n’attirèrent pas vraiment la considération totale du public et/ ou de la critique. Avec “The Card Counter”, il fait un effort (presque) digne de ses débuts de carrière en contant l’odyssée terne d’un joueur de poker errant de casino en casino pour atteindre un semblant de rédemption. Celle d’un homme (joué en émotion rentrée par l’excellent Oscar Isaac) qui, ombre de lui-même, semble naviguer dans un monde qu’il ne perçoit plus. Comme s’il attendait gentiment la mort entre deux abattages de cartes. Jusqu’au jour où il rencontre un jeune chien fou qui veut absolument qu’il l’aide à tuer un ennemi commun. Ce qui permettrait au passage à Poker-man de se débarrasser de son douteux passé. Filmé très posément avec plus de dialogues que d’action, “The Card Counter” enferme le spectateur dans une sorte de transe hypnotique où Schrader, une fois encore, pose plus largement un regard nihiliste sur les tares d’une Amérique délétère (en salles le 22 décembre).
Next Door
Next Door
Le germano-espagnol Daniel Brühl est un acteur si discret qu’on oublierait presque qu’il apparaît dans la franchise des “Captain America”. Mais Brühl, comme tout bon comédien qui se respecte, préfère interpréter des rôles plus consistants plutôt que d’aller errer dans des blockbusters sans goût. Il était ainsi formidable dans le rôle d’un homme faisant croire à sa mère qu’elle vit toujours dans la RDA des années quatre-vingt après un long coma dans “Good Bye, Lenin!”, le film qui le révéla. Ou encore quand il personnifia le pilote automobile Niki Lauda dans “Rush” de Ron Howard. Après soixante-dix rôles en deux décennies, Brühl fait le point sur son statut de comédien dans “Next Door” qu’il réalise. Et où il interprète un acteur à la mode qui, dans un bar, fait ami/ ennemi avec un client qui sait tout de sa vie et de son intimité. S’ensuit une longue confrontation en huis clos, entre des demis pression et le comptoir en zinc, qui va amener son personnage à douter de son métier, de sa thune et de ses comportements amoureux. Brühl se met donc à nu en se moquant de lui-même, tout en se posant des questions existentielles : qu’est-ce qu’être un acteur ? La célébrité est-elle un réel aboutissement ? Continue-t-il à jouer un rôle dès qu’il n’est plus devant un objectif ? Une belle mise en abyme ironique et touchante dans laquelle Daniel Brühl s’autoanalyse comme pour mieux se débarrasser des côtés obsolètes d’un métier qu’il adore (en salles le 29 décembre).
Lamb
La première partie de “Lamb” de Valdimar Jóhannsson peut laisser croire à un quasi-documentaire sur la vie d’un couple d’agriculteurs élevant des moutons dans une ferme paumée de la campagne islandaise. Au moment où vient poindre un certain ennui (visiblement voulu par le metteur en scène), le film bifurque vers l’étrangeté lorsque l’homme et sa compagne trouvent un étrange bébé dans la grange. Un être hybride qui, en grandissant, se retrouve avec un corps d’enfant, des pieds de bouc et une tête d’agneau. Un film d’horreur pour le coup ? Pas vraiment... Le couple, qui n’a jamais pu procréer, élève ce mutant comme s’il s’agissait de son enfant. Il s’habille normalement, comprend ce qu’on lui dit, mais ne peut pas parler. “Lamb” devenant une sorte de fable où le besoin de maternité et la solitude du couple se mêlent à des questionnements sur la différence — voire la non-différence — entre l’homme et l’animal. Porté par un duo d’acteur-trice (dont l’excellente Noomi Rapace) au diapason de cette métaphore sur l’existence, “Lamb” fascine (en salles le 29 décembre). ■