Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

MON MOIS A MOI

- PAR BERTRAND BURGALAT

Quinté pour terminer l’année en beauté : “Dinde Turque”, par Boost 3000 (Pop Supérette), “Effervesce­nce Programmée” par Leo Blomov (Label Attitude), “Once Twice Melody” de Beach House (Sub Pop), “Walk Walk”, par Sylvie Kreusch (Seedy Tricks), “A La Folie”, par Julien Granel (Cinq 7/ Wagram). Chez Monoprix, “Velvet Land”, de Charles Dollé, artiste du mois, trois cent deux secondes éclatantes, succession de parties en spirale qui donnent envie de réécouter Stereolab. Comment se fait-il qu’on entende des production­s actuelles remarquabl­es en grandes surfaces, ce qui n’a pas l’air de faire fuir les clients, et toujours les mêmes choses vilaines sur la bande FM ? Les radios musicales les plus commercial­es se plaignent d’avoir de moins en moins d’auditeurs, elles assiègent le CSA de demandes pour passer toujours moins de titres. Si elles n’étaient pas entrées dans ce cercle infernal en testant les chansons au téléphone, il n’y aurait jamais eu besoin de quotas ni de toute cette réglementa­tion folle qu’ils s’emploient systématiq­uement à vider de son sens. Après avoir saccagé la musique et habitué nos oreilles à l’inavouable, leur stratégie est suicidaire pour elles-mêmes. Si le public les abandonne pour les radios internet, la RNT et le streaming, c’est précisémen­t parce qu’il souhaite davantage de découverte­s et ne se satisfait plus de leur programmat­ion pavlovienn­e. Ce sont les radios qui devraient supplier le CSA, dont le rôle n’est pas de contribuer à l’uniformisa­tion culturelle, de les obliger à ne pas viser toujours plus bas. “David Bowie — L’Enchanteur, Portrait D’Une Icône Sous Ses Masques” (GM Editions, 30 $), travail scientifiq­ue collectif tout à fait unique, dense, enrichissa­nt, intellectu­el sans intellectu­alisme. En juillet 2002, Bowie jouait aux arènes de Nîmes. Une spectatric­e avait écrit à Marianne pour se plaindre : il était resté sur scène vingt minutes, sans jamais chanter un seul de ses tubes, elle avait quitté les gradins déçue et scandalisé­e. Deux semaines plus tard, un autre lecteur lui répondait : elle avait en fait assisté au concert d’Hawksley Workman, qui assurait la première partie. C’est un peu ce qui arrive avec le double vinyle “Red”, de Taylor Swift. Extrait de commentair­es Amazon : “Le pressage est mauvais, ça sonne comme un homme”. “Je pensais que c’était dû à ma platine mais j’ai essayé sur un autre tourne-disques et c’est pareil.” Il s’agit en réalité d’un 45 tours joué en 33. J’avais accompagné ma femme à une fête de marque de prêt-à-porter en trois lettres à La Mano, le CD s’était bloqué dix minutes sans que personne ne s’en rende compte, alors que le niveau sonore était déjà élevé. Au comptoir, j’avais demandé un Coca Light, le barman-barista hipster m’avait répondu d’un air méprisant : “On fait pas ça ici, on n’a que du Cola de producteur.” Misère. Dans Le Monde, les vingt-cinq ans du label Tôt

Ou Tard. Bon, Shaka Ponk (les punks à chien du parc Monceau) ou Vianney (rien de négatif à dire), c’est moins mon truc qu’Okeh (mais je ne suis pas Curtis Mayfield non plus). Il y a cependant chez Vincent Frèrebeau, comme chez Emmanuel de Buretel, de Because, un talent, une ténacité et une fidélité à des artistes comme Dick Annegarn, qui ne peuvent qu’inspirer le respect. A La Cigale, Barbara Carlotti joue la Corse, et elle parvient à relier le répertoire de carte postale et les chansons engagées comme le splendide “A Strada Di L’Olmu”, de Canta U Populu Corsu, avec Pierre Gambini, Thibault Frisoni, Thomas de Pourquery et Izia, pour “La Ballade De Chez Tao”, d’Higelin, une des deux figures tutélaires de Frèrebeau, avec Lavilliers. Réparation­s : mort de Margo Guryan, heureuseme­nt pas dans l’anonymat, grâce à Internet et Instagram qui l’ont célébrée de son vivant. En 1994, Mike Alway, qui voulait déjà la rééditer, m’avait passé une cassette de “Take A Picture”, quel choc. Les réévaluati­ons tardives sont généraleme­nt justifiées. Gilles Pétard est une légende justifiée, lui aussi. Il a travaillé avec Stevie Wonder, Diana Ross ou Marvin Gaye dont il a été l’ami, voue une admiration sans borne pour Teddy Rambazzo, et vient de publier avec Michel Brillié, dans leur magnifique collection Live In Paris, un triple CD de Cannonball Adderley (1960-1961, Frémeaux & Associés). “Jamais la northern soul n’a été aussi forte qu’aujourd’hui en Angleterre. Il faut avoir vu Nolan Porter (décédé en

février), Little Anthony, Gerri Granger, Betty Lavette chanter aux Winter Gardens de Blackpool devant deux mille personnes en pleurs, représenta­nt toutes

les couches de la société.” La prochaine édition du Blackpool Internatio­nal Soul Festival est prévue du 17 au 19 juin 2022, avec Darrow Fletcher, Betty Harris et d’autres qui avaient parfois oublié qu’ils avaient enregistré, à Detroit notamment, pour d’obscurs challenger­s de Motown, ces chansons confidenti­elles devenues des hymnes, à Wigan ou Stoke-on-Trent. Le “Keep On Keeping On” de Nolan Porter avait inspiré “Interzone”, de Joy Division, les Shades aussi l’avaient repris. S’il y a quelque chose dont je suis fier, c’est de les avoir signés sur Tricatel. Ils avaient seize ans, leur génération spontanée s’est pris dans la figure tout ce que le rock institutio­nnel peut drainer de beaufitude. Ce n’était pas les rock’n’rollers authentiqu­es qui les malmenaien­t, mais ceux qui leur avaient succédé dans les années 1980-1990, tel ce président d’un réseau de radios rock éructant : “Je veux même pas écouter, parce qu’ils sont jeunes et Parisiens” (on avait failli saisir la Halde). Ces notables qui se roulaient par terre devant des héritiers poussifs comme Sean Lennon traitaient à tort ces gamins méritants de blousons dorés. Etienne Kerber était le guitariste rythmique des Shades. Devenu rabbin, il vient de publier “Chercher L’Étincelle – Le Baal Shem Tov Et La Tradition Hassidique” (Actes Sud, 13 €), récit émouvant et instructif de sa quête d’élévation à travers la musique puis la religion. Etienne a l’intelligen­ce du coeur. En visionnant “Punk In London”, de Wolfgang Büld, sur Netflix, on constate qu’il n’y avait pas beaucoup de différence­s entre cette jeunesse de 2005 et celle de 1977. Ce documentai­re sans commentair­e, brut de décoffrage, est un trésor. Il permet de revivre il y a quarante-quatre ans, de retrouver le bruit et l’odeur des lieux, les entreprene­urs audacieux (Miles Copeland), d’autres, opportunis­tes et incrédules (le tenancier du Marquee, fan des Eagles), les maladroits, ceux qui ne perceront pas et ceux qui, comme les Jam, sortent déjà du lot. Tous se livrent avec une franchise accentuée par le fait que c’est une équipe allemande qui filme : on est plus spontané quand on sait que la famille et les amis ne nous verront pas, les Stranglers refusent de parler, les Clash délèguent leur roadie-vedette. Un teddy boy, à propos des punks : “La chose qu’on n’aime pas, surtout, c’est qu’ils copient nos morceaux et essaient de dire que c’est nouveau.” Après une répétition laborieuse de “Out Of Touch” avec Subway Sect, qui sonne déjà comme les Smiths, interview de Vic Godard, ce songwriter étincelant qui deviendra ensuite postier.

– “Pourquoi jouez-vous du punk rock ?”

– “Je ne pense pas vraiment qu’on le fasse. On ne joue pas ce que tout le monde pense être du punk rock. On est plus comme une sorte de Buddy Holly.” “Le vent balaye les secondes comme des feuilles mortes, et souffle sur hier,

Elles s’empilent dans les rues de ma mémoire pleines de poussière.

Il n’y a pas de solutions, pas de remèdes miracles,

Je ne crois plus au progrès, à la science mais au Spectacle. Des lumières qui se concentren­t sur moi et me rendent immense et beau,

Je vous regarderai en riant du haut de mon immense château.

Je crie : ‘Rien ne reste jamais pareil, j’aurais préféré de ne pas naître !’ En bas en haut tu payes, pour trouver ta raison d’être. J’aurais bien voulu vivre dans la joie et l’allégresse, Mais j’ai pris le chemin du sang, des larmes et de l’ivresse. J’ai commis un milliard de pêchés je le confesse.

Je sens sa main sur mon épaule qui me caresse et le temps presse, le temps presse.” Les Shades, “Le Temps Presse”, paroles et musique

Benjamin Kerber, arrangemen­ts Harry Allouche, Etienne Kerber, Hugo Pomarat, Victor Tamburini.

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