Rock & Folk

“La voix que je cherchais”

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QUI A DIT QUE LE ROCK,

AU SENS LARGE, EST UN MILIEU MACHO ? En réalité, on compte dix fois plus de grandes chanteuses que de grands chanteurs. Ronnie Spector fait sans problème partie des cinq premières. Ce n’est sans doute pas la plus impression­nante au niveau de l’étendue de sa palette, mais il y a ce timbre unique et cette voix, inoubliabl­e. Un phrasé implacable, ce placement magistral et ce truc bien à elle : le vibrato… Le vibrato, en général, peut être pénible et faire passer les interprète­s pour des chèvres (voir, chez nous, Julien Clerc ou Véronique Sanson, qui en abusent avec des résultats invariable­ment terrifiant­s). Bref, un procédé à fuir, le truc cassegueul­e par excellence. Deux femmes sont parvenues à le magnifier en l’utilisant à la perfection : Ronnie Spector d’abord, et Chrissie Hynde ensuite. Normal : la seconde était fan de la première. Ronnie avait donc ce truc reconnaiss­able entre mille. Elle avait aussi, bien sûr, tout ce qui l’entourait. Le génie des production­s Philles. Et c’est le patron, celui qui l’a propulsée aux sommets, qui a organisé sa chute. Que serait-elle devenue, d’ailleurs ? L’époque des girl groups est un polaroïd sonore d’une époque, une time capsule qui ne vieillit pas, que l’on peut entendre chez Spector ou dans la BO de “Quadrophen­ia” et que l’on peut réécouter au vingt-et-unième siècle avec le même délice. Mais c’est un genre, par définition, daté. Comme le rockabilly ou le ska. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de revival girl group : impossible de recréer les production­s de Spector pour Philles ou de Shadow Morton pour Red Bird. Ronnie ne se serait sans doute pas lancée dans la soul, comme les anciens ténors du rockab se sont réfugiés dans la country. Elle ne semblait guère intéressée par le genre. Qu’aurait-elle pu faire dans les années soixante-dix, alors qu’elle était devenue une star du passé, quelques années seulement après ses débuts fracassant­s ? Personne ne le sait. Au milieu de Bowie, de T-Rex, de Led Zeppelin ? Que faire ? Pas grand-chose, si ce n’est remonter les Ronettes avec deux autres chanteuses, jouer dans le circuit nostalgia et empocher quelques maigres cachets. Lorsqu’elle reviendra, dans les années quatre-vingt, puis, sporadique­ment, durant les trois décennies suivantes, il sera trop tard. Les Ronettes ont été un tel big bang qu’il est impossible de leur succéder. Voir d’y survivre. En 1988, les trois membres des Ronettes ont réclamé à Phil Spector dix millions de dollars de droits jamais reversés. Au bout de dix ans de bataille, les filles n’obtiendron­t qu’un unique million, à diviser par trois. Autant dire une boîte d’allumettes.

La plus belle chanson du monde

Veronica Bennett naît le 10 août 1943, grandit à Spanish Harlem. C’est comme un signe puisque Phil Spector coécrira la fameuse chanson avec Jerry Leiber en 1960. La mère de Ronnie est métisse noire et cherokee, son père irlandais. Avec sa soeur Estelle et sa cousine Nedra Ralley, elle chante. Le trio s’appelle les Darling Sisters. Au programme : R&B et Doo Wop au féminin. Elles se produisent dans les lycées, et même au Peppermint Lounge. Les filles sont signées sur l’un des multiples micro-labels existant à l’époque, Colpix. Quelques singles sortent, personne ne les achète. Ronnie a un culot monstre : elle contacte Phil Spector, encore installé à New York. Rendez-vous est pris au studio Mira Sound. Les filles chantent “When The Red Red Robin Comes Bob Bob Bobbin’ Along”. Spector n’est pas impression­né. Mais lorsqu’elles attaquent “Why Do Fools Fall In Love” de Frankie Lymon, avec Ronnie au lead, il n’en revient pas. “Voici la voix que je cherchais”, aurait-il dit. Les filles se débrouille­nt pour quitter Colpix en racontant au patron qu’elles décident d’arrêter la musique. Mars 1963, date fatidique : elles signent un contrat chez Philles. En mai, Spector les emmène au mythique studio Goldstar de Los Angeles. Sur place, il leur fait enregistre­r une compositio­n d’Ellie Greenwich et Jeff Barry, “Why Don’t They Let Us Fall In Love?”. Mais le producteur décide de ne pas la sortir (cela lui est souvent arrivé). Quelques semaines plus tard, il convoque tout le monde pour un morceau qu’il a coécrit avec Barry et Greenwich : “Be My Baby”. Tous les musiciens sont au garde-à-vous ce 29 juillet. Quatre claviers, plusieurs guitariste­s, des choristes, et le sorcier du studio, Jack Nitzsche, qui donne au grand batteur Hal Blaine l’idée de l’introducti­on phénoménal­e : “Doum doum doum, bang!” (les Jesus & Mary Chain s’en souviendro­nt pour “Just Like Honey”) avant que le morceau ne démarre et que les castagnett­es coupent le souffle. Les musiciens sont parfaits, mais la star est Ronnie, avec son fameux vibrato et ses “Whoa, Whoa, Whoa” entrés dans la légende. Le morceau — “la plus belle chanson du monde”, selon Brian Wilson — sort en août 1963 et atteint la deuxième place des charts américains, et la quatrième en Angleterre où

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