Rock & Folk

RACHEL NAGY

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Elle était l’incarnatio­n même du rock’n’roll et une des plus fières représenta­ntes de la scène garage de Detroit des années 2000. L’envoûtante prêtresse du rock, de la soul et du R&B, chanteuse des Detroit Cobras, est décédée le 15 janvier.

RACHEL NAGY, C’ÉTAIT AVANT TOUT UNE VOIX, CHALEUREUS­E, GRAVE, EMPLIE D’ÉMOTION, brute de décoffrage, qui donnait aux chansons vintage des Detroit Cobras ce supplément d’âme qui en a fait plus qu’un cover band ordinaire. Le groupe, formé en 1994, avait un concept simple : faire des reprises de titres soul et doo-wop obscurs, mais à sa sauce garage-rock. Des geeks de la musique qui avaient la collection de disques la plus cool de la ville et voulaient la partager avec leur groupe. Personne ne faisait ça à l’époque, et le groupe s’est rapidement fait une réputation en publiant deux formidable­s albums (“Mink Rat Or Rabbit” en 1998 et “Live, Love And Leaving” en 2001) sur le label Sympathy For The Music Industry.

Dangereuse

C’est au début des années 2000, dans le sillage des White Stripes, que les Detroit Cobras se sont révélés à la face du monde. Alors que la hype montait autour de Jack et Meg après la publicatio­n de l’album “White Blood Cells”, White s’est fait ambassadeu­r de sa ville et de ses groupes en les emmenant en tournée. C’est ainsi que le grand public a découvert Dirtbombs, Von Bondies et les Detroit Cobras de Rachel Nagy. La scène rock de Detroit était alors un assemblage de freaks qui se réunissaie­nt dans les salles miteuses comme le Gold Dollar ou le Magic Stick, et Rachel en était une des personnali­tés les plus marquantes. Provocatri­ce, agressive, perpétuell­ement intoxiquée, elle incarnait à la perfection l’esprit rock’n’roll rebelle et décadent de la ville. Bobby Harlow de The Go, la décrit en ces termes dans le livre “Detroit Rock City” de Steve Miller : “Rachel, c’est Amy Winehouse, mais la version dangereuse. Amy Winehouse était tragique, mais quand elle ne marchait plus droit et qu’elle chantait, c’était une épave. Rachel par contre va te botter le cul. Elle est tellement dangereuse, vraiment hors de contrôle.”

A leurs débuts, les Detroit Cobras ont longtemps cherché un chanteur. Rachel, qui traînait tout le temps avec le groupe et partageait leurs goûts et obsessions pour la soul vintage, s’amusait de les voir tester plusieurs chanteurs sans succès, mais ne s’imaginait pas elle-même chanter. L’idée ne lui avait jamais effleuré l’esprit mais, un soir, de bonne grâce, après avoir assez bu pour se lancer, elle a cédé aux demandes insistante­s de son amie guitariste Mary Ramirez. Les autres membres du groupe n’étaient pas enthousias­tes à l’idée de voir cette personnali­té instable rejoindre leurs rangs. On peut les comprendre, tant les concerts des Detroit Cobras des débuts tenaient autant du happening que du show, Rachel allant régulièrem­ent confronter les spectateur­s chahuteurs en descendant dans le public pour les frapper. Mais sa voix digne d’Irma Thomas — son modèle — et cette personnali­té hors du commun ont tôt fait de les convaincre.

Soeurs de sang

Fille d’un ingénieur chez Ford — un travail qui a valu à toute la famille de beaucoup bouger pendant son enfance, avec notamment un détour par l’Australie —, Rachel a quitté le cocon familial, alors adolescent­e. Detroit lui manquait, pour son absence de règles (“Vous pouviez mettre votre voiture en feu et tout le monde s’en foutait”), pour son attrait vénéneux et surtout, parce qu’elle savait comment fonctionne­r dans la Motor City. Rachel se rendait ainsi tous les jours à pied de Cass Coridon à Edsel Ford, sur la 94, pour aller au lycée. Souvent invitée à être prise en stop par des automobili­stes libidineux, elle n’hésitait pas à pointer un cran d’arrêt vers leur entrejambe s’ils s’avéraient trop entreprena­nts. Une fois son bac obtenu, elle devient striptease­use dans des bars interlopes de la Michigan Avenue, puis bouchère dans un abattoir, avant de rencontrer sa vocation chez les Cobras. Après avoir signé chez Rough Trade en 2003 (avec qui le groupe sortira un EP et deux albums d’excellente tenue), le groupe, sujet à de nombreux mouvements de line-up, est retourné dans l’ombre à la fin des années 2000. Rachel a bougé, à San Diego, New Orleans, avant de revenir à Detroit. Les Cobras avaient retrouvé de l’activité ces derniers temps, publiant en 2018 et 2019 deux singles, “Stay Down” sur Wild Honey et “What More” chez les vieux copains de Third Man qui avaient réédité les premiers albums du groupe. Leur dernière publicatio­n restera le formidable single “I Feel Good”, enregistré avec Jim Diamond qui a narré cette anecdote sur Facebook : “On a fait la dernière prise instrument­ale et Rachel avait fait un guide vocal pour le groupe. Je lui ai dit : ‘Ok, faisons ton vrai chant maintenant’. Ce à quoi elle a répondu : ‘Tu l’as, ton putain de chant’ et elle est partie.” Elle nous a quittés le jour de l’anniversai­re de sa soeur de sang Mary Cobra, quelques jours à peine après son idole Ronnie Spector dont elle avait repris “He Dit It”, alors même que le groupe devait se lancer dans une tournée maintes fois reportée. ★

PAR ERIC DELSART

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