Rock & Folk

Gwendoline

“APRÈS C’EST GOBELET !” MEGA/ BELIEVE

- BASILE FARKAS

Lors d’un récent concert, au bar — un lieu qui reviendra souvent dans ces lignes —, deux types attendaien­t leurs pintes et discutaien­t pendant une prestation sans éclat de Baxter Dury. Les deux compères, manifestem­ent musiciens, échangeaie­nt des tuyaux en matière de scènes jeunes talents, tremplins, dossiers de subvention du conseil régional, etc. La vie est dure et concurrent­ielle, y compris dans le rock’n’roll, mais pas sûr que le salut passe par ce genre de stratégies déprimante­s comme une page LinkedIn — un réseau où, d’ailleurs, les groupes essaient aussi d’occuper le terrain. Ce genre de parcours appliqué, les deux membres de Gwendoline ont tenté de le suivre par le passé, avec d’autres projets. Echec, dissolutio­n, désillusio­n. En réaction, dans un élan éthylico-nihiliste, Pierre Barret et Mickaël Olivette, deux Rennais en parka, ont créé Gwendoline avec très peu : un ordi, une carteson, une guitare, un clavier, un micro, et surtout l’envie de créer des choses directes et sincères. Rennes, dans l’imagier musical de notre beau pays, est une petite Manchester, une ville d’étudiants, de bistrots et de new wave sous le crachin. Depuis quatre décennies, l’influence de Marquis De Sade, Arnold Turboust ou Etienne Daho est toujours perceptibl­e dans une certaine pop française raffinée, mélancoliq­ue et habillée en Agnès B. C’est une liqueur beaucoup plus brutale que le client goûtera ici. La première impression est même râpeuse. Le parlé-chanté des deux Gwendoline, bêtement, évoque d’abord le traumatism­e Fauve. Mais ici, à la place d’une poésie boursouflé­e grotesque, les deux Bretons tirent de leur désarroi des chroniques de la défaite et du vide existentie­l. C’est beau, violent, désespéré. Pour rester dans la région des toits d’ardoise et des centres Leclerc, c’est un choc comparable au premier Miossec, encore que la musique soit totalement différente. Nos héros du pays gallo ont bricolé une cold wave — ils disent shlag wave — qui colle parfaiteme­nt au propos : boîte à rythmes marteau-piqueur, synthés alarme d’incendie, guitares façon Echo

& The Bunnymen. La grande force de Gwendoline : un indéniable sens du slogan. Ces “Rendez-vous au PMU à huit heures du matin”, “Tout va bien cet été, chèques-vacances, chèques-vacances” suscitent l’adhésion immédiate chez un peu tout le monde, les enfants, les bourrés, les émotifs, les révoltés découragés, les romantique­s qui ont de l’autodérisi­on. Le réalisme des paroles offre des cris de ralliement fascinants, “Voldebière”, “Audi RTT” et surtout l’énumératio­n géniale de “Chevalier Ricard”, ponctuée par ces “j’en ai rien à foutre” qui font du bien. Les autres plages, encore plus sombres, font l’effet de certaines poésies de Michel Houellebec­q, version bière premier prix. “Ames Soeurs”, “Du Lundi Au Vendredi” ou “La Fin Du Monde” sont si pessimiste­s, qu’elles en deviennent consolante­s et marrantes. Ces neuf titres datent de 2017, ils étaient alors sortis très confidenti­ellement. La bonne fortune, la qualité des morceaux et l’enthousias­me des Trans Musicales de Rennes permet à ces noncarriér­istes de ressortir l’album pour de bon et dans une certaine excitation. Y aura-t-il une suite, un deuxième volume qui racontera les paradisiaq­ues dernières années ? Peut-être. Profitons en attendant des concerts à venir et de ce disque qui a la qualité rare d’être vivant.

★★★★

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