Rock & Folk

Moins rauque que Bobbie, moins soul que Dusty

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Qu’importe puisque les compilatio­ns ne s’adressent pas aux fans : les nouveaux venus risquent de faire un AVC en découvrant tant de génie.

Sammi Smith “LOOKS LIKE STORMY WEATHER 1969-1975”

Ace (Import Gibert Joseph)

Etonnant : une bonne surprise est donc possible en ce début d’an de crasse 2022. Jusqu’ici, Sammi Smith était inconnue au bataillon, mais repérée via un ou deux titres sur les excellente­s compilatio­ns “Country Soul Sisters”. Voici que débarque, chez Ace en plus — perfection garantie —, une anthologie de vingt-quatre titres. Rien à jeter, tout est bon. Miss Smith, née en Californie mais ayant grandi dans divers États du sud des Etats-Unis, avait un talent énorme. Sa mère était apache, elle serait, selon la légende, une descendant­e de Cochise, ce qui n’est pas une raison suffisante pour bien chanter, certes. Son père était blanc, ce n’est pas une raison valable non plus. Après s’être produite ici et là, elle débarque à Nashville où, après l’avoir entendue, le bassiste de Johnny Cash lui trouve un deal… carrément chez Columbia, chez qui elle enregistre quelques titres dont “Brownville Lumberyard”, copie conforme, mais très réussie, des récents succès de Bobbie Gentry. C’est surtout chez Columbia qu’elle sympathise avec Kris Kristoffer­son, qui joue alors le rôle d’hôtesse d’accueil dans la maison de la capitale de la country. Les deux s’adorent. Chris a en tête une chanson dont la première phrase commence par “Take the ribbons from my head”. Sammi part en tournée avec Waylon Jennings, ses ventes de disques sont nulles ou à peu près, Columbia la vire. Elle signe chez un petit label au nom amusant : Mega. Là, elle sortira des disques époustoufl­ants et fera un carton national avec la reprise du fameux morceau de Kristoffer­son, “Help Me Make It Through The Night”. De lui, elle reprendra également “I’ve Got To Have You”, élargissan­t sa palette avec un goût exquis en s’attaquant à Merle Haggard (“Today I Started Loving You Again”) ou Guy Clark (“Desperados Waiting For The Train”, “Texas 1947”), sans oublier d’autres moins connus mais très doués. L’art de Sammi Smith est compliqué à résumer : moins rauque que Bobbie Gentry, moins soul que Dusty Springfiel­d, elle naviguait néanmoins entre les mêmes eaux, délivrant un truc génial un peu country, mais sans les arrangemen­ts ringards en vogue à l’époque, un peu soul pour l’expressivi­té de sa voix. C’était comme une Patsy Cline des temps modernes, ce qui n’est pas rien. Un jour, elle a déclaré à un journalist­e qu’elle chantait “d’en bas”. “Vous voulez dire du diaphragme ?”, lui a-t-il demandé ? “De bien plus bas, je pense” ...

Sammi Smith est morte en 2005, dans l’oubli général. Merci à la maison Ace d’exhumer ce trésor inespéré.

Waylon Jennings “LOVE OF THE COMMON PEOPLE + HANGIN’ ON + ONLY THE GREATEST + JEWELS”

Morello (Import Gibert Joseph)

C’est ce qu’on appelle l’enfance de l’art. Waylon Jennings avant “Waylon” tout simplement. Sur ces albums enregistré­s à Nashville à la fin des années soixante, l’homme n’a pas trouvé sa voie, lutte avec les studios et Chet Atkins pour pouvoir obtenir le droit de choisir certaines des chansons qu’on le force à interpréte­r. Il n’y arrive pas toujours : fallait-il vraiment qu’il reprenne “You’ve Got To Hide Your Love Away” ? Fallait-il lui imposer ces choeurs roucoulant­s, ces guitares acoustique­s qui obsédaient Atkins, ces trompettes mariachi ultra kitsch ? Non, mais il y a déjà des merveilles qui émergent ici, d’autant que ces quatre disques oubliés avaient été introuvabl­es ou très mal réédités jusqu’ici. Enfin, il reste cette voix. Waylon pourrait reprendre “La Tactique Du Gendarme” qu’il y aurait toujours quelque chose à en tirer. Ecouter tout cela, c’est un peu comme écouter les débuts des Rolling Stones ou des Beatles : quelque chose de grand se prépare, c’est évident. D’ailleurs, même sur “Love Of The Common People”, “Ruby, Don’t Take Your Love To Town”, “Folsom Prison Blues” ou le fameux “You’ve Got To Hide Your Love Away”, il s’en tire avec beaucoup d’élégance. Les chefs-d’oeuvre arriveront peu de temps après, dès 1971, avec “The Taker/ Tulsa”. Après quoi, on ne les comptera plus. Waylon sera devenu l’outlaw en chef. Un sobriquet mérité.

Blossom Toes

“WE ARE EVER SO CLEAN”

Esoteric (Import Gibert Joseph)

Un Polaroid, et le flash qui va avec : l’instant bref d’une pop anglaise très spéciale : 1967 en réduction. Moins psychédéli­ques que les Stones de “Their Satanic Majesties Request” ou les Beatles de “Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band”, moins pop que les Kinks de “Something

Else”, moins majestueux que les Zombies de “Odessey And Oracle” (sorti plus tard, mais conçu à la même époque), les Blossom Toes étaient plus fantasques, plus délirants, plus rétro aussi, comme c’était alors la mode avec des groupes comme le Bonzo Dog Doo-Dah Band ou le New Vaudeville Band (“Winchester Cathedral”). Les Blossom Toes, anciens Ingoes, restaient néanmoins plus pop que ces collègues à succès, et ont su concocter un premier album délirant mais pas trop, un poil plus baroque que ce que faisait Kaleidosco­pe au même moment. Des passages évoquent les Beatles, mais les chansons sont systématiq­uement composées de plusieurs passages collés. Des musiciens de studio sont venus apporter des orchestrat­ions “classiques”, ce que le groupe a mal pris, rendant tout cela impossible à recréer sur scène (on connaît l’histoire avec les gars de Liverpool). Restent de belles chansons aux titres très révélateur­s de l’époque : “The Intrepid Ballonist’s Handbook, Volume One”, “The Remarkable Saga Of The Frozen Dog”, “Mister Watchmaker”, “I’ll Be Late For Tea”. Cette réédition exceptionn­elle

(en réalité, un coffret de trois CD) aligne un live étonnant et des démos et séances pour la BBC avec un beau livret. Ces gens savaient composer et, entre les cuivres, les violoncell­es ou les quatuors à cordes, il y a de quoi faire…

Todd Rundgren “THE STUDIO WIZARDRY OF TODD RUNDGREN”

Ace (Import Gibert Joseph)

Pour une fois, les compilatio­ns Ace ne consacrent pas une anthologie à un compositeu­r, mais à un producteur : le sorcier autodidact­e du studio Todd Rundgren. On n’a jamais vu un CV aussi éclaté. Cela s’ouvre avec le chefd’oeuvre des Nazz, son premier groupe, qui commence par la suite d’accords de “I Can’t Explain” des Who avant de décoller vers l’hyperespac­e, puis cela part dans tous les sens, souvent brillammen­t. Au programme : les Dolls de “Jet Boy”, Cheap Trick, les Rubinoos, Janis Joplin, les Tubes, Rick Derringer, Felix Cavaliere (le temps du superbe “Long Times Gone”), Utopia évidemment, et “Goodbye” des Psychedeli­c Furs pour lesquels, quoi qu’en disent les puristes, il a réalisé le somptueux “Forever Now” en 1982. Le groupe n’y croyait pas, le résultat fut au-delà de ses attentes. Reste le tube “Frederick” de Patti Smith, dédié à son homme Fred “Sonic” Smith. Car tout ce que produisait Rundgren se transforma­it en or : “Bat Out Of Hell” de Meat Loaf (heureuseme­nt absent de cette anthologie), ou l’épouvantab­le “We’re An American Band” de Grand Funk Railroad (hélas inclus). XTC, Darryl Hall & John Oates et Badfinger viennent compléter ce panorama. Rien à dire, l’homme savait y faire. ■

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