Rock & Folk

“Live After Death” Iron Maiden

On ne juge pas un livre à sa couverture. Et un album ? Chaque mois, notre spécialist­e retrace l’histoire visuelle d’un disque, célèbre ou non. Première parution : 1985

- PAR PATRICK BOUDET

Entre Eros et Thanatos, Iron Maiden a définitive­ment choisi le monde de l’audelà. Mais en créant cet univers fantastiqu­e et d’horreur, Steve Harris, son fondateur, a également accouché d’un monstre, Eddie, associé au groupe jusqu’à sa mort. Inventé à l’origine par Dave Beazley, le responsabl­e des effets scéniques du groupe, Eddie est d’abord un vulgaire masque en papier mâché déversant du sang sur scène lors de la chanson “Iron Maiden”. Réalisé en fibre de verre, possédant des yeux laser et crachant de la fumée, le masque est ensuite baptisé Eddie The Head ou, plus simplement, Eddie par l’équipe. On peut y voir une référence aux mouvements de tête qu’effectuent les fans de metal, le headbang, ou encore à la guillotine écossaise nommée Maiden, utilisée au XVIème siècle, sachant qu’Iron Maiden désigne également un instrument de torture ayant la forme d’un sarcophage tapissé à l’intérieur de pointes métallique­s. Mais le patronyme Eddie viendrait en fait d’une blague cockney racontant la naissance d’un enfant sans corps et dont les parents attendent la fin de sa croissance pour lui en offrir un. Aussi, le jour de ses quatorze ans, ils lui annoncent avec émotion que son cadeau sera cette fois-ci très spécial, alors Eddie répond ironiqueme­nt :

“Pas un autre putain de chapeau !”

Blague potache pour soirées arrosées au pub, sauf pour le manager Rod Smallwood, qui suit le groupe depuis ses premières répétition­s dans sa maison. Il y voit un personnage fédérateur à la mesure de l’attente du public essentiell­ement adolescent et adepte de films d’horreur. En allant chez EMI qui va signer Maiden, Smallwood découvre sur les murs des pochettes qui lui rappellent l’univers de Roger Dean, un artiste qu’il admire profondéme­nt. Elles sont l’oeuvre de Derek Riggs, illustrate­ur d’albums confidenti­els de jazz (Dick Morrissey & Jim Mullen ; Max Middleton & Robert Ahwai) et de quelques groupes de rock (Steve Gibbons Band, Budgie). En se rendant chez Riggs, grand lecteur de comics, Smallwood tombe immédiatem­ent en extase devant sa dernière production, “Electric Matthew Says Hello”, qu’il destine potentiell­ement à un groupe punk. Smallwood tient là son Eddie, corps et âme. Et cette toile devient illico la pochette du premier LP d’Iron Maiden. Dès lors, le personnage auquel Derek Riggs a donné une apparence va devenir la figure centrale de toutes les pochettes d’Iron Maiden. Et Eddie se pliera à toutes les aventures de chaque album devenant tour à tour zombie, vampire, pharaon, Terminator, gourou, soldat… arborant différente­s coupes de cheveux. Lors d’interviews, Riggs s’est souvenu s’être inspiré d’un photocolla­ge réalisé à l’école dans les années 1970, utilisant la photo d’une tête d’un soldat américain en décomposit­ion collée sur le réservoir d’un char Viêt-Cong parue dans Time Magazine. Après cinq albums, presque tous n° 1 en Angleterre, Iron Maiden publie son premier live enregistré pendant la tournée promotionn­elle de “Powerslave”. Sur la pochette de “Live After Death” (jeu de mots trop tentant pour ne pas être utilisé, Riggs aurait suggéré “Let It RIP”), on assiste à la résurrecti­on d’Eddie (attendue également). L’épitaphe de la pierre tombale est un extrait de la nouvelle de Lovecraft “La Cité Sans Nom”, les vers d’Abdul Alhazred : “N’est pas mort pour toujours qui dort dans l’éternel, mais d’étranges éons rendent la mort mortelle.” Reste à savoir de quelle substance est fait Eddie, est-il cette force étrange, voire maléfique, qui va rendre la mort définitive ? On découvre également la véritable identité d’Eddie, “Edward T H…”, presque complète car une motte de terre en suspension cache la fin du nom qu’on imagine étant “Head”. Après avoir eu le crâne rasé lors de “Piece Of Mind”, Eddie retrouve sa longue crinière. On imagine que les éclairs l’ont ramené à la vie — si tant est qu’on puisse ramener un zombie à la vie — en tout cas, ils lui ont donné une énergie lui permettant de se libérer de ses chaînes et d’afficher sa colère. La métaphore est assez simple : l’électricit­é symbolise la musique d’Iron Maiden propre à réveiller tout le monde, y compris les morts, et à rompre les entraves. On a le sentiment qu’Eddie reçoit cet éclair comme une bénédictio­n. L’herbe au sol en pleine combustion forme des cornes inversées rappelant qu’Eddie est plus un être diabolique qu’un ange gardien.

Mais le plus intéressan­t se trouve au dos de la double pochette. Nous sommes dans un cimetière et les nombreuses pierres tombales avaient pour fonction d’accueillir les titres des morceaux de l’album. L’idée un peu facile est rejetée, alors Riggs y inscrit ce qui l’amuse à l’exception du “Live With Pride”, imposé par le groupe pour rappeler qu’il ne pratique pas le play-back sur scène. Ainsi, Riggs se dédie une sépulture “Here lies Derek Riggs”, rend hommage au Grateful Dead et installe un chat auréolé. Dans le ciel plane l’ombre de la mort, motif récurrent sur quelques pochettes (“Somewhere In Time”, “The Trooper”). Riggs confesse s’être inspiré de “La Destructio­n De Sodome Et Gomorrhe” de John Martin (National Gallery de Londres), où la foudre détruit les villes pécheresse­s, ce qui, picturalem­ent, ne saute pas aux yeux. Mais sa foudre vengeresse détruit, elle, deux tours par le sommet. Est-ce une vision prémonitoi­re du 11-Septembre ? Dès lors, on est en droit d’imaginer que les éclairs ne s’abattent pas sur Eddie, mais qu’il en est l’origine. Eddie seraitil donc cet “étrange éon” qu’évoque Lovecraft ? Celui qui rend la mort mortelle ; Eddie plus fort que la mort, plus fort que le diable puisqu’il le manipule (pochette de “The Number Of The Beast”). Plus qu’une figure maléfique définitive, Eddie est surtout devenu une mascotte modulable — dernier avatar 2021 : un samouraï —, icône de ralliement des fans pour un groupe qui brave le temps… et la mort. ■

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