Rock & Folk

La voix du moustachu Magi

Groupes hard rock, groupes cultes

- PAR JONATHAN WITT

AU FIL DES ANNÉES, LA SÉRIE DE COMPILATIO­NS INTITULÉE “BROWN ACID”, éditée par le très inspiré label Riding Easy, a permis de remettre en lumière de nombreux attelages, souvent hirsutes et américains, versant dans le hard rock caverneux, parfois issus de rares autoproduc­tions et autres pressages privés. Parmi ceux-là, Magi, qui a illuminé le neuvième volume avec son létal “Win Or Lose”.

Transporto­ns-nous cette fois vers la Rust Belt, cette industrieu­se région du nordest des Etats-Unis : plus précisémen­t, à Goshen, dans l’Indiana, d’où le célèbre réalisateu­r Howard Hawks était originaire. Très tôt, John Gaut est engrainé dans un groupe par son cousin, Willy Gaut, guitariste rythmique des Rivieras, sympathiqu­e formation surf rock qui a décroché un petit tube avec l’attachante “California Sun” en 1964. Ensemble, ils s’échinent sur des succès du moment comme “House Of The Rising Sun” dans le garage familial. A quinze ans, John monte Wombat avec le batteur Jerry Wiggins et se produit dans le coin avec un répertoire bâti autour de

Black Sabbath, Cream et Alice Cooper. Un peu plus tard, John croise le six-cordiste Larry Stutzman par un heureux hasard : la soeur de ce dernier sort avec son colocatair­e. C’est un acharné qui pratique son instrument jusqu’à huit heures par jour, et dont le paternel a accompagné rien de moins que Johnny Cash. Larry a son propre groupe, Skull, pour lequel il vient de recruter un blondinet, également forcené de la sixcordes, Steve Vanlaningh­am. Il décide de le renommer Magi, en référence au Nouveau Testament, puis d’y adjoindre John Gaut et Jerry Wiggins. Cette formation grave une démo de quatre titres en 1973 avant de tisser sa toile dans l’Indiana, le Michigan et l’Ohio. Entre ses propres compositio­ns et des reprises de Montrose, Blue Öyster Cult ou Aerosmith, il agrège un public loyal et fidèle, laminant le bitume en compagnie de gangs locaux comme Kopperfiel­d et Ethos. Magi perd alors son bassiste Larry Hertzler, qui s’oriente vers des études d’ingénieur du son, laissant sa place au plus expériment­é Tom Stevens. Nous sommes en 1975 et Magi souhaite à présent passer, logiquemen­t, à l’étape de l’album. Le quintette rassemble donc ses meilleurs morceaux, rodés pendant plusieurs années de labeur, ainsi que ses maigres deniers, pour s’offrir un peu de temps dans le studio Uncle Dirty’s Sound Machine, situé dans l’auguste bourgade de Kalamazoo, dans le Michigan. Son propriétai­re est Bryce Roberson, ancien requin de studio pour le label Chess, qui a eu l’honneur de seconder Muddy Waters (sur l’excellent “Elecric Mud”) ainsi que Howlin’ Wolf. L’homme, de facto producteur de l’opus, n’est pas très amical, et même plutôt condescend­ant. Son travail n’est pas vraiment apprécié par Magi : le son n’est pas aussi puissant qu’espéré. Néanmoins, les mille exemplaire­s de la galette s’écoulent vite grâce à la popularité du groupe, ainsi qu’à quelques passages en radio sur les ondes locales. Il faut dire que “Win Or Lose” est un très bel effort, dont la réputation est méritée. Il s’ouvre sur la chanson-titre, épique chevauchée bâtie autour d’un riff sinueux qui montre immédiatem­ent les qualités du quintette : la voix du moustachu Gaut, aigrelette, juvénile, pleine de morgue, des guitares qui s’entrechoqu­ent, un bassiste volubile, soutenu par une batterie métronomiq­ue au son mat. On peut penser à Steppenwol­f. L’excellente “Runnin’ Low” suit la même crépitante recette. “Undecided Man”, midtempo aux fragrances sudistes enluminé par un solo chatoyant, fait penser à Neil Young, tout comme la ballade “Snow Bound”. Les bretteurs mitraillen­t à coeur joie sur “I Didn’t Ask You” ou l’épique “Fryin’ Away Time”, longue de presque sept minutes. Les mois suivants confirment cette montée en puissance. Magi décroche une apparition à la télévision sur une filiale d’ABC TV, puis les premières parties de Frijid Pink, Roadmaster, l’ex-Mountain Leslie West ou encore Brownsvill­e Station. Parfois, ils éclipsent même la tête d’affiche avant qu’un technicien zélé ne coupe les micros… En 1977, le vent tourne. L’oncle de Larry Stutzman, pionnier du rock chrétien, incite Magi à venir sur la côte Ouest, mais Steve Vanlaningh­am décide ne pas faire le voyage, ayant une famille à charge. Il est remplacé par Greg Miller, puis Magi met les voiles pour Los Angeles. Las, le punk a frappé et le hard rock héroïque du groupe n’a plus sa place, désormais passé de mode. Nos chevelus persévèren­t, jouant même au Gazzarri’s, fameux club du Sunset Strip, avant que l’édifice ne commence à se disloquer. Wigins retourne dans l’Indiana, puis Magi change de nom et de style pour essayer de coller à l’air du temps. Gaut ne tarde pas à suivre son ancien compère sur le chemin du bercail. Stutzman, Stevens et Miller s’orientent ensuite vers la country. Parmi les trois, seul Stevens aura une carrière réellement intéressan­te puisqu’après avoir autoprodui­t le très power pop “Point Of View” (1981), il rejoindra The Long Ryders en 1983. ■

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