Raoul Vignal a pas mal bourlingué
Dans le flot ininterrompu de disques qui alimente cette rubrique, les nouveaux venus côtoient souvent ceux qui ont déjà fait l’expérience de l’autoproduction. Et, parfois, l’écart entre les deux peut se mesurer en décennies. Ce mois-ci, des vétérans éprou
Depuis sa création, Rosenthal (Dunkerque) a dû passer sous pas mal de radars car il fête ses quarante ans d’existence avec un album remarquable. S’il ne résiste pas au plaisir de deux reprises emblématiques (empruntées à Wilko Johnson et aux Beatles), le quintette épate surtout par sa cohésion et la force de son répertoire personnel. Son domaine de prédilection est un rock à guitares imprégné de rhythm’n’blues et dopé par un chanteur à coffre, des choeurs pétillants et un saxophone. Quelques essais francophones évoquent les meilleurs morceaux des défunts Satellites, mais avec des paroles d’actualité : “Un beau jour tu comprendras/ Quand on aime on ne tue pas” (“Rock !”, facebook.com/ groups/Rosenthal-78658382656/).
En dix ans d’existence, le groupe marseillais Temenik Electric n’a pas chômé : deux EP, trois albums et plusieurs centaines de concerts. Son nouvel essai cultive un mélange abouti de rock oriental pimenté d’épices house. Entre basse, batterie, oud, guitares et machines, la transe impose sa loi en électrisant la tradition et en la confrontant aux pulsions electro au gré de la voix ensorcelante de Mehdi Haddjeri qui déambule voluptueusement, se permet quelques incartades en français mais atteint des sommets quand il privilégie l’arabe avec “Manich Maleik” et “Beit Barra” (“Little Hammam”, Nomad Café / Musigamy, facebook.com/temenikelectric).
En matière de blues, Awek n’a pas de leçons à recevoir. Et sa carte de visite a de quoi faire pâlir d’envie la plupart de ses confrères : vingt-huit ans d’existence, mille huit cents concerts dans le monde entier, des prestations remarquées dans les festivals de blues et de jazz… Pour son douzième album anglophone, le quartette émérite a délaissé les USA (où il a enregistré les quatre précédents) pour le concocter pratiquement à la maison, près de Toulouse, et cette volonté de retour aux sources est une réussite. La démonstration est suffisamment bluffante pour se passer de tout effet superflu : Awek respire le blues et s’y délecte avec une facilité confondante (“Awek”, Mojo Diffusion, awekblues.com, distribution Absilone).
Depuis ses débuts en solo au début du siècle, Raoul Vignal a pas mal bourlingué : il a quitté Lyon pour aller se frotter à d’autres musiciens à Berlin, enregistrer deux albums à partir de 2015, tourner, s’installer à Paris puis regagner sa ville natale où il a conçu ce nouvel essai avec pour unique partenaire un batteur discret.
Et cette formule intimiste convient particulièrement bien à son folk délicat porté par une voix suave et un jeu de guitare tout en finesse : les onze morceaux anglophones évoluent en apesanteur et tissent leurs mélodies éthérées (“Years In Marble”, Talitres, facebook. com/raoulvignalmusic).
Depuis 1988, Steff Tej & Ejectés sont l’une des valeurs les plus sûres du reggae made in France, avec près de deux mille concerts et plus d’une dizaine d’albums à son actif. Originaire de Limoges, le groupe a connu bien des formations sous la houlette avisée de Steff Tej, mais n’a jamais dévié de ses fondamentaux, comme le montre ce second volume d’une compilation de ses meilleurs moments : la défense d’un reggae-rock pétri d’influences jamaïcaines qui ose faire le pari francophone et remporte haut la main le challenge grâce à ses compositions attrayantes, ses mélodies chaloupées et la voix décontractée de son leader-crooner (“Since 88 – vol 2”, Les Disques Du Tigre, ejectes. com, distribution L’Autre Distribution).
Avec son second album anglophone depuis 2018, Dragon Rapide, le trio clermontois, poursuit son cheminement dans une power pop placée sous l’influence de R.E.M. et des groupes des années quatre-vingt-dix. Très mélodiques, les douze morceaux se distinguent par leur caractère enjoué, leur délicatesse harmonique et l’attention particulière apportée aux guitares, aux voix (et notamment aux choeurs dans une tradition héritée des Beatles). Si le midtempo est souvent privilégié, le rythme s’emballe parfois avec une vivacité communicative (“Mumbo Jumbo”, Atypeek Music/ Le Pop Club Records/ Ganache Records, facebook.com/ dragonrapidemusic, distribution Modulor Music/ Clear Spot Irascible Music).
Figure bien connue de la scène tourangelle, X-Ray Pop poursuit depuis les années quatre-vingt une carrière intermittente jalonnée de nombreux albums. A l’origine duo pop electro, la formation a connu de nombreuses moutures et évolutions. Pour cet enregistrement d’un concert dans le cadre du festival Les Rockomotives, le groupe réunit sept musiciens qui réalisent des prouesses dans un registre psychédélique, au gré de longues mélopées aériennes conçues par la figure de proue Doc Pilot (dont deux avec Yves Adrien et Jean-Pierre Kalfon) et d’une reprise lancinante du “I Wanna Be Your Dog” des Stooges (“Live Rockomotives Festival”, Figures Libres Records, facebook.com/X-RAYPOP, distribution L’Autre Distribution).
Fondé en 2016 par des musiciens qui ont déjà roulé leur bosse, Marcellus Rex sort un second album trois ans après le précédent. Dès le premier des neuf morceaux, un gros son saturé impose sa loi en s’appuyant sur des rythmiques martiales. Mais le trio bordelais ne se limite pas à ces coups de poing un peu rêches : il s’aventure également avec un sens éprouvé du climat dans la ballade ténébreuse, dans le blues poisseux, dans l’expérimentation ou dans un instrumental planant dont le titre (“Back For Sabbath”) laissait à tort présager un hommage à l’un de ses groupes fétiches des années soixante-dix, aux côtés de Queens
Of The Stone Age ou Faith No More
(“II”, Marcellus Rex, marcellusrex.com). ■