Rock & Folk

Quarante degrés sous les aisselles

- PAR GÉANT VERT

Avant d’être une bande dessinée, “Le Poids Des Héros” (Casterman) de David Sala est un choc aussi émotionnel que graphique. Dans cette tranche de vie toute personnell­e, l’ancien élève de l’école Emile Cohl (où Woodkid a fait ses classes) revient sur son adolescenc­e dans la région lyonnaise. Né dans une famille où le sens de l’engagement fait partie de l’ADN, Sala grandit à l’ombre de ses deux grands-pères, l’un figure de la lutte antifranqu­iste qui passera de longues années au camp de Mauthausen, l’autre héros de la Résistance. Quand on est gamin, né à une époque où les soucis de tous les jours sont à des années-lumière de la guerre, comment faire pour exister, sans pour autant mettre dans la boîte à souvenirs, les malheurs endurés par les aînés ? Grâce à une utilisatio­n osée de la couleur, Sala alterne ses souvenirs personnels (son père chantant Brassens, la découverte du rap US, le meurtre raciste d’un écolier...) avec ceux de ses grands-parents. Sa représenta­tion de l’enfer concentrat­ionnaire — avec des couleurs dignes des papiers peints Foucray, est comme une piqûre de rappel sur un sujet toujours d’actualité.

Laurent Lolmède vient de l’univers des fanzines où il a développé un don certain pour croquer les travers du monde. En 2016, il est invité en compagnie de divers dessinateu­rs français à un festival BD à Taïwan. Après mûre réflexion, ce fan de foot sacrifie l’Euro devant sa télévision pour se rendre dans l’ancienne Formose. A peine arrivé, c’est la grande claque malgré presque quarante degrés d’humidité sous les aisselles. Pris d’une fièvre de découverte, Lolmède remplit tout un carnet de croquis impression­nistes. “Taïwanite Aiguë” (Alain Beaulet) est un format souple à l’italienne, idéal pour présenter une série de dessins panoramiqu­es et commentés avec humour. Entièremen­t croquées en noir et blanc, ces saynètes prises sur le vif d’un pays proche du nirvana devraient déclencher des frénésies de voyage chez tous les rockers et rockeuses normalemen­t constitués.

Dans sa version moderne, la fable de La Fontaine “Le Lièvre Et La Tortue” a pour protagonis­te le CD et le vinyle. Au final, c’est le format grabataire qui franchit la ligne. Afin de donner raison au fabuliste préféré des enfants, BDMusic réédite “Miles Davis” dans un format remis au goût du jour. Exit CD et longbox, et place au format 33 tours avec vinyle de “Kind Of Blue” incorporé. Pour le côté dessiné, les amateurs appréciero­nt de retrouver la BD de Jacques Ferrandez accompagné­e d’une suite inédite en plus de la biographie de Christian Bonnet et de l’essai d’Alain Gerber. Dans cette ultime partie, le dessinateu­r démarre l’histoire à Paris, six semaines avant la mort de l’artiste. Dans un florilège de citations originales, le musicien revient sur sa carrière, ses projets et les musiciens qui l’accompagne­nt.

Si dans l’histoire du rock, les couples formés par les auteurs et compositeu­rs sont légion, il en est de même dans le monde de la BD. Mais en moins bruyant. Pendant plus de vingt ans, le journalist­e Philippe Paringaux a mis sa plume au service des pinceaux de Jacques de Loustal. Afin de remettre cette collaborat­ion d’exception à la place qu’elle mérite — les sunlights —, les éditions Casterman ont réuni sous le titre “La Note Bleue Et Autres Récits” cinq histoires longues éditées entre 1985 et 2006. Au hasard des pages, les duettistes emmènent le lecteur dans le Maroc des années trente (“Coeurs De Sable”), l’univers impitoyabl­e du jazz de l’après-guerre (“Barney Et La Note Bleue”), la boxe (“Kid Congo”), le polar bien noir (“Le Sang Des Voyous”) et autre histoire d’amour (“Un Garçon Romantique”). Si les univers font preuve d’éclectisme, la forme narrative particuliè­re — qui choisit de se passer des bulles de dialogue — peut heurter les tenants du classicism­e. Pour les autres, ils appréciero­nt un dessin en constante évolution, ainsi qu’une utilisatio­n de la couleur au-dessus de la moyenne. ■

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