A la fois brillant et pénible
Morrissey, L’Insoumis
NICOLAS SAUVAGE
Camion Blanc
On n’a jamais été les plus grands fans de Morrissey par ici et, si on a vu ce qu’il a représenté pour ses admirateurs, il n’a jamais été ni encensé ni vraiment apprécié en ces pages, reconnaissons-le. Et ça, c’était avant le tas de déclarations douteuses ou ouvertement dégueulasses du mec qui a transformé sa misanthropie naturelle et son mépris général en boue brunissante, raciste et nationaliste, à l’opposé des valeurs qu’il affichait auparavant. Nonobstant l’encombrant bagage, on a tout de même ouvert le livre de Nicolas Sauvage, “Morrissey, L’Insoumis” avec curiosité, espérant enfin grâce à ses 624 pages, y percer le secret de l’attraction et du mystère affiché du bonhomme. Inutile de préciser encore une fois ici — ouais, on radote — que 624 pages, c’est fort long pour un livre qui s’adresse donc aux vrais vrais fans et effraiera sûrement les simplement curieux, parce qu’il faut être vraiment au taquet sur notre cher charmeur pour se taper un tiers de “Guerre Et Paix” sans avoir envie de sauter parfois les scènes de batailles et se concentrer donc sur lui et sa musique. Le fait est que Morrissey n’est pas qu’un odieux type, les Smiths ont réellement présenté un univers très original et leur musique a transpercé le coeur de toute une génération d’amateurs de rock qui ne se retrouvaient pas dans les paroles simplistes et les mélodies de leurs contemporains. Nicolas Sauvage en faisait sans doute partie, et sa passion pour le groupe et pour Morrissey marque son texte enthousiaste et très érudit. Pour autant, l’avalanche de détails, de longs contextes ou de minuscules précisions, certes en rapport avec le sujet mais sur 624 pages donc, n’aident pas forcément le novice à distinguer la source de cette dévotion longtemps inextinguible. Morrissey a toujours été à la fois brillant et pénible, et la courte histoire du groupe en témoigne autant que ses horribles relations avec Johnny Marr, l’autre, ô combien plus aimable, fondateur. Son talent de parolier et de chanteur a touché les foules et serait sans aucun doute toujours aussi hautement considéré et célébré si Morrissey n’avait fini par s’aliéner une très grande partie de son public. Mais pas Sauvage qui, l’amour sans doute, ne mentionne même pas la plupart de ses scandaleuses déclarations, racistes — “Les Chinois sont une sous-espèce” — ou xénophobes, ni ses soutiens répétés au nationalisme le plus crasse, ni ses petites phrases dégueulasses
“La gauche tarée d’aujourd’hui oublie qu’Hitler était de gauche” ou ses basses insinuations sur les victimes de quatorze ans de Kevin Spacey. Rien non plus sur la vie sentimentale de Morrissey, comme si ne pas en avoir n’était pas déjà en soi un sujet pour un biographe, surtout si l’on considère que les rares confidences de Morrissey évoquent une grande histoire d’amour homosexuelle et tout ce que cela sous-entend d’expériences compliquées dans l’Angleterre thatchérienne et homophobe des débuts du sida, sans même parler du milieu ultra macho du rock. Sauvage, et il n’est pas le seul parmi ses fans raréfiés, l’exonère même généreusement : “Il est assez peu probable que Morrissey soit foncièrement raciste et il semble plus raisonnable d’avancer l’idée selon laquelle il défend son pré carré et ses racines culturelles avec parfois peu d’intérêt pour ce qui lui est totalement étranger”, gracieux euphémisme pour éviter de parler de nationalisme puant mais sans aucune autre base que la bienveillante opinion personnelle et le voeu pieux de l’auteur. On touche là l’autre problème flagrant du livre, l’absence de sources, la bibliographie y est réduite à deux livres dont l’autobiographie de Morrissey, sans références aux dizaines d’interviews, centaines d’articles, heures de documentaires et tous autres travaux sur lesquels Sauvage a forcément basé son énorme boulot, et cette regrettable et incompréhensible absence — pas d’index non plus d’ailleurs — sape tout de même pas mal la crédibilité du livre et l’empêche d’être la bible définitive que Sauvage espérait sans doute écrire.
Profession Rock Critic, Volume 2
ALBERT POTIRON
Gonzaï Media
Franchement, un livre sur les rock critics n’était pas celui qui nous faisait le plus fantasmer de cette rentrée hivernale. On en connaît déjà pas mal, des rock critics, par la force des choses, et on était sûr d’en savoir assez sur ceux qu’on aime bien, et déjà bien trop sur ceux qu’on apprécie moins. On se trompait. “Profession Rock Critic” Volume 2, nous fait découvrir sous un autre angle des journalistes dont on connaissait déjà le travail mais rarement le parcours personnel qui leur a permis d’approcher ainsi le saint des saints. Les vocations sont souvent apparues par hasard, l’amour de la musique et la possibilité d’obtenir des albums gratuits toujours au premier rang des motivations, suivies par l’envie irrépressible de donner son brillant avis et/ ou de faire découvrir des artistes adorés. On reconnaît, dans les portraits en forme d’interviews, la patte et les styles qui nous ont fait rêver dans R&F et ailleurs, et les carrières ici croisées reconstituent fidèlement le tout petit monde du journalisme de rock en France. L’un parle autant de fringues que de musique, l’autre de toutes les stars tombées dans ses bras, certains auraient voulu être des stars eux-mêmes mais la plupart n’étaient que des obsédés de musique qui avaient trouvé, souvent miraculeusement à leurs propres yeux, le moyen de vivre chichement de leur passion. Les généreux rendent hommage aux rencontres musicales fabuleuses et aux collègues croisés ce faisant, d’autres persiflent et règlent leurs comptes, les uns remercient leur chance extraordinaire, d’autres name-droppent avec délice, certains assument leurs grosses erreurs de jugement passées ou leurs interviews ratées quand quelques-uns restent, eux, accrochés à leurs obsessions musicales mais tous, tous, passionnés et généralement intéressants. “Almost Famous” était la vision hollywoodienne de la vie rêvée d’un rock critic, ici c’est la version réaliste qui parfois, it’s all happening, coïncide joliment. ■