MELODY’S ECHO CHAMBER
Nouvel album, nouvelle vie, inspiration au zénith : la Française, championne d’un psychédélisme perché dans les cumulonimbus, est de retour.
“La musique que je rêvais de faire”
DIX ANS APRÈS SON PREMIER ALBUM, Melody’s Echo Chamber fournit enfin un troisième volume de ses rêveries. Au cours de cette décennie qui n’attendait qu’elle, Melody Prochet a opté pour l’effacement progressif : arrêt des concerts, puis un deuxième disque torturé mais magnifique (“Bon Voyage”, 2018), sorti par une artiste qui n’avait plus tellement envie de jouer le jeu. On ne s’y attendait pas, “Emotional Eternal” est une merveille. La forme : toujours cette pop mélancolique chantée par une voix de falsetto juchée dans les nuages. Superbe, même si forcément moins surprenant depuis que tant d’autres ont tenté de sonner comme elle ou Tame Impala (on rappelle que Kevin Parker a produit le premier album). Le fond, c’est-à-dire les chansons : grandiose également. La Provençale porte bien son prénom.
Champs de lavande et oliviers
C’est le printemps, Melody est à Paris et les cigales chantent avenue de Clichy. “Ma vie a pris un joyeux tournant en devenant mère, explique-telle d’emblée. Le premier surgissement a été cette chanson que m’a inspirée ma fille : ‘Alma’. C’est ce qui a déclenché le reste. Je ne m’y attendais pas. Après ‘Bon Voyage’, je pensais que j’en avais fini. Cette chanson, un heureux accident, a été le début d’autre chose. C’est un papillon, un poème pour la vie. Je l’ai faite la première nuit où j’ai été séparée d’elle, ça a été cathartique. J’ai refait de la musique comme ça.” Sur le disque, on retrouve la même bande de Suédois présente sur “Bon Voyage”, Reine Fiske et ses collègues de Dungen et The Amazing, des Scandinaves brillants à tous les postes, mention spéciale pour ces parties de basse dignes d’Herbie Flowers. Avec ses cordes, ses synthés discrets, ses guitares agiles et ses cithares stéréo, “Emotional Eternal” est une ode aux instrumentistes, plus naturelle que les assemblages chimiques de “Bon Voyage”. Seulement, une contingence peu pratique nommée Covid a forcé la Française à bosser la plupart du temps à distance. En dehors de brefs séjours dans les environs de Stockholm, elle composait et arrangeait dans le Sud sur un petit clavier MIDI, ou développait des idées sur des suites d’accords envoyées par l’équipe nordique. “L’album, c’est la Suède et le sud de la France. Enfin, les Alpes-de-Haute-Provence, c’est pas pareil. J’ai trouvé mon petit bout de terre, où je peux mener une vie paisible. C’est comme un autre monde. On est entouré de champs de lavande et d’oliviers. Il y a une forêt où je vais marcher assez souvent. C’est un sanctuaire, j’en ai besoin. Ça me permet d’être plus sereine.” L’entretien digresse alors sur le thème des arbres mais, pour la chanteuse, il est surtout question de changement de vie, de réinvention loin des vanités du psyché. “Récemment, je me suis ancrée à nouveau dans la réalité. Je travaille en maison de retraite, je fais des études d’artthérapie. Apprendre est très nourrissant. Ce sont des études éclairées par la psychanalyse. On peut faire le lien avec la création artistique, je fais aussi des liens avec mon propre cheminement. J’adore les personnes âgées. Les gens que je rencontre sont extrêmement différents de ceux du milieu où j’évoluais, c’est enrichissant. J’aime bien mener une vie ordinaire, simple, et en même temps avoir une vie de rêverie un peu secrète et extraordinaire. J’ai fait l’album en m’offrant de petites vignettes de quelques heures pour créer, tous les deux jours. Cette contrainte, ce cadre m’ont fait énormément de bien.”
Mélèzes et noisetiers
La suite ? Toujours pas de concerts, a priori. “Ce n’est pas très rigolo pour mon manager qui doit dire non à tout.” Un quatrième disque, en revanche, semble possible. “J’aimerais aller vers quelque chose d’encore plus silencieux. Un mix d’ambient et de grooves.” Namasté. A trentecinq ans, Melody Prochet a trois décennies de musique derrière elle : le conservatoire comme altiste, des maquettes à l’adolescence avec son frère désormais ingénieur du son, un album imparfait mais déjà intéressant sorti sous l’alias My Bee’s Garden (2010) et, donc, trois splendides disques de MEC. A juste titre, les esthètes de la pop ne cessent de réévaluer l’importance de l’unique album de Margo Guryan ou de l’oeuvre de Broadcast (“C’était la musique que je rêvais de faire”, dit-elle). Guryan et Trish Keenan, hélas, ne sont plus de ce monde. Apprécions donc la plénitude artistique de leur cousine de la garrigue. Et, en cas d’insuccès, il restera toujours la marche au milieu des cèdres de l’Atlas, des pins, des mélèzes et des noisetiers... ★
Album “Emotional Eternal” (Domino)