Father John Misty
“Chloë
And The Next 20th Century”
PIAS
Vous reprendrez bien un peu de chansons d’amour ? Josh Tillman, le singer-songwriter réincarné en hipster hors-sol, popster brumeux, misty ou mystique, s’invente un espace-(hors du)-temps où toutes les showtunes, les chansons de films et les ballades de jazz romantiques seraient écrites par lui. On voit venir le disque de taxidermiste fou, les flonflons, la chantilly sonore et le savoir-faire vintage du producteur Jonathan Wilson. Le temps de se préparer un smoothie concombre-gingembre pour siroter le disque comme s’il n’engageait à rien, ornementé mais invisible, quelque chose d’inattendu se passe. Un ange, peut-être. A la seconde chanson, “Goodbye Mr Blue”, hommage avoué au “Everybody’s Talkin’ ” version Nilsson et à tous ceux qui l’ont copié, on sent une présence, une rémanence, presque une surimpression. Au troisième titre, “Kiss Me”, c’est un dénuement dépouillé, presque à vif, l’écho d’une émotion viscérale, oubliée, inouïe. Son fantôme, peut-être... Et le fantôme, parfois, c’est encore plus fort, plus entêtant que la chose elle-même, à ne pas vouloir mourir, à s’accrocher à sa part d’éternité. Petit à petit, l’auditeur fait le tri, écarte les écrans de fumée du style, pour ne plus entendre que la profondeur mélodique, les lignes de basse à la Carol Kaye (“(Everything But) Her Love”, “We’re Only Strangers”) et cette voix merveilleuse, au bord du murmure et du précipice existentiel (“Buddy’s Rendezvous”), s’efforçant de ne pas déranger les âmes qu’elle a réveillées. Ces âmes, il faut les honorer, les choyer, les magnifier, d’un changement d’accord renversant, un saxophone plaintif, un silence utile, un rythme bossa, une vapeur d’encens envoûtante. Derrière le rideau de velours rouge de l’exercice de style brûle la flamme d’une bougie que rien ne pourra éteindre. ✪✪✪✪1/2