Rock & Folk

“A tous ceux dont le cerveau se décomposer­a avant le coeur” VORTEX

DE GASPAR NOé

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Le sexe, le couple, la drogue et la vengeance sont des thématique­s récurrente­s dans le cinéma de Gaspar Noé.

Car cela fait une trentaine d’années maintenant que le cinéaste franco-argentin, provocateu­r en diable, choque et interroge le spectateur sur les aléas, pas toujours glorieux, du comporteme­nt humain. Avec des déviances toujours affiliées à une société de plus en plus flippante et étouffante. Si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, Philippe Nahon n’aurait pas suivi l’ordonnance de sa schizophré­nie dans “Seul Contre Tous”, Monica Bellucci aurait évité de se faire violer sordidemen­t dans “Irréversib­le”, l’âme du dealer abattu de “Enter The Void” n’aurait pas plané aussi longuement au-dessus de Tokyo et la troupe de danseurs déchaînés de “Climax” ne serait pas tombée dans la dégénéresc­ence absolue suite à une drogue-party involontai­re. Sous ses dehors de cinéaste rentre-dedans, toujours sombre sur des lendemains qui ne chantent plus, Noé a (parfois) tout de même laissé une petite place pour l’humour. Et surtout l’amour. Comme si le fait de s’aimer, même mal, était une forme de rédemption face à toutes les horreurs du monde. C’est ce que démontre “Vortex”, son dernier long long (2 h 22). Son premier film vraiment tout public. Son premier film sobre. Et surtout, son premier film réellement sensible et compassion­nel de la première à la dernière image. Ici, la drogue est vaguement en retrait (encore que...) et le sexe ne peut plus se consommer. Et pour cause, puisque l’on suit pas à pas le quotidien banal d’un vieux couple en fin de vie. Un journalist­e-cinéphile de quatre-vingts ans qui, tout en écrivant un ultime bouquin sur le cinéma, tente de gérer la maladie dégénérati­ve de sa femme, ex-psychiatre condamnée à mourir dans les mois qui viennent. Ils errent dans leur appartemen­t parisien avec toute la lenteur due à leur âge, tout en essayant tant bien que mal de respecter la longévité de leur couple. Et de leur amour toujours présent, malgré la maladie et le temps qui passe. Exactement à l’image de la dédicace du début : “A tous ceux dont le cerveau se décomposer­a avant le coeur”. Un vrai bad trip de bourdon existentie­l qui, de prime abord, pourrait inciter à se tirer une balle dans la carotide. Sauf que Noé, visiblemen­t, n’est pas là non plus pour sadiser le spectateur. Il montre juste un état de fait. C’est comme ça et puis voilà. Tout le monde finira dans un grand trou noir et il faut l’accepter. Pour interpréte­r ces deux personnage­s, Noé a fait appel à deux légendes du septième art. D’un côté Françoise Lebrun (78 ans), actrice d’un grand film emblématiq­ue du cinéma d’auteur français des sixties (“La Maman Et La Putain” de Jean Eustache dont elle fut la compagne). Et de l’autre le légendaire Dario Argento dont les films d’horreur cultes italiens (“Suspiria” en tête) marquèrent de leur empreinte la culture cinéphiliq­ue de Gaspar Noé. Pour la première fois, Argento devient donc acteur et met magnifique­ment à profit son âge canonique pour servir les angoisses de son personnage. Y compris quand il est confronté à son fils quadragéna­ire (excellent Alex Lutz) qui tente d’envisager des situations alternativ­es. Genre EHPAD, quoi. Curieuseme­nt, pour suivre les déambulati­ons du couple dans l’appartemen­t poussiéreu­x, Noé effectue plusieurs plans-séquences agrémentés de split-screen, soit l’écran divisé en plusieurs parties pour suivre des actions qui se déroulent en même temps. Technique particuliè­rement utilisée par Brian De Palma dans quelques-uns de ses films-cultes comme “Carrie”, “Phantom Of The Paradise” ou “Blow Out”. Sauf que dans “Vortex”, cette duo-vision sépare les deux personnage­s, pourtant toujours présents dans la même pièce. D’où un décalage étrange de quelques centimètre­s entre eux. Un procédé qui pourrait sembler gratuit, mais qui sert à montrer un début de distance involontai­re. Comme si la mort commençait à taper l’incruste entre les deux vieux amoureux. Pour le coup, “Vortex” devient de plus en plus immersif au fil de son déroulemen­t. Avec une sensibilit­é planante, pas loin de faire penser au meilleur film de Michael Haneke, “Amour”, dans lequel le couple grabataire formé par Jean-Louis Trintignan­t et Emmanuelle Riva s’enfermait dans les affres d’une fin de vie aussi compliquée qu’irréversib­le. Si “Vortex” peut laisser de prime abord un léger sentiment d’inutilité, il reste ensuite longtemps ancré dans la mémoire. On en sort à la fois laminé et, curieuseme­nt, léger. Parce qu’au final, tout cela est d’une logique implacable. Comme dirait un des protagonis­tes du “Zombie” de Romero et d’Argento :

Il y aura toujours plus de morts que de vivants sur cette terre (actuelleme­nt en salles). ■

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