Le Journal D’Andy Warhol
Si on pose la question de savoir qui est l’emblème absolu du pop art, on ne pense évidemment pas à Vincent Van Gogh ou à Marcel Gotlib,
mais bel et bien à Andy Warhol. Avec son look à jamais identifiable (perruque blanche et lunettes rétro), Warhol ressemblait vaguement à un lointain cousin de David Bowie période “L’Homme Qui Venait D’ailleurs”. Ou à une sorte d’icône un peu désincarnée. Et pourtant, il y a un coeur angoissé et meurtri qui a battu cinquante-neuf ans derrière cette image du dandy Warhol, qui a voulu montrer au monde entier sa face sensible en se confiant sur ses nombreux états d’âme via un journal intime qu’il a tenu pendant deux décennies (publié en France en 1990). Journal qui prend forme dans ce documentaire de sept heures (et de six épisodes) made in Netflix. La voix off de Warhol, étrangement reconstituée à l’aide d’une intelligence artificielle, égrène ainsi une partie de sa vie. Et on en apprend beaucoup. Surtout sur son intimité et ses pensées joyeuses et nihilistes, ses travaux ayant déjà fait l’objet d’analyses dans de nombreux autres documentaires. Ainsi, “Le Journal D’Andy Warhol” revient longuement sur sa relation avec John Gould (un cadre de la Paramount) dont il était fou amoureux. Ainsi que Jean-Michel Basquiat, son petit protégé, avec lequel il avait une étrange relation père-fils mêlée d’amour platonique. Comme il se doit, tout cela est raconté à l’aide de kilotonnes d’archives (photos, reportages télé, films amateurs, interviews à l’arrache) qui tentent d’entrer le plus profondément possible dans sa psyché torturée. Histoire de montrer à quel point ses angoisses (rester éternellement jeune, être célèbre jusqu’à la fin des temps, se défaire de son personnage public, la tentative d’assassinat qui lui a laissé le thorax meurtri) ont influé ses créations. Extrêmement bien monté, formidablement mené, le doc dresse aussi une véritable cartographie nostalgique, sociale et sensitive du New York des années 1970/ 80. Avec, évidemment, la came, le sida, les graffitis, la liberté en croupe, le hip-hop et les folles soirées cotillons/ torses nus du Studio 54. Un semblant de libération pour Warhol, qui fut élevé dans un patelin proche de Pittsburg, à une époque où être gay relevait quasiment du non-sens humain. Comme il se doit, un grand nombre de personnalités qui ont fréquenté Andy Warhol apportent leurs témoignages nostalgiques. Dont Rob Lowe, acteur bellâtre des eighties, John Waters, pape du trash movie, le photographe David LaChapelle, ou encore Jerry Hall, la plus célèbre ex de Mick Jagger. Tourné proprement à la HBO, “Le Journal D’Andy Warhol” n’aurait probablement été qu’un bon documentaire de plus. Sauf que Ryan Murphy, showrunner d’excellentes séries pro-gay pour Netflix (“Halston”, “Hollywood”) a mis sa patte stylistique sur cette méga entreprise. Les six épisodes baignant dans des couleurs délavées et fantomatiques à dominante rose fuchsia, histoire que le spectateur soit totalement immergé dans le côté gay des époques concernées. Et surtout dans l’esprit parfois vacillant d’Andy Warhol pour qui, il l’avait prédit bien avant la téléréalité et les réseaux sociaux, chacun aurait à un moment donné son quart d’heure de célébrité (en diffusion sur Netflix). ■