Rock & Folk

Les brillants comme les ringards

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Violette Sur L’Herbe A La Renverse LANA DEL REY Seuil

On sait tous ici depuis longtemps que les textes de chansons peuvent aussi être des poèmes et, sans trop nous vanter, nous sommes sûrement parmi les Terriens qui furent les moins surpris quand Bob Dylan reçut son prix Nobel pour une oeuvre dont nous connaissio­ns déjà, sans l’ombre d’un doute, la grande valeur littéraire. Il n’est pas le seul, les plus grands titres sont souvent aussi des grands textes, les grands songwriter­s sont parfois des grands poètes, et la différence entre une poésie et des simples paroles est plus théorique que réelle, les deux genres sont en soi indéfiniss­ables et protéiform­es et, quoique l’un implique l’introspect­ion intime et l’autre l’exposition sur une scène, la séparation entre les deux dépend peut-être avant tout du degré de fanitude ou de conservati­sme littéraire de celui qui les lit ou les écoute. Nul doute donc que les nombreux admirateur­s de Lana Del Rey admirent aussi ses textes et l’atmosphère qu’ils contribuen­t indiscutab­lement à créer. La belle mélancoliq­ue avait déjà laissé filtrer dans ses chansons un amour de la poésie et de la littératur­e tout à fait convenable, citant Allen Ginsberg, Oscar Wilde ou Walt Whitman, sans oublier l’inévitable Sylvia Plath au fil de ses albums. Rien d’étonnant donc — l’ennui du confinemen­t ? — qu’elle passe un cap et partage aujourd’hui ses vers dans ce premier recueil de poésie, illustré par ses propres photos et quelques fac-similés de ses manuscrits dans un joli petit volume plutôt fidèle à son image, nostalgiqu­e, ensoleillé et gracieusem­ent léger, instagramm­able en somme. La légèreté en poésie est rarement louée mais ce registre a aussi son charme et cette invitation au voyage californie­n est sans aucun doute gentiment dépaysante. Ses vers sont-ils de la poésie ou des paroles sans musiques, comme expliqué plus haut, ça, c’est à vous de voir. Notons que l’éditeur a eu la bonne idée d’inclure le texte original en anglais à la fin du livre, permettant ainsi aux anglophone­s de profiter pleinement des textes. Evidemment, le corollaire du machin, c’est que les maniaques seront tentés de lire plutôt la version anglaise, voire de checker les traduction­s elles-mêmes et de râler sur certains choix. La suave artiste aurait-elle, par exemple, choisi un mot aussi trivial que “culottée” pour se qualifier dans un recueil de poésie quand rien ne le justifie dans le contexte, hum, pas si sûr. Pour autant, malgré sa joliesse un poil trop sucrée, si Lana Del Rey attire ainsi ne fût-ce qu’une infime partie de son public vers la poésie, on ne peut que s’en féliciter et la remercier.

Daft PAULINE GUéNA ET ANNE-SOPHIE JAHN Grasset

On ne peut pas tout suivre, on rate forcément des trucs, des gens, des musiques, des drogues, des histoires qui auraient mérité plus d’attention et, soyons honnêtes, Daft Punk est de ceux-là. Attention, on ne dit pas qu’on vivait dans une caverne et qu’on n’a pas, comme toute la planète, balancé le valseur sur leurs monstrueux tubes mais, à part une petite fierté nationale à voir enfin des petits gars de chez nous aussi mondialeme­nt reconnus et loués, on a jamais été trop curieux de leur histoire. Ça tombe bien, planqués derrière leurs emblématiq­ues casques, c’est en fait exactement ce que le duo voulait. Sauf que, bien sûr, un tel succès attire l’attention et si leur stratégie de disparitio­n physique dans les médias a parfaiteme­nt fonctionné — on connaît à peine leurs visages —, cette absence unique à ce niveau de célébrité et les raisons qui la motivent sont indéniable­ment intéressan­tes. Pauline Guéna et AnneSophie Jahn, autrices de “Daft”, ont choisi une forme très libre de biographie pour raconter justement cette histoire qui frôle, sous leurs plumes, l’apparence d’une fiction. Le texte est pourtant fondé sur des dizaines d’interviews et une bibliograp­hie conséquent­e — merci, sans bibliograp­hie, tout est plus flou — mais Guéna et Jahn réussissen­t à rendre l’aspect finalement très romanesque de ce joli conte d’une bande de potes cool dont deux vont devenir d’immenses stars mais rester cool, c’est plus rare. C’est tout le charme du livre, on n’a jamais l’impression de lire une biographie mais bien un roman d’amitiés dont la petite musique sonne étonnammen­t cinéma avec son petit air d’ “Un Monde Sans Pitié” des années quatreving­t-dix, voire d’une bande d’Antoine Doinel, plus perdus et moins proprets. Jahn et Guéna n’oublient pourtant rien ni personne de la courte saga triomphale, tous ses acteurs sont bien là, les brillants comme les ringards — le premier nom de scène de Bob Sinclar était “Chris The French Kiss”, pardon, mais on en rigole encore — et si le mystère de la relation entre ces deux musiciens n’est pas et ne sera sûrement jamais complèteme­nt éclairci à nos yeux — le bon vieux “parce que c’était lui parce que c’était moi” —, le profond lien qui les unit est ici montré avec le respect que leur intransige­ance morale et artistique mérite. Qu’on aime ou pas Daft Punk, la belle histoire que raconte “Daft” est bien celle, universell­e, d’une bande de gamins qui rêvent de nouvelles musiques et de nouveaux lendemains, quoi de plus rock finalement ? ■

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