Vent d’air frais sur le rock hexagonal
Les Calamités
“ENCORE ! 1983-1987”
Born Bad
1984, le rock français se vend bien. Il y a d’un côté les poids lourds établis, Téléphone, Alain Bashung, etc., d’un autre l’explosion d’Etienne Daho et des Rita Mitsouko, et derrière, la scène dite “alternative” qui sort du bois pré-zadiste. L’ensemble ne convient pas à tout le monde. Notamment à ceux qui aiment l’élégance des Dogs, qui ont sorti sans coup férir, entre 1982 et 1983, deux albums parfaits, “Too Much Class For
The Neigbourhood” et “Legendary Lovers”. Pour ceux-là, pas question de s’enfiler les Garçons Bouchers et “Marcia Baila”. Cette année-là sort chez New Rose (merci encore pour tout Patrick Mathé) un mini-album sidérant, “A Bride Abattue” des Calamités. C’est un vent d’air frais qui souffle sur le rock hexagonal. Caroline, Isabelle, Odile, et le batteur Mike sortent ce que certains attendaient en plus des Dogs qui ferraillaient seuls (les Coronados débarqueront bientôt). Dieu qu’elles étaient douées… Elles harmonisaient comme des reines, jouaient bien — ces petits solos de guitare étaient d’un chic absolu, surtout avec ce son clair quasi surf — et signaient des morceaux impeccables. Antoine-Masy Perier des Dogs les avaient rencontrées dans leur ville de Beaune, la région où il a grandi, alors qu’il était déjà à Rouen, où il avait fini par intégrer son groupe préféré. Toute cette fine assistance a sympathisé, le futur Tony Truant a trouvé leur nom, a écrit les paroles de “Je Suis Une Calamité” et de “Au Supermarché”, et pour résumer, tout cela s’est retrouvé chez New Rose, produit par Lionel Herrmani, légende rouennaise du magasin de disques Mélodies Massacre, qui s’était déjà chargé des premiers Dogs comme des Olivensteins. Une sacrée légende, cet homme. Les Calamités enregistrent un titre pour la compilation “Snapshot(s)” réalisée par Chris Wilson et Robin Wills, deux Barracudas proches des Dogs. Il y a une forte connexion. Mathé est convaincu par le résultat, les signe sur New Rose et les Calamités se révèlent avec cet unique album. Beaucoup de gens sont soufflés. Il y a les compositions parfaites (“Toutes Les Nuits”, “Le Supermarché”, “Nicolas”, “Malhabile”, “Pas La Peine”, tout, en fait) et les reprises impeccables, tant par leur choix que par leur exécution. “The Kids Are Alright” (Who), “With A Boy Like You” (donc “With A Girl Like You”, des Troggs), “Teach Me How To Shimmy” (Coasters), et sur cette compilation, deux versions, en anglais et en français, de “The Boy From New York City”, classique des Ad Libs. C’est d’ailleurs l’intérêt de cette anthologie : tout réunir, soit dix-huit titres de ce que les Calamités ont pu chanter. Ainsi que Born Bad a eu la grande idée de réunir “Down At Lulu’s” avec les Dogs (face B de “Mon Coeur Bat Encore”), reprise des rois du bubble-gum Ohio Express et “Down In The Boondocks” avec les Barracudas, également une reprise, de Joe South.
Avec leurs choeurs de sirènes, les Calamités dynamitent les deux morceaux. Et puis, il y a le single “Vélomoteur” produit par
Daniel Chenevez, alors que les filles n’étaient plus que deux. Une fois de plus, malgré la production un peu — mais pas trop — datée, la composition est merveilleuse et les choeurs impériaux. Pour l’anecdote, Hughes et Dominique des Dogs participent à “Pas La Peine”, et on entend l’harmonica tellement reconnaissable du chanteur des Dogs sur “Behind Your Sunglasses”, autre beauté dans la courte oeuvre des Calamités. Après, les filles sont sagement reparties à leurs études, se remettant sans problème du succès phénoménal de “Vélomoteur”, sans doute conscientes que tout cela ne serait qu’une parenthèse enchantée. Elles ont sans doute été plus intelligentes que les autres, car rien ne dure, sauf exception, dans ce drôle de métier. Born Bad a fait du beau travail, tout sonne, et les protagonistes sont interviewés dans des notes de pochette impeccables. Maintenant, il faudrait que quelqu’un se charge de rééditer sérieusement le catalogue des Dogs, à l’abandon depuis des années.