ORANG-UTAN
DEVENU AU FIL DES ANNÉES UNE RÉFÉRENCE TRÈS RECHERCHÉE PAR TOUS LES COLLECTIONNEURS DE HARD ROCK À LA FOIS RÊCHE ET MUSCLÉ, Orang-Utan — ou plutôt Hunter — a en son temps été escroqué par un manager peu scrupuleux. Typique de l’époque. Son unique opus montre que ce gang de velus primates avait ce qu’il fallait pour viser plus haut.
Déambulons dans le quartier résidentiel d’Islington, au nord de Londres. L’histoire commence, comme bien souvent, par quatre potes se mettant à répéter les tubes du moment. Terry Jenkins est à la six-cordes, Steve Humphries à la basse, Joe Sailor aux fûts, et ils accompagnent un dénommé Gerry Trew braillant dans son micro. Les vieux de ce dernier tiennent un pub dans le quartier. Voilà qui offre le privilège d’une véritable audience à la petite escouade, qui opte pour un blase en hommage à un célèbre morceau d’Albert King : Hunter. Elle se perfectionne pendant un temps mais le départ de Sailor, fraîchement marié et désireux de se ranger, entraîne un premier chamboulement. Jeff Seopardie le remplace et décide, en accord avec Gerry, de refondre complètement le gang, recrutant sur audition les guitaristes Mick Clarke et Sid Fairman, ainsi que le bassiste Paul Roberts. Mick, fan des pionniers du rock’n’roll comme de Howlin’ Wolf, roule sa bosse depuis son plus jeune âge, notamment avec les Shades Of Midnight, qui comptaient dans leurs rangs le futur Billy Ocean. Suite à une énième dispute, Hunter engage le vocaliste Terry Clarke, passé par les très cultes Jason Crest, formation pop psychédélique ayant publié une belle série de simples chez Philips en 1968 et 1969. Le désormais quintette se met à travailler d’arrache-pied pour se constituer un répertoire à partir de riffs amenés par Seopardie. Il cachetonne aussi pour le compte de Freddie “Mr Superbad” Mack, ex-boxeur professionnel catégorie lourds-légers reconverti en meneur de revue soul et R&B, avec section de cuivres et go-go danseuses ondulant sur scène. Fort d’une cohésion sans faille, Hunter écume les clubs de la capitale britannique et du sud du pays, jusqu’à apparaître en première partie de Free, The Groundhogs ou Mott The Hopple. Par l’odeur du gain alléché, débarque alors un ambitieux manager, Leslie Rappaccioli, qui propose ses services, ainsi qu’un matériel flambant neuf. Il branche Adrian Millar, un imprésario prêt à miser un peu d’argent sur la troupe. L’homme est du genre flambeur et sournois : il débarque sans prévenir au volant de sa Rolls-Royce, faisant signer un contrat à Seopardie sur le couvercle d’une poubelle, puis s’en va sans demander son reste... Reste que Hunter se retrouve aux studios De Lane Lea avec l’ingénieur du son Louis Austin. Nullement un branquignol puisqu’il a appris le métier en captant le Fleetwood Mac de Peter Green, Country Joe McDonald, puis le “Fireball” de Deep Purple. La galette mise en boîte en seulement deux jours, Millar file aux Etats-Unis avec les bandes, sans piper mot au groupe, encore naïf vis-à-vis des pratiques véreuses de l’époque. En fait, le rusé avait probablement une pochette d’album déjà réalisée sous la main — celle représentant un orang-outan géant dans le rôle de King Kong, détruisant les majestueux buildings new-yorkais sous le feu des tirs aériens — et est parti en quête d’un label pour publier l’affaire. La pourtant respectable compagnie Bell Records mord à l’hameçon, et le disque sort en 1971 outre-Atlantique, sous le nom d’Orang-Utan, bien évidemment sans que le groupe n’en soit informé : il ne reçoit donc pas le moindre penny en rétribution. Cet excellent opus se lance sur le riff viril de “I Can See Inside Your Head”, et l’on remarque tout de suite les qualités du gang, qui évoque un peu Leaf Hound : la voix rocailleuse de Clarke — un seul poumon fonctionnel mais capable de hurler tel un petit Robert Plant — côtoie les guitares lourdes de Mick Clarke et Sid Fairman, une basse assez libre et une batterie rigoureuse. Le mid tempo “Slipping Away” en fait la probante démonstration. Dans le genre obligatoire de la ballade, “Love Queen” est illuminée par un solo acéré, tandis que la mélodieuse “Fly Me High” est ornée d’un intense crescendo. Les six minutes de l’orageuse “Chocolate Piano”, théâtre d’un duel guitaristique aussi féroce que virtuose, sont certainement le sommet du disque. Hunter, écoeuré après avoir découvert le pot aux roses, se sépare illico. Terry Clark rejoint deux ex-Jason Crest pour monter The Holy Mackerel, auteur en 1972 d’un extraordinaire long-format homonyme assez inclassable, entre heavy progressif furieux (“Spanish Attraction”, “Gemini”) et pop mélodieuse (“We Got It Nailed Down”) avec une touche de country, ainsi que du fantastique “Closer To Heaven”, resté inédit. Mick Clarke connaîtra une riche carrière puisqu’on le retrouvera en train de ferrailler aux côtés de Chuck Berry, Roy Young, Long John Baldry, ou encore au sein de HudsonFord. Idem pour Jeff Seopardie, qui maniera ses baguettes derrière Chris Farlowe, Maggie Bell et Roger Chapman. Sans oublier, ultime curiosité, la bande originale de “La Boum 2”, signée Vladimir Cosma. ■