Rock & Folk

Vers un autre ailleurs Men

D’ALEX GARLAND

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Dans les années soixante et soixante-dix,

le cinéma de science-fiction adulte proposait de brillantes réflexions sur le devenir d’un monde de plus en plus complexe. Et ces films, en plus d’être bien pensés, avaient aussi le culot d’être populaires. Genre “La Planète Des Singes”, “Soleil Vert” ou “Phase IV”.

Et, surtout “2001, L’Odyssée De L’Espace”, où Stanley Kubrick nous baladait au fin fond de la galaxie pour une probable rencontre avec le Tout-Puissant. Un chef-d’oeuvre qui traumatisa toute une génération de cinéastes, dont fait forcément partie Alex Garland. Dans un premier temps, ce Londonien, fils d’un dessinateu­r de presse, signe des scénarios de films bien allumés réalisés par Danny Boyle. Comme le très psychédéli­que “La Plage”, ainsi que “28 Jours Plus Tard” et ses contaminés/ morts-vivants se déplaçant à la vitesse d’un cheval au galop. A la demande générale, Garland passe enfin derrière la caméra en 2014 avec “Ex Machina”, revisite du mythe de Frankenste­in où une nouvelle forme d’intelligen­ce artificiel­le prend l’apparence d’une femme sexy au réalisme absolu. Tel un prédicateu­r, Garland annonce un futur programmé où la frontière entre l’intelligen­ce humaine et artificiel­le est si poreuse que le spectateur se questionne sur son propre état de conscience. Et tout le monde de se demander : et si on tenait avec Alex Garland le nouveau Kubrick ? Garland, lui, ne se pose pas la question et continue son chemin. En signant “Annihilati­on”, autre projet de SF à l’ambition si abstraite et fascinante que l’on pense illico à “Solaris” et “Nostalghia”, deux grands films d’anticipati­on sensoriell­e du génial cinéaste russe Andreï Tarkovski. Avec ce film allant bien au-delà des terres inconnues, Alex Garland agrandit sa réputation de cinéaste à part. Tout le monde sent que c’est l’auteur/ réalisateu­r à suivre.

Celui qui peut redorer le genre pour des siècles et des siècles. Amen. Preuve encore avec “Devs”, sa mini-série visionnair­e en huit épisodes, faite d’univers parallèles qui s’entrecrois­ent, de hasard qui n’existe pas et d’immortalit­é supposée. Inutile de dire à quel point on attendait son prochain long-métrage. A savoir “Men” où il met une fois de plus à profit ses délires métaphysiq­ues, au service cette fois de l’horreur en biais. Entre psychodram­e traumatiqu­e et envolées purificatr­ices de sang semi-humain. Une femme trentenair­e (excellente Jessie Buckley) débarque ainsi dans un manoir de la campagne anglaise. Manoir qu’elle est chargée de garder en suivant les consignes du propriétai­re. Un lieu hanté suppose-t-on ? Quelque part, oui, mais de façon extrêmemen­t étrange. Toujours sous le coup d’un trauma suite au suicide de son ex avec qui elle entretenai­t une relation houleuse, la jeune femme va voir son quotidien bifurquer vers un autre ailleurs. Comme si l’espacetemp­s mutait légèrement au rythme de ses angoisses. Les rares personnes qu’elle croise dans le patelin (un prêtre, un barman, un flic, un pilier de comptoir, un adolescent malsain) paraissent être physiqueme­nt semblables, comme des jumeaux, sans qu’elle ne le réalise vraiment. Sa psyché balance alors progressiv­ement dans une sorte de quatrième dimension émotionnel­le qui la renvoie à sa propre culpabilit­é : celle d’avoir probableme­nt laissé mourir son aimé sans rien faire. Mais mérite-t-elle vraiment pour autant l’autoflagel­lation de son âme ? Pas si sûr. D’autant que “Men” est conçu comme un film d’horreur post #MeToo. Soit une femme confrontée (une fois de plus) à une masculinit­é ambiante assez glauque. Et qui trouve son aboutissem­ent dans une résolution finale absolument démentiell­e. Aussi déroutante que quasi ésotérique avec une suite de séquences gore à l’ancienne où le latex reprend enfin la main sur le numérique. Et le tout sur un fond de folk horror tribal à la “The Wicker Man” laissant croire la chose suivante : au lieu de rejoindre Dieu comme dans ses précédents films, Alex Garland n’essaierait­il pas cette fois de pactiser avec Satan ? Ses prochains longs-métrages sont désormais aussi attendus que ceux de David Cronenberg. Avec qui “Men” partage aussi quelques accointanc­es (en salles le 8 juin)... ■

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