Rock & Folk

Pas la moindre note d’une chanson signée Lennon-McCartney ni même… George Harrison

“The Beatles And India”

- PAR JERôME SOLIGNY

MVD

Alors, là, chapeau Enfin, turban. On l’attendait, on le guettait, et voilà que “The Beatles And India”, sorti en festival et sur des écrans étrangers il y a un an, déboule en DVD et Blu-ray. Mais, on se doit de prévenir, l’objet n’est pas facile à choper ailleurs que chez des marchands en ligne. C’est le premier bémol de cette affaire car, pour le reste, elle frise l’excellence. Dans la dissidence. En effet, ce très beau documentai­re sur la relation entre les Fab Four émancipés et le pays dont l’influence de la culture sur l’Occident a été prépondéra­nte dans les années soixante (d’où ce titre : “And India” et non pas “In India”), n’est pas une oeuvre officielle, chapeautée ou même initiée par Apple Corps. Qui, certaineme­nt, le déplore. Et pour être tout à fait honnête, MVD qui la distribue ne nous avait pas habitués à ce niveau de qualité. Généraleme­nt, cette compagnie commercial­ise des docus plutôt faibles en images rares, et dont l’intérêt réside dans la supposée opiniâtret­é des intervenan­ts, journalist­es musicaux anglo-saxons réputés pour monnayer leur avis dont on se cogne. Très souvent aussi, ces rockumenta­ires ne comportent pas ou peu d’archives sonores du sujet traité, pour cause de droits bloqués ou exorbitant­s. On prévient d’emblée : c’est le cas ici. On n’entend pas la moindre note d’une chanson signée Lennon-McCartney ni même… George Harrison. En revanche, la musique

(car il y en a pléthore) créée pour l’occasion, jouée par des musiciens occidentau­x et indiens, et enregistré­e dans divers studios (dont Abbey Road…), est réussie. Aussi, alors que beaucoup de films de ce genre croulent sous le poids du nombre d’interviewé­s plus ou moins célèbres, le parti pris, côté anglo-saxon, a été de trier sur le volet, de donner la parole à des gens connus surtout des initiés, et notamment à Mark Lewisohn, le spécialist­e mondial des Beatles déjà cité dans ces pages. Ici et comme d’habitude, tout ce qu’il a à déclarer est frappé au coin du bon sens. Ses analyses sont les meilleures.

En revanche, et ça n’est pas une critique, les intervenan­ts originaire­s du deuxième pays le plus peuplé du monde après la Chine sont légion.

Ils ne sont pas tous connus non plus, mais leurs propos tissent une toile intéressan­te. Et c’est finalement bien normal puisqu’à l’origine de “The Beatles And India”, on trouve Ajoy Bose, un auteur-journalist­e indien qui a grandi à Calcutta et dont le livre le plus récent, paru en 2018, cinquante ans près le séjour du groupe à Rishikesh, traitait justement du sujet.

Mais en vérité, le projet sommeillai­t dans la tête du producteur Reynold D’Silva, né en Inde mais installé en Angleterre, depuis plusieurs décennies. C’est sa société qui a financé le documentai­re et, il n’y a pas de petits profits, il est également l’éditeur de la plupart des musiques qu’on y entend. D’Silva a déjà exploité le filon Beatles puisque, en 2017, il a produit le très controvers­é “It Was Fifty Years Ago Today!” à propos de “Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band” (vu, mais pas chroniqué ici puisque jamais reçu). Or donc, même s’il n’est pas parfait, “The Beatles And India”, à grand renfort d’images d’archives (des quatre membres du groupe notamment) et d’autres tournées récemment (l’ashram où ils ont séjourné, visitable aujourd’hui, était à l’abandon il n’y a encore pas si longtemps…), aborde l’essentiel : l’influence de la musique indienne dont George s’est entiché le premier, Ravi Shankar, la méditation transcenda­ntale avec le Maharishi Mahesh Yogi, les chansons écrites là-bas dont une partie allait se retrouver sur le “Double Blanc” et la fin précipitée de l’épisode à cause du gourou qui, finalement, n’était pas en bois, même de sal. Le sujet plus général de l’influence des Beatles sur la culture indienne (et vice versa) est également couvert. Là où le bât blesse quelque peu, c’est qu’un film relativeme­nt similaire est actuelleme­nt visionnabl­e, au moins sur Apple TV. Il s’agit de “Meeting

The Beatles In India” de Paul Saltzman, un jeune photograph­e qui était en Inde en même temps que les musiciens et qu’ils ont fait rentrer dans leur cercle. Conséquenc­e, il les a énormément shootés (Saltzman vend livres et images sur son site web). On n’est pas dans le secret des diables, mais tout laisse à penser que cet autre Paul était de l’aventure “The Beatles And India” au départ, mais il ne se serait pas entendu avec D’Silva. Au point, donc, de faire cavalier seul, tout en sollicitan­t également Pattie Boyd (épouse de George Harrison à l’époque, elle était du voyage et intervient en voix off) et… Mark Lewisohn. Pour bien agacer tout le monde, le photograph­e a rendu son documentai­re public un peu avant l’autre. Quoi qu’il en soit, si les deux méritent d’être vus (les fans des Beatles seront-ils un jour rassasiés ?), celui présenté dans cette rubrique offre une meilleure vision d’ensemble. Le micro y est tendu à des gens qu’on voit rarement (ou jamais) s’exprimer, pas tous contempora­ins — ça n’est pas plus mal car il y a là des jeunes — et dont les dires replongent dans une époque forcément fantasmati­que puisque, malgré notre âge avancé, on ne l’a pas connue. ■

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