Une vie de légume en boîte
Après un premier volet consacré aux jeunes sous l’ère Thatcher, Michel et Béa Constant en remettent une couche avec “Lady Jane” (Futuropolis), un one-shot sur les dérives d’une loi votée en 1989 qui était supposée protéger les enfants. Deux ans après la mort de la Dame de fer, Donald tient toujours le pub de la petite ville balnéaire de Kingsdown. Coincé entre Béa, sa compagne atteinte du syndrome de Tourette, et Emma, la fille adolescente de Béa, il ne sait pas comment faire pour améliorer les conditions de vie de cette dernière. Il demande alors à la taciturne Jane de prendre la gamine sous son aile avant que l’adolescente ne parte en vrille. Sans le savoir, il vient de raviver des souvenirs enfouis profondément dans la tête de Jane. Vingt-six ans plus tôt, fille-mère et orpheline, les services sociaux débarquent à six heures du matin pour lui prendre son fils Tommy. Histoire racontée avec élégance, il est quasiment impossible de ne pas tomber sous le charme de cette poignée d’Anglais que nous nous plaisons à détester.
Suite et fin du triptyque entamé il y a quelques années par l’auteur Franky Sinistra et l’illustrateur Poup avec “Les Sentiers De La Poisse” (Pop Sisters), à l’ambiance toujours aussi inspirée par le polar US des années soixante-dix, qu’il soit papier ou cinématographique. Comme d’habitude, les textes sont accompagnés par un CD où chacune des chansons est un résumé rock’n’roll de la nouvelle qu’elle accompagne. Partant du principe qu’avec des “si” il est possible de mettre Paris en bouteille, Franky Sinistra décide d’altérer la toile de fond historique qui sert d’écrin à ses histoires. Ainsi, JFK ne se fait pas descendre, le LEM n’alunit pas, la guerre des Malouines trouve sa finalité dans la main de Dieu de Maradona qui, à son tour, déclenche un drame dans un garage. Dans cette collection de laissés pour compte imaginaires, les amateurs de références littéraires et cinématographiques vont s’amuser.
Pour le dessinateur Zep, il n’y a pas que Titeuf dans la vie. Au grand dam des tout-petits, il lui arrive de commettre des incartades dans le monde des adultes. “Ce Que Nous Sommes” (Rue de Sèvres), sa troisième BD à l’intention des grands, est une dystopie dans un très proche futur qui s’interroge sur la réalité effective du bien-être apporté par la technologie. Dans une société de privilégiés, Franz vit une véritable vie de légume en boîte tout en pensant le contraire. Grâce à la société DataBrain, il fait partie de l’élite qui possède un deuxième cerveau dans lequel, automatiquement, tout le savoir du monde est copié. Tout se passe bien dans sa pseudo-vie jusqu’au jour où un bug informatique vient tout chambouler. Franz se réveille alors amnésique dans le vrai monde : celui qui doit se battre pour vivre car DataBrain ne lui laisse que les miettes. Dans ce one-shot bien conçu, Zep alerte sur un meilleur des mondes qui pend au nez des ennemis du moindre effort. A lire religieusement sans essayer de faire son Titeuf pour faire rigoler la classe.
Mathilde Payen revisite la période transitoire qu’est la vraie vie après le diplôme.
Dans “La Fête Est Finie” (Sarbacane), Loane, fraîchement diplômée des Beaux-Arts, débarque à Paris en provenance de Normandie. Fauchée, elle partage une colocation avec Ben et Simon, qu’elle a rencontré sur un forum. Quand les trois ont appris qu’ils allaient passer quelque temps dans la même école d’art, le choix économique s’est imposé de lui-même. Grungette introvertie, Sloane a beaucoup de mal à sociabiliser avec les bonnes personnes. Voyant que son art ne suscite aucune réaction chez les éditeurs démarchés, elle finit par trouver un petit boulot dans une animalerie tenue par un personnage assez extravagant. Au travers de cette plongée dans le quotidien estudiantin, l’auteure rappelle qu’il est souvent difficile d’embrayer sur le mode adulte responsable après avoir passé quelques années à se la couler douce aux Beaux-Arts. Drôle et pas mal vue, cette BD peut être la pilule anti-procrastination dont rêvent les parents. ■