Rock & Folk

En plein grunge, les Black Crowes laissaient tout le monde à genoux

- NICOLAS UNGEMUTH

Rappel des faits : début des année nonante aux Etats-Unis d’Amérique. D’un côté, le rock “indé” dont peu, en dehors de REM et éventuelle­ment de Sonic Youth, n’auront connu la chance de faire fortune. D’un côté les Replacemen­ts, Green On Red, Hüsker Dü, les Pixies encore tout frais, d’autres bientôt en voie de disparitio­n. De l’autre, le hair metal et une meute caniches branlant leurs manches en couinant comme des veaux massacrés à la fin d’“Apocalypse Now”. Les GunsN’Roses en sortiront grandis, tandis qu’en catimini, le grunge prépare ses assauts. Dans un coin, en provenance de Géorgie, les Black Crowes, anciens fans du Paisley Undergroun­d avec leur précédent groupe, Mr Crowe’s Garden, se réinventen­t sous l’impulsion de leur producteur George Drakoulias, qui les signe illico en 1989 sur Def Jam. Drakoulias produira par la suite les Jayhawks, Maria McKee et même Primal Scream période “américaine”. Ce n’est pas Rick Rubin : Slayer et les Beastie Boys ne lui procurent pas d’érections particuliè­res. Son truc, c’est le rock roots à tendance seventies qu’il modernise et dynamite tout en le respectant. La légende prétend qu’il aurait fait écouter aux frères Robinson les albums de Humble Pie, des Faces et de Rod Stewart en solo. Pour “Exile On Main St.” et “Sticky Fingers”, ils n’avaient pas besoin d’aide, merci bien. A la suite de quoi est sorti un premier album formidable, “Shake Your Moneymaker”, avec même une reprise d’Otis Redding, s’il vous plaît, “Hard To Handle”. En 1990, on ne rêve pas. Souvenirs de concerts parisiens extraordin­aires, d’un chanteur époustoufl­ant réunissant Marriott et Stewart, et d’un guitariste tronçonnan­t ses riffs de Telecaster en open de Sol avec cinq cordes, comme le Keef des grandes années. C’était très bien, et nettement mieux que les Quireboys et autres Dogs d’Amour qui, à l’époque, embrassaie­nt le même look à base de khôl et de longs foulards traînant sur des tapis dégueulant de patchouli. Qu’allaient-ils donner plus tard ? En 1992, désormais en plein grunge, les Black Crowes laissaient tout le monde à genoux avec “The Southern Harmony And Musical Companion”. La musique s’est très légèrement détendue, le groupe a changé (du Wurlitzer à la Ian McLagan), une production monstrueus­e, des choeurs blacks, un Chris Robinson hallucinan­t au micro, le frère Rich qui dépote du pur rock’n’roll, Marc Ford qui cisaille des solos affamés et le grand batteur Steve Gorman qui cimente le tout. C’était un émerveille­ment, ça l’est toujours. Il y a des suites d’accord à la Jimmy Page (“No Speak No Slave”, “Remedy”, “Black Moon Creeping”), des riffs à la Keith Richards, mais tout cela ne verse jamais dans la décalcoman­ie ni dans le hard bas du front — ces gars venaient d’Atlanta, pas de Birmingham. Les compositio­ns sont tuantes (“Sting Me”, “My Morning Song”, “Thorn In My Pride”) et Chris devient l’un des plus grands chanteurs de l’histoire du rock. Sur “Sometimes Salvation”, sorte d’hymne soul explosé, il livre une prestation qui n’a que peu d’équivalent­s chez les Blancs toutes génération­s confondues. L’album entier est une perfection de rock néo-seventies qui n’a évidemment pas vieilli d’un iota dans la mesure où il était parfaiteme­nt produit à l’ancienne par un Drakoulias manifestem­ent en lévitation : entre ses jambes, il pilotait une Ford Mustang. “The Southern Harmony And Musical Companion” est un album faramineux, qui ressort aujourd’hui augmenté de live, raretés, etc. Et Dieu sait que le groupe sur scène était aussi monstrueux (Jimmy Page en personne les rejoindra plus tard le temps d’une tournée devenue mythique, mais en réalité, c’était mieux sans lui car les reprises de Led Zep sans Led Zep n’ont aucun intérêt, surtout sans John Bonham, parce que sans Robert Plant, c’est plutôt agréable). Les Black Crowes se déliteront plus tard dans un rock d’abord sudiste puis franchemen­t hippie avec force jams pénibles et enfumées, avant de resserrer les boulons sur “The Black Crowes” (1999), très bon disque, mais incapable de retrouver le niveau magistral de ce deuxième essai qui, à l’époque, a comblé tous ceux qui n’avaient que faire de Pearl Jam, Soundgarde­n et Jane’s Addiction. Cet album est une féerie rock’n’roll, du genre comme on en entend peu dans une vie. Rien que l’intro de “Hotel Illness” donne envie de foutre le camp le pied au plancher. Tant pis si c’est vers nulle part, seul le voyage compte.

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