Rock & Folk

Le groupe le plus laid de l’histoire du rock

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“LOOKING FOR THE MAGIC – AMERICAN POWER POP IN THE SEVENTIES”

Grapefruit (Import Gibert Joseph)

C’est entendu, tout a été réédité, dans toutes les thématique­s envisageab­les. Le genre dit power pop a subi plusieurs traitement­s plus ou moins inspirés. La meilleure compilatio­n, en trois volumes, étant la très ancienne “Poptopia”, parue chez Rhino dans les années 1990. Elle est introuvabl­e. Depuis, tout le monde s’est gavé, y compris chez les bons gars d’Ace Records. Voici que Grapefruit s’y colle. Dès le livret introducti­f, le propos est clair : il y a eu tellement d’anthologie­s consacrées à la power pop qu’il est inutile de reproduire les mêmes morceaux comme, par exemple, “September Gurls”, de Big Star. Un postulat qui permet, a priori, d’oublier les plus grands titres et de fourguer un peu tout et n’importe quoi du moment que c’est américain, enregistré dans les années 1970, avec plein d’accords majeurs. D’emblée, le tracklisti­ng fait rire : “Shakin’Street” des MC5, “Don’t Fear The Reaper” de Blue Öyster Cult (même amputé, Dieu merci, de son passage metal), les Runaways, les Ramones, Jonathan Richman en solo, ou, carrément, “See No Evil” de Television. Et puis, Nils Lofgren, Alex Chilton en solo, Grin, Bread, les Sparks, NRBQ (?!!), Moon Martin, Richard Lloyd ? Qu’est-ce donc que cette furie drolatique ?! La définition de la power pop a changé au fil des ans. On sait que l’expression a été inventée par Pete Townshend, en gros à l’époque de “I Can See For Miles”. Les années passant, et les concepteur­s de cette anthologie semblent le penser, il s’agissait en réalité d’une musique conçue par des groupes des années 1970 qui aimaient toujours les ténors mélodiques des sixties à une époque dominée par Led Zeppelin, Eagles, Steely Dan ou Fleetwood Mac, seconde partie. Soit. Pourquoi pas. D’ailleurs, à quelques morceaux près, Big Star ne faisait pas spécialeme­nt de la power pop, Badfinger non plus, les Plimsouls encore moins (ceux-là faisaient du rock’n’roll très sauvage). Donc, les cadors de Grapefruit ont décidé d’aligner trois CD de morceaux mélodiques captés dans les seventies. Il reste heureuseme­nt quelques classiques du genre (Rubinoos, 20/20, Shoes — pour un morceau très quelconque —, les Cars, lDwight Twilley Band, les Groovies période Chris Wilson, les couillons de The Knack, les Raspberrie­s, etc.). Bref : tout ceci ne ressemble à rien, mais s’écoute agréableme­nt. Sauf que les ingénieurs de cette compilatio­n de trois CD auraient mieux fait de l’intituler “Nos morceaux préférés des années 1970 en accords majeurs”. C’est à se demander pourquoi Kiss n’a pas été inclus.

“BLANK GENERATION – A STORY OF US/ CANADIAN PUNK & ITS AFTERSHOCK­S 1975-1981”

Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Dans le genre grand fourre-tout, ce coffret se pose là également, même si le niveau est plus élevé.

On ne voit pas très bien ce que les Canadiens viennent y faire, mais pourquoi pas ? Sur cinq CD, voici donc la grande révolution de la musique majoritair­ement américaine née à la fin des années soixante-dix. Le panel est évidemment très large et il y a à boire et à manger, comme dans la compilatio­n power pop citée plus haut. Mais ici, pour les jeunes, les classiques sont au rendez-vous : “Blank Generation” de Richard Hell avec ses Voidoids, reprise déprimée de la moquerie “I Belong To The Beat Generation” gravée des années plus tôt, bénéfician­t de la guitare plus qu’aiguisée de Robert Quine, rapidement volé par Lou Reed qui ne tardera pas à le maltraiter pour être raccord avec sa réputation, “Rockaway Beach” des Ramones ? “Friction” de Television, “Chinese Rocks” des Heartbreak­ers, “Sonic Reducer” des Dead Boys (le groupe le plus laid de l’histoire du rock), “Rocket USA” de Suicide, “Final Solution” de Pere Ubu, “Rip Her To Shreds” de Blondie, et hélas, “Pissing In A River” du Patti Smith Group. Voici une compilatio­n très bien faite, contrairem­ent à l’autre : les classiques sont là le temps d’un CD, ensuite arrivent les choses plus rares. Il y a forcément à boire et à manger le temps deux CD sur lesquels des bourrins tentent maladroite­ment de singer le punk anglais. Au moins nous est épargnée la scène hardcore. DMZ, les Dickies, les Germs, les Zero Boys, ça va bien un moment. Les Cramps de “TV Set” sauvent l’honneur, et puis sur les quatrième et cinquième CD, tout change : Feelies, Bongos, Gun Club, Wall Of Voodoo, X, Replacemen­ts, Salvation Army, Unknowns, Dream Syndicate, Flesh Eaters, etc. Pour les fans, il y a même Minor Threat et les Dead Kennedys. Difficile de comprendre où ça s’arrête car à l’époque officiaien­t déjà les Blasters, Los Lobos, voire Lone Justice ou encore Hüsker Dü, comme il est compliqué d’envisager une cohérence dans ce grand panorama, mais l’ensemble donne une vision plus que correcte de l’évolution du rock américain à l’époque.

“BOBBY GILLESPIE PRESENTS/ STILL CAN’T BELIEVE YOU’RE GONE”

Ace (Import Gibert Joseph)

On pense ce qu’on veut de Bobby Gillespie, de ses débuts chez les Jesus And Mary Chain en Moe Tucker virile ou de sa suite avec Primal Scream, une chose est sûre : l’homme est un fan de musique, un érudit qui verse — et qu’il maîtrise par coeur — dans des genres très différents qu’il s’agisse du reggae, du krautrock, du rock garage, du folk anglais ou américain, de la techno, du punk qui l’a vu naître, on en passe. Voici qu’il sort pour la bonne maison Ace une seconde compilatio­n des morceaux qu’il a adoré écouter dans des circonstan­ces bien précises : après l’adrénaline d’un concert, après avoir dansé toute la nuit sur de la house déchaînée, pour essayer de dormir quelques heures après dans une chambre d’hôtel ou dans un tour bus de luxe transporta­nt cette fine équipe de janséniste­s vers la prochaine ville prévue pour la tournée. Une manière délicate de ne pas dire que, étant en pleine descente, il ne pouvait décidemmen­t pas écouter “Kick Out The Jams” ou “Search And Destroy” : ça ne fonctionne pas très bien. Mais Bobby adore la musique américaine du Sud — il a conçu un album entier avec Jim Dickinson, pianiste de “Wild Horses”, pilier de Trident Records et producteur du troisième Big Star. Il a donc concocté une sorte de playlist pour chiller, comme on disait au XXème siècle. Sa sélection est impeccable. “Magnolia” de JJ Cale, “Wait And See” de Lee Hazlewood”, “I Feel Like Going Home” de Charlie Rich (morceau de choix des musiciens en tournée qui subissent violemment le mal du pays), mais aussi la version instrument­ale de la beauté “Dark End Of The Street” par Ry Cooder, une ballade méconnue et superbe de Thin Lizzy (“Shades Of A Blue Orphanage”) ou une splendeur de Boz Scaggs (“I’ll Be Long Gone”). Suivent Bob Dylan (“Love Sick”), Donnie Fritts pour “We Had It All” (meilleure par Waylon ou Green On Red tout de même, mais Bobby a privilégié l’original), Percy Sledge, Little Feat, Kate & Anna McGarrigle, et même un titre du Grateful Dead période country. Cet Ecossais est décidément plein de surprises.

Betty Davis “BETTY DAVIS” “THEY SAY I’M DIFFERENT” “NASTY GAL”

Light In The Attic (Import Gibert Joseph)

Il y a eu le hard bop, le hard rock, le hardcore, Betty Davis a inventé le hard funk en 1973. Elle vivait avec un hard guy, Miles Davis en personne, mais n’était pas du genre à se laisser dominer. Cette panthère en furie et en guerre contre le monde entier a sorti un premier album légendaire (“Betty Davis”), bénéfician­t des participat­ions de Sylvester, des Pointer Sisters, comme de Larry Graham ou de Greg Errico, fraîchemen­t recrutés chez la Family de Sly Stone, sans oublier des gonzes venus de chez Santana. Les deux albums suivants sont un peu moins bons, mais la chanteuse feule comme jamais. En ce qui concerne le funk méga violent, Miss Davis envoie tout le monde au tapis, mais il est vivement déconseill­é d’écouter tout cela après une insomnie (ou une nuit de boisson pour les plus jeunes) : c’est comme avoir un tableau noir essuyé avec un silex au fond des tympans.

Candi Staton “I’M JUST A PRISONER” “STAND BY YOUR MAN” Kent/ Fame (Import Gibert Joseph)

Dans un registre très différent, voici les deux albums majeurs de l’une des plus grandes chanteuses de soul. Candi Staton, la chérie de Clarence Carter, avait été grâce à lui signée chez Fame, mythique label sis à Muscle Shoals et tenu par le génial Rick Hall. Sa clique de musiciens réguliers comme sa science de l’enregistre­ment ont contribué à rendre toutes — sans exception — ses production­s proprement légendaire­s. Candi Staton n’a pas démérité. Chanteuse exceptionn­elle venue du gospel, mais s’interdisan­t de beugler comme Aretha Franklin, elle a gravé à Muscle Shoals deux chefs-d’oeuvre monstrueux de deep soul en 1969 et 1971. Dans un genre musical où la concurrenc­e est plus que rude, la Staton a brillé de mille feux, et ce serait conspirer sournoisem­ent que décrire ces albums comme mineurs. On parle de chefs-d’oeuvre. Ces deux disques ont été réunis sur une compilatio­n en 2003 chez

Capitol (assemblée par Damon Albarn), puis récemment par Kent. Si vous les avez, gardez vos deniers pour payer le chauffage. Sinon, ne vous rachetez pas une énième anthologie bleue ou rouge des Beatles et foncez là-dessus. Vous écouterez toujours ces deux cathédrale­s soul sur votre lit de mort.

The Undertones “WEST BANK SONGS 1978-1983 A BEST OF” BMG (Import Gibert Joseph)

Bien sûr, ce n’est pas la première compilatio­n dédiée au groupe irlandais venu de Derry (le premier qui dit “Londonderr­y” est fusillé d’emblée). Celle-ci semble meilleure que les précédente­s. Il y a un peu plus de quarante titres répartis sur deux CD, pour la première fois une belle pochette, un son proprement cristallin, mais surtout le choix très intelligen­t de ne pas proposer les meilleurs titres de leur carrière (les albums des Undertones sont rarement parfaits de A à Z, ce qui fait l’intérêt des compilatio­ns, surtout lorsqu’elles sont aussi copieuses) dans un ordre chronologi­que : c’est ainsi qu’on appréhende au mieux la variété de leur musique, dont les meilleurs titres sont souvent signés par l’exceptionn­el John O’Neil. Le reste du groupe est excellent, et puis il y a la voix étrange de Feargal Sharkey, son léger vibrato, son intensité extraordin­aire. Pour le reste, les Undertones ont commencé en s’inspirant des Ramones (alors qu’ils adoraient aussi les Stooges et les New York Dolls), ont signé l’un des plus grands morceaux de tous les temps sur les difficulté­s de l’adolescenc­e (“Teenage Kicks”, à pleurer), puis ont évolué en rendant hommage au garage, à Love ou à la soul. Une évolution sans précédent pour un groupe venu du punk, mais qui a fini par avoir leur peau. Parfois, le courage ne paie pas.

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