Stephen Monahan
“STEPHEN MONAHAN”
DES CHEFS-D’OEUVRE SIXTIES PASSÉS À LA TRAPPE, MÉPRISÉS, IGNORÉS, BAFOUÉS ? De “The Velvet Underground & Nico” à “Odessey And Oracle”, il en existait un sacré paquet. “Exister” au passé : au fil des ans, les années soixante ont été ratissées au peigne fin, les injustices localisées, dénoncées, réparées, les disques déconsidérés à tort se voyant largement revalorisés. Résultat : des tonnes d’ex-obscurités des années soixante trônent maintenant dans toutes sortes de listes(1) affublées de l’étiquette “culte”. Beaucoup de troisièmes couteaux, dont la principale qualité fut l’anonymat, se retrouvent aujourd’hui vantés par des hordes d’illuminés. Les artistes sixties à la fois surdoués et passés entre les gouttes des rédemptions rétrospectives ? Il faut se lever tôt pour, encore, en exhumer. “Of Horses, Kids And Forgotten Women” de Hearts And Flowers, avec l’exceptionnel “Ode To A Tin Angel” : au niveau des Byrds. “Hypnotic 1” de Bit ‘A Sweet : meilleur que “Their Satanic Majesties Request”. Aux Pays-Bas, Ro-d-Ys (“Earnest Vocation”), Mega’s (“Meganique”), The Motions (“Impressions Of Wonderful”), en Nouvelle-Zélande The Avengers (“Medallion”) et Fourmyula (“Green ‘B’ Holiday”), en Italie The Rokes, en Argentine Los Walkers, en Australie The Twilights, au Danemark The Floor, voilà tout autour du globe des pépites à déterrer(2). Et la plus obscure des obscurités doublée du plus génial des génies ? Stephen Monahan — auteur d’un unique album, à la fois éponyme et sublime, sorti en 1968 dans l’indifférence générale, toujours ignoré, jamais réédité —, sachant, comble de la honte, qu’on trouve facilement des vinyles en circulation à dix malheureux dollars.
Né à Detroit, Stephen monte un groupe au lycée, The Tremolos — deux singles, des instrumentaux surf, en 1962 et 1963. Parallèlement, Monahan, qui n’a même pas dix-huit ans, sort ses propres chansons, “Annabelle Lee” et “The Leaves Of Fall”. Aucune répercussion : il tente une alliance avec un autre apprenti-rocker, Bob Seger, ainsi qu’avec le dénommé Dan Bourgoise. C’est avec ce dernier qu’il rencontre en 1964 une star du même âge, également originaire du Michigan : Del Shannon. Les trois gamins deviennent copains comme cochons, Monahan accompagnant Shannon en tournée sur le “Dick Clark’s Caravan Of Stars” — trois mois de concerts en 1965 aux côtés des Zombies et Shangri-Las. Suit un autre enrôlement — chez les militaires. Quand il termine l’armée, Steve rejoint Del et Dan en Californie, où ils se sont installés. Bidasse, il ne s’en était pas rendu compte.
Là, au pays des Byrds et Doors, le monde a complètement changé. Il habite avec Dan, la paire donnant un coup de main à Del pour deux albums splendides, “Total Commitment” (1966) et “The Further Adventures Of Charles Westover” (1968). Parallèlement, Dan lui ayant dégoté un contrat avec Knapp Records, le label de Burt Bacharach et The Critters, Monahan bosse sur son propre album, entouré d’une équipe de choc : à la production, Charles Greene et Brian Stone (le duo derrière Buffalo Springfield) et aux arrangements, le cador du Wrecking Crew, Don Peake. L’avant-coureur “City Of Windows” marche pas mal : 78ème place des charts. Un titre épique qui laisse présager d’une suite grandiose. Les deux singles suivants, les fantastiques “Play While She Dances” et “Newberry Barn Dance”, se gaufrent lamentablement. Pareil pour l’album “Stephen Monahan”, en 1968. Pourtant, nom d’un chien, quel disque — le petit frère caché de “Forever Changes” ! Imaginons une soirée informelle où passeraient les musiciens de “Walk Away Renée” et “Gene Clark With The Gosdin Brothers”, certains boivent un coup ou fument un joint, d’autres jouent, de façon urgente, passionnée, une pop orchestrale ou rustique, baroque et spontanée, les chaises tournent, des chansons magnifiques s’édifient — “Run For Me”, “Long Live The King” et le tétanisant “Why Do I Still Love You”. Flop retentissant, injustice hallucinante. Monahan enregistre deux autres singles (dont le beau “A Little Bit”), offre “Colorado Rain” à Del Shannon, lui produit “Oh How Happy”, puis change de secteur, rencontrant enfin le succès — comme chiropracteur en Floride. Il soigne les lombaires, torticolis et sciatiques. “Stephen Monahan”, l’album, grandiose et occulté, guérit, lui, de la médiocrité. ★
1. Kaleidoscope (les Anglais), The Smoke (les Américains), Nirvana (les Gréco-Irlandais), J.K. & Co., Barry Ryan, Billy Nicholls, Tages, Blossom Toes, The End, Grapefruit, The Moon, Apple, World Of Oz, The Family Tree, Honeybus, Jimmy Campbell, tous jouissent à l’heure qu’il est d’une cote conséquente et légitime. 2. Et aussi : The Appletree Theatre, The Mirage, Chris Parfitt, The American Revolution, Russell Morris, Tin Tin, The Hobbits, Sheridan & Price, The Children, The 31st Of February, Mike Tingley, The British North-American Act, Vaughan Thomas, The Griffin, Thomas Hill, The New Wave, Les Sinners, Wichita Fall, The Tuneful Trolley, Les Sauterelles, The Young Idea, Thomas Edisun’s Electric Light Bulb Band…
Première parution : 1968