Rock & Folk

“School’s Out”

On ne juge pas un livre à sa couverture. Et un album ? Chaque mois, notre spécialist­e retrace l’histoire visuelle d’un disque, célèbre ou non.

- Alice Cooper

Première parution : 1972

Printemps 1969, les débuts d’Alice Cooper sont laborieux. Au Cheetah Club de Los Angeles où il joue régulièrem­ent, le groupe fait plus fuir les spectateur­s qu’il ne les retient, sauf une, Miss Christine. Membre du groupe des GTO’s (Girls Together Outrageous­ly, une troupe de filles excentriqu­es qui dansent et chantent en mode happenings avant les concerts), Miss Christine a trouvé en Vincent Furnier un double presque plus étrange qu’elle. Les deux créatures sortent ensemble et Christine, qui vient de jouer à la sirène d’outre-tombe sur la pochette de “Hot Rats” de Frank Zappa, présente Alice Cooper à son mentor. Venant de créer Bizarre Records et Straight Records pour accueillir des artistes disruptifs, Zappa ne peut résister à un groupe qui effraye ses auditeurs. La pochette de “Pretties For You”, sorti en 1969, propose une peinture d’Edward Beardsley que Zappa venait d’acquérir. Une jeune femme montre sa culotte à un passant, c’est provocateu­r, mais pas suffisamme­nt pour en faire un succès commercial. La pochette de l’album suivant, “Easy Action” (1970), présente le groupe aligné de dos, avec un look glam. Malgré une améliorati­on substantie­lle dans les compositio­ns et la production, la sauce ne prend toujours pas. Lassé et pas suffisamme­nt disponible,

Zappa jette l’éponge et Warner Bros., distribute­ur, reprend le label dans lequel il y a aussi Tim Buckley et Captain Beefheart. Avec “Love It To Death” (mars 1971), le show Cooper se met en place, et c’est exactement le sens de la pochette. Entouré de ses musiciens, Furnier est saisi par un spot de lumière dans une pose lascive sur une scène. La pochette sera retirée du marché par Warner à cause d’une main qui plonge vers les parties génitales du chanteur, et remplacée par le même visuel où le bras a été soigneusem­ent caché. L’intérieur est un gros plan de ses yeux grimés de noir en mode spider. L’album se vend progressiv­ement bien, tiré par le tube “I’m Eigtheen”, et le groupe affine la théâtralit­é de son jeu de scène. Dans un véritable show d’horreur, Furnier, qu’on identifie désormais au nom de son groupe, se débat dans une camisole de force, joue avec un boa vivant dans des poses sulfureuse­s et, clou du spectacle, grille sur une chaise électrique. Les sixties, les hippies et le rock à message révolution­naire semblent bien loin. Alice Cooper est devenu la nouvelle sensation scénique, gesticulat­ion sexuelle et train fantôme sur un hard criard entre garage et glam. Huit mois plus tard, le boa est la vedette de la pochette de “Killer” qui propose en goodies un calendrier avec Alice Cooper pendu au bout d’une corde. Il est désormais clair que le groupe vise le public adolescent par son imagerie et les adultes par son rock puissant et savamment sophistiqu­é.

La machine Cooper est inarrêtabl­e et “School’s Out” arrive dans les bacs sept mois après le précédent opus. L’album est presque entièremen­t consacré au grand moment de l’adolescenc­e : le lycée. Cette thématique est quasi consubstan­tielle à la naissance du rock au cinéma dans “Blackboard Jungle” et sur les platines avec “School Days” de Chuck Berry. Après tout, le rock’n’roll n’est-il pas qu’une longue ode à la frustratio­n adolescent­e ? L’idée de la table d’écolier en bois surgit lors d’une réflexion collective entre les membres du groupe et exprime immédiatem­ent le concept de l’album. Ont-ils été influencés par la pochette de “Thinks: School Stinks” du groupe anglais Hotlegs (futur 10CC) sortie un an plus tôt ? Quoi qu’il en soit, celle de “School’s Out” se doit d’être à la hauteur des mises en scène d’Alice Cooper, impactante et inoubliabl­e !

Craig Braun, tout auréolé de ses expérience­s avec Warhol (la banane du Velvet Undergroun­d et “Sticky Fingers” des Rolling Stones), imagine un pupitre d’écolier tabernacle du lycéen, presque réel. Son équipe en chine un des années cinquante chez un brocanteur de Manhattan. Il ajoute un encrier, des crottes de nez (dixit Craig Braun) et grave les initiales ou les noms des musiciens du groupe (AC pour Alice Cooper, N Smith pour Neal Smith…). Un gros coeur rouge transpercé d’un couteau et barré des noms du groupe et de l’album est taillé et coloré dans le bois. Plus ado, tu meurs ! Mais l’ingéniosit­é est à l’intérieur. Concepteur de la fameuse carte tournante du Led Zeppelin III, Craig Braun place l’ouverture de la pochette sur la charnière du pupitre et, au recto, il installe des pieds dépliables de façon à maintenir le bureau légèrement surélevé. Dès lors, la pochette devient en objet en soi. Dans le casier de rangement du pupitre, il prend soin de placer, outre les outils classiques de l’élève — stylo, règle, gomme… —, les attributs du cancre parfait : un lance-pierre, un couteau à cran d’arrêt, des billes, du chewing-gum Wrigley, un quiz scolaire pour décliner les crédits de l’album et un exemplaire du n°111 de “Mad” datant de juin 1967 ouvert à la page 16 où on aperçoit un strip sur Liberace.

Sur la face intérieure de l’abattant, une photo du groupe est scotchée maladroite­ment. Alice Cooper en goguette : Neil Smith en train de siroter une bière, Michael Bruce sur le sol, hagard au milieu des canettes vides, Alice Cooper et Glen Buxton essayant de tenir debout alors que Dennis Dunaway, visage masqué et installé dans une poubelle, pointe sur nous une arme. Le portrait du gang a été préféré à celui de la traditionn­elle petite amie, désirée mais pas conquise. Quoique ? Le vinyle est glissé dans une petite culotte, trophée et fétiche ! Seuls les premiers exemplaire­s en bénéficier­ont avec un bulletin scolaire sur lequel il y a les titres des chansons écrits à la main. Pour une histoire de législatio­n, ils seront retirés du marché. Qu’à cela ne tienne, le stock restant sera balancé d’un hélicoptèr­e lors du concert à l’Hollywood Bowl de Los Angeles. Long live rock’n’roll ! ■

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