Highway 666 revisited
Groupes hard rock, groupes cultes
POWER TRIO À L’ASCENSION AUSSI FOUDROYANTE QUE SON IMPLOSION, WIZARD SYMBOLISE CETTE TRANSITION ENTRE GARAGE ROCK, PSYCHÉDÉLISME VIOLENT ET HARD ROCK NAISSANT. Son unique album, dont la valeur peut aujourd’hui atteindre plus de neuf cents euros, a révélé le talent du guitariste Ben Schultz, lequel deviendra un musicien de séances très prisé.
Nous voici en 1970, à l’université de Tampa, en Floride. Bassiste novice, Paul Forney peut compter sur son pote Charlie Souza. Ce dernier lui passe le numéro du très doué Ben Schultz : résultat, il décroche une audition qui le propulse membre de Brother. Un camarade de l’université, un certain Chris Luhn, prête ses muscles comme roadie. Chemin faisant, Brother se retrouve à ouvrir pour deux formations bien établies (mais aujourd’hui un peu oubliées) en cette orée des triomphantes seventies : Smith — mené par la voix tonitruante de Gayle McCormick — et The Flock. Alors qu’il décharge le matériel, Chris est témoin d’une scène habituelle : les managers des deux groupes se chamaillent pour savoir lequel passera après l’autre. Malgré de solides mises en garde, celui de Smith insiste pour avoir le dernier mot — une bien mauvaise inspiration tant The Flock brillera ce soir-là. Pendant ce temps, en coulisses, le batteur de Brother est introuvable, la faute à un énième coup de tête. Excédé, Paul demande à Chris de s’asseoir sur son tabouret pour les balances. Ravi, le gonze s’exécute et déballe même tout le répertoire. Paul et Ben échangent un sourire : pourquoi ne pas miser sur lui, finalement ? Dès le lendemain, Chris appelle son père pour lui soutirer de quoi acquérir ses propres fûts. Sous le sobriquet de Wizard, les chevelus gravissent rapidement les échelons jusqu’à partir en tournée avec Iron Butterfly (et de se faire éjecter après lui avoir fait trop d’ombre…). Qu’importe, c’est la belle vie : le trio sillonne les Etats-Unis dans sa Pontiac Bonneville de 1967 équipée d’une remorque, rétamant les places fortes du moment : Los Angeles, Chicago, Nashville, Miami et Detroit. Non loin de la Motor City, Wizard participe au festival de Goose Lake, du 7 au 9 août 1970. L’affiche est complètement démentielle : outre les Faces, Ten Years After ou James Gang, on y retrouve The Stooges, MC5, Bob Seger, Brownsville Station, Frost ou encore SRC. La crème de la crème du Michigan. Deux cent mille chanceux sont présents et le shérif local estime que “75% des jeunes étaient sous drogue”. En bonus : un immense toboggan et une ingénieuse scène pouvant pivoter à 180 degrés (ce qui limite les temps morts). Ayant passé le test de la brutalité haut la main, nos gaillards se lient et improvisent avec Third Power, Catfish ou Frijid Pink. Bob Fletcher, producteur du label Decca, finit par les repérer. Très vite, il les convie à un enregistrement aux studios Penguin d’Atlanta. Un premier album est mis en boîte en quelques jours. Il paraît en 1971 sur le microlabel Peon Productions. D’emblée, le manifeste antidrogue “Freedom” pose les bases de ce classique du courant heavy psych : on y découvre la guitare un peu garage-rock de Schultz, capable par ailleurs d’envolées quasi hendrixiennes, distorsion et wah-wah, la voix narquoise et rocailleuse de Forney, ainsi qu’une section rythmique efficace, Luhn ayant une certaine affection pour les roulements de toms. La douce ballade “Come And See The Bride” démarre par une marche nuptiale. La suite se fait plus virulente, tempétueuse (“Opus Ate”, “Killing Time”, “Gotta See My Way”). “Ride” est un rare détour par la country, tandis que “Seance” louche du côté de Cream, avant d’étonnants titres portés sur la religion (“Talkin’ To God”, “Evergreen”). Partout, la dextérité de Schultz est remarquable, tout comme l’énergie juvénile qui se dégage des musiciens. L’hiver suivant, Wizard doit se produire dans un autre festival à Hollywood. Cagnard, mauvaises drogues, le trio perd ses moyens et se rattrape avec une longue mais intense jam de trente minutes. Les trois hommes continueront de réjouir les foules, notamment aux côtés de Chicago, Mountain ou Rod Stewart, mais implose après seulement seize mois d’existence. Paul Forney intègre Bacchus (pour quelques singles). Chris reprend ses cours et devient juriste dans l’Etat de New York. Ben Schultz aura la carrière la plus imposante et d’assez loin puisqu’il sera embauché par Buddy Miles, Carmine Appice, Rod Stewart, Stephen Stills, et remplacera même Mick Bloomfield au sein du supergroupe KGB. Il fondera aussi Pipedream avec Tim Bogert (Cactus, Vanilla Fudge), Willy Daffern (Captain Beyond) et Jan Uvena (futur Alice Cooper et Alcatrazz). Avec à la clé, en 1979, un intéressant long-format de hard rock mélodique et conquérant, aux refrains bien affûtés, entre Grand Funk, Cream (“Lies”, “Feel Free”) et Journey (“Love Don’t Come Easy”), avec de très bons titres comme le blues-rock “Lazy Lucy”, “Rosalie” et la très orchestrée “Only Cause”, superbe ballade aux nettes fragrances Beatles façon “I Want You”. Mais hélas, sans davantage décrocher la timbale. ■