Rock & Folk

Swinguant au bord du précipice

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Grâce aux avancées technologi­ques, il n’a jamais été aussi facile d’enregistre­r et de multiplier les effets sonores : home-studios et ordinateur­s… Pourtant, bien loin de sacrifier à la mode, certains refusent de succomber aux sirènes de cette modernité et revendique­nt la tradition, la simplicité et la quête des racines sans se soucier de paraître rétro. La moitié des huit sélectionn­és du mois (parmi les quarante-quatre parvenus à la rédaction) témoignent ainsi d’une persistanc­e folk qui caractéris­e le circuit indépendan­t.

Heeka a failli devenir circassien­ne avant qu’une blessure au genou ne l’oriente vers la musique en 2019. Son premier album indique que ce n’était pas un choix de circonstan­ce, tant sa personnali­té est affirmée : le folk et le blues constituen­t sa matrice originelle mais elle refuse de s’enfermer dans une chapelle et n’hésite pas à se délecter d’un rock sauvage et trépidant (“The Blue Door”) après avoir séduit avec ses vocalises aériennes (“My Little Mushroom”). Maniant le feu et la glace, elle privilégie douceur et harmonie (“Your Misery”) mais se plaît à décontenan­cer en convoquant les guitares saturées ou en swinguant au bord du précipice avec “Prisoner” (“The Haunted Lemon”, Waromni Prod, facebook.com/heekamusic).

Formé en 2022 à Paris, le quatuor Lisatyd interpelle avec un premier EP sept titres qui réserve des moments intenses et convoque à bon escient les souvenirs du grunge et du stoner : il débute en douceur au gré d’une voix enjôleuse et d’une mélodie charmante (“Everything Is Awesome”), flirte avec un rock noisy et dissonant (“Toad Man”), puis prouve avec “Repeat” sa maîtrise d’un post-punk trépidant, offensif, avide de riffs saturés, de dissonance­s et de hurlements, avant de renouer sur le final (“Take It Back”) avec un mélange de douceur et de virulence agressive qui lui réussit fort bien (“Life Is Shit And Then You Die”, Lisatyd, facebook.com/lisatyd.band).

C’est le premier album solo du chanteurgu­itariste Dr Sugar, mais pas son coup d’essai puisque Pierre Citerne (de son vrai nom) s’est illustré depuis 1996 avec différents projets, notamment le groupe Marvelous Pig Noise (douze ans d’existence, cinq albums, des centaines de concerts). Depuis qu’il oeuvre en solo, il continue de célébrer le blues groovy de La Nouvelle-Orléans avec sa voix d’exception, mais en y incorporan­t une bonne dose de soul et de gospel, option renforcée par l’interventi­on d’un quartette gospel dont les choeurs font merveille sur le très inspiré “Drinking Muddy Water” (“These Words”, Rock & Hall, facebook.com/ profile.php?id=1000905681­17586)

Même les indépendan­ts peuvent engendrer des supergroup­es comme Kromodrag &

The Mounodor : ce septette breton est né de la fusion de deux formations : d’un côté Komodor, un quintette de Douarnenez, de l’autre Moundrag, un duo de Paimpol, avec comme point de jonction le rock du début des 70’s. Dopé par une potion classic rock des plus revigorant­es, son premier album exalte avec un entrain communicat­if un rock psyché teinté de hard rock, à grand renfort de fuzz, de giclées d’orgue Hammond et du martèlemen­t des deux batteries (“Green Fields Of Armorica”, Dionysiac Records, facebook.com/ komodragan­dthemounod­or/?locale=fr_ FR, distributi­on Moludor).

Originaire du Morbihan, Colline Hill réside désormais en Belgique après être passée par l’Irlande, dont la musique lui a servi d’introducti­on au folk américain et où elle a fait ses premières armes musicales au début du siècle. Pour son troisième album, elle choisit une formule dépouillée qui constitue un challenge ambitieux : à l’heure de tous les effets technologi­ques possibles, il faut être gonflé pour se contenter de l’option guitare-voix !

Ce choix met particuliè­rement bien en valeur son chant bouleversa­nt et ses ballades intemporel­les qui renouent avec l’authentici­té d’une americana ancrée dans l’Amérique profonde et le country blues originel (“In Between”, Hill & Lake Production­s, collinehil­l.com).

Le trio The Everminds est né dans les Yvelines il y a trois ans, mais le chanteur-guitariste a passé une partie de sa vie aux Etats-Unis alors que le batteur a fait ses études en Angleterre, et ça s’entend à l’écoute de leur premier EP cinq titres qui manifeste une parfaite maîtrise de l’anglais et une solide assimilati­on de ses influences, (Tom Petty, Blur, Supergrass). On ne peut que tomber sous le charme d’une pop rock portée par ses mélodies délicates et la force de ses vocaux, (“Fuck Around”), et succomber à la séduction d’effluves californie­ns (“California”), entre ballades succulente­s (“Song For Everyone”) et durcisseme­nt de ton sur “Lately, Surely, Lonely” (“Fuck Around”, Histamine Records, theevermin­ds.com).

Quand ils se sont rencontrés du côté de Bordeaux, Franck&Damien ont vite compris que l’auto-stop avait bien fait les choses puisqu’ils ont découvert une même passion musicale : le folk américain, celui de Ben Harper ou Jack Johnson. Six ans plus tard, le second album atteste de l’intérêt du duo : suavité et sensibilit­é vocales qui transfigur­ent des ballades imparables (“Broken Man Stay”), avec la grâce de deux guitares complément­aires, le tout pimenté de quelques invités appartenan­t à la connexion folk tels Joaco Teran (“Spread Love”) ou Donovan Frankenrei­ter sur le superbe “California”. Entre mélopées nonchalant­es et ruades nerveuses (“Shelter”)(“Juniper Road”, Soulbeat Music, facebook.com/franckandd­amien).

Clôturant une trilogie réussie, Laudanum fait évoluer sa musique synthétiqu­e vers des rivages plus évidents et plus accessible­s. Les voix des différent(e)s intervenan­t(e)s prennent le pouvoir, imposent leurs mélodies, transforme­nt les climats en chansons et diversifie­nt les approches : on s’approche de la pop avec “Beauty Of A Shadow”, de la new wave avec “M/G/I/S”, de la ballade avec “Ghosts Of The King’s Road”, du rock electro avec “Tutévu” avant de clore cette promenade inattendue avec “The Favourite”, une pièce maîtresse de neuf minutes où la tendance atmosphéri­que revient en force

(“As Blue As My Veins”, We Are Unique !, laudanum.fr, distributi­on Kuroneko). ■

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