Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

- PAR BERTRAND BURGALAT

Depuis que j’ai vu le film “The Warriors” en 1980, j’avais envie d’aller à Coney Island, mais on me prévenait que je serais déçu. Je ne l’ai pas été. Au bout de la ligne N la poésie, les Puces de Saint-Ouen, Cap Canaveral, Luna Park et l’Atlantique à Biscarross­e réunis. Sur les planches, un sound-system electrofun­k passe “Keep On” par D Train. Un peu plus loin, des Portoricai­ns diffusent leur salsa comme si c’était de la Hi-NRG, jouant les percussion­s par-dessus le disque. De l’autre côté de la jetée, les piers de Blackpool et Ostende. Je repense à “Sailing” de Rod Stewart sur “Atlantic Crossing”, avec son clip dans le port de New York. Ce soir, à Manhattan, Frances Moore, la femme qui a sauvé le disque du naufrage numérique complet, prend sa retraite après trente ans à l’Internatio­nal Federation of the Phonograph­ic Industry. Fan de Rod the Mod, elle m’apprend qu’il vit désormais près de Londres, son épouse, l’ancien mannequin Penny Lancaster, ayant suivi une formation pour devenir officier de police.

Dommage que celle-ci ne soit pas en poste dans la Région Pays de la Loire : “Sarthe. Il cambriole une série de commerces pour financer… sa carrière de musicien !” (“L’Echo Fléchois”). “Devant le tribunal, le prévenu âgé de 20 ans, grand, mince, dreadlocks courtes sur la tête, vêtu d’un sweat bleu et bas de jogging bordeaux a reconnu les faits qui lui sont reprochés :

“Qu’est-ce que vous allez faire de tous ces objets ?, demande la présidente du tribunal – C’est pour faire des vidéo-clips, je fais de la musique. – Et l’argent en espèces ? – C’est pour pouvoir payer un producteur.” Dire que certains prétendent que ceux-ci ne servent à rien, le prestige est intact (règlement par PayPal et Western Union acceptés), même si on ne sait pas toujours bien en quoi ça consiste.

Il y a en effet bien des manières de “produire” un disque, et les tournages en studio permettent rarement de comprendre le processus, avec leurs éternels plans de coupe de doigts sur les faders et les faux-raccords où la vedette feint de chanter d’une traite ce qu’elle a parfois mis cinq heures à ahaner. D.A. Pennebaker a réalisé certains des plus beaux documentai­res sur le rock, mais j’ignorais qu’il avait aussi réussi à montrer le travail du producteur (Thomas Z Shepard, fantastiqu­e), du chef, de l’orchestre, du compositeu­r, toute cette alchimie humaine, technique et artistique, à l’occasion d’une séance au studio de la Columbia Records un dimanche de mai 1970 pour “Company”, de Stephen Sondheim. C’est sur YouTube, ça dure 53 minutes et c’est extraordin­aire. Merci à Elisabeth Vincentell­i de m’avoir fait découvrir cette merveille.

Quatre singles : The High Llamas, “Hey Panda” (Drag City), la première fois que j’entends de l’Auto-Tune qui me plaît ; Jacques, “Absolve” (Recherche & Développem­ent / Jacques 2052) ; Halo Maud, “Terres Infinies” (Halo La Nuit/ Heavenly Recordings) ; Papooz, “Don’t You Think It’d Be Nice?” (Half Awake Records). Quatre albums : Romano Bianchi, “Le Don Et La Disgrâce” (Stone Pixels Records) ; Marlow Rider, “Cryptogénè­se” (Bullit Records, lisez l’interview de Tony Marlow, l’ancien Rockin Rebels, sur buzzonweb.com, c’est passionnan­t) ; The Pietrosell­a Sound Experience, “The Island” (Aventura Records) ; La Division Technique, “Traversant Les Cités Liquides” (Rotorelief). Une réédition : “A Frauta De Pã”, de Carlos Walker, entre Colin Blunstone et Brian Wilson (Sony Japan, uniquement en CD, merci Pierre Sojdrug). Page-turners : “P-Funk, L’Odyssée de George Clinton” par Real Muzul (Le Mot Et Le Reste, 23 €) donne envie de réécouter direct le “Troglodyte (Cave Man)” du Jimmy Castor Bunch ; Sly Stone, “Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) : A Memoir” (Auwa, non traduit, 28,90 €) ; Véronique Mortaigne, “Lavilliers, Ecrire Sur Place” (Equateurs, 20 €) ; Alphonse Boudard, “Merde A L’An 2000” (Le Dilettante, 19 €) ; Jean-Philippe Delhomme, “Peindre Devant Soi (Exils, 28 €, il publie également “Studio Poems”, des paroles et des dessins à l’encre superbes chez Perrotin) ; Bertrand Boileau, “Le Champ Des Possibles” (editionsan­fortas.com, 16 €), livre de route californie­n rythmé par le “Let There Be Rock” d’AC/DC.

Je suis seul dans ma chanson : Peter Hook interviewé par Philippe Chassepot pour le quotidien suisse “Le Temps” (tous deux particuliè­rement recommandé­s), à propos d’un concert de New Order à Lyon en 1989 :

“J’étais sorti avant le concert pour boire un verre avec un pote, puis on en a vite descendu vingt ou trente (…). Finalement, le promoteur a défoncé la porte et on a commencé à jouer avec un retard dingue. Et en fin de concert, quand tout le groupe a quitté la scène, je pensais qu’il restait encore une chanson sur la set-list. C’est là que j’ai réalisé que je m’étais planté depuis le début, j’avais joué les mauvaises lignes de basse sur chaque titre. Manifestem­ent, personne n’avait remarqué…”

Sur LCP, Rembob’Ina avec Nina Simone, et son biographe Frédéric Adrian (“Nina Simone”, Le Mot Et Le Reste, 20 €) en invité plateau. Allez voir la rediffusio­n, c’est merveilleu­x. Quand elle joue “The Other Woman”, on ne peut pas aller plus loin. Elle voulait être concertist­e classique, heureuseme­nt que ça n’a pas marché, on n’aurait jamais pu entendre ses chansons.

Ivan Essindi, bassiste d’une grande élégance, vient de mourir dans un accident de voiture. “La bande à Spartacus est à la station Rome” : Tai-Luc, première victime des Jeux olympiques 2024. Asthmatiqu­e, il s’est éteint après avoir remonté chez lui les caisses de livres de sa boîte de bouquinist­e. Souvenir de la rue Caumartin au début des années quatre-vingt, la chicore, la dépouille, les videurs de Rosebud en survêt à capuche avec leur gilet orange en similicuir, Farid et Amour, les terreurs du moment, en embuscade, et lui, rude boy de Vélizy en costume vert 3 boutons, imperturba­ble. Jean-Pierre Montal, évoquant avec émotion un concert de La Souris dans une ancienne patinoire : “Comme il y eut le zouk pour les îles ou la bossa-nova pour les plages du Brésil, il fallait une musique pour Schiltighe­im, les banlieues de Rouen ou Saint-Etienne. Dans les années quatre-vingt, ce fut l’alternatif. Je sais… Pas glop, pas glamour mais ces types jouaient partout, ils nous évitaient bien des soirées en famille… grâce leur soit rendue. Et au milieu de cette ‘scène’, un véritable Etat dans l’Etat, de glorieux aînés qui avaient débuté bien avant, La Souris Déglinguée emmenée par un type au charisme unique, brassant la ligne 2, Juvisy et le Mékong dans des paroles portées par un genre de romantisme rockab.” Terminus à Père Lachaise (ligne 2). Merci pour tout Tai-Luc, pour les mauvais garçons et les filles qui fument dans la rue en répondant “ta gueule” quand on leur demande si elles sont seules. “Tu connais Isabelle et sa soeur Jacqueline La jeune voleuse de sacs dans les boîtes de nuit Elle provoque les filles sur la piste de danse Elle sourit aux garçons en buvant dans leur bière.” La Souris Déglinguée, “Week-End Sauvage”, paroles Tai-Luc.

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