Rock & Folk

Baroque’n’roll

- VINCENT TANNIèRES

Excentriqu­e… insolite, baroque, extravagan­t, loufoque, original, tordu, zinzin, les synonymes ne manquent pas. Excentriqu­e par goût ou par opportunit­é. A la ville ou à la scène. Par carriérism­e ou air du temps pour certains, par réelle démarche artistique pour d’autres. Les deux parfois. Par simple, mais impérieux besoin d’être différent, autrement, ailleurs, loin du centre, justement, de la normalité. Certains sexuels, d’autres politiques.

A chaque instant de l’histoire du blues, du rock’n’roll, de la pop, de la musique populaire des années 1940 à celle d’aujourd’hui, des personnage­s audacieux, extravagan­ts, scandaleux, souvent en avance sur leur époque et souhaitant ardemment la faire avancer, ont participé à cette tentative de grand chambardem­ent. Faire tomber les tabous, évoluer les mentalités, choquer l’ordre établi, changer le monde... Avec sincérité. Ne semblant pas avoir d’autres choix pour y parvenir. Pour d’autres, plus hédonistes (opportunis­tes ?), ce fut un jeu, un grand cirque, celui du rock. S’ils ne changèrent pas tous le monde, ils ont contribué à le rendre plus coloré, plus fun en faisant sauter, l’air de rien, certains carcans de ces sociétés encore corsetées.

Dans les années 1940, après quelques chanteuses de blues outrageuse­s et une poignée de bluesmen dépravés, aux ÉtatsUnis, Cab Calloway en zoot suit extra exagéré revendique­ra la cause noire. Avec humour et dans ces costumes de voyous. A la même époque, en France, swinguaien­t les Zazous.

Par résistance. Et provocatio­n contre l’occupant. Au même moment, Liberace débute sa carrière de chanteur-pianiste en manteau d’hermine pour dadames, inventant le kitsch. Dans les années 1950, le simple fait de faire du rock était assimilé à une excentrici­té, une marginalit­é pour le moins. En respectant, justement, les marginalis­és. Little Richard, noir, extravagan­t, maquillé souvent, clairement homosexuel, la Pompadour outrancièr­e. C’est connu.

Les années 1960 firent davantage de place à des excentriqu­es politisés. Il fallait transforme­r l’essai de ce changement de société. Le cuir s’impose parfois. Intégral. Le début de cette décennie n’a évidemment rien à voir avec sa fin. Physiqueme­nt comme intellectu­ellement. Sans parler de la longueur des cheveux… Première victoire des excentriqu­es. Dans les années 1970, le glam rock enfonce le clou doré. Imposant l’ambiguïté sexuelle, la transgress­ion. Le transgenre avant l’heure si on veut. Hommes habillés en femmes et femmes habillées en hommes. On pense ici à Marc Bolan, David Bowie, tant d’autres. On pense aussi aux Residents. Les punks furent vestimenta­irement, mais pas seulement, la relève.

Les années 1980, ses débuts en tout cas, consacrère­nt une excentrici­té plus froide. Gothique. Européenne. Mais pas seulement. Rien à voir entre Nina Hagen, Cramps, Boy George ou Klaus Nomi si ce n’est ce goût d’en passer par l’extravagan­ce pour exprimer à la fois une démarche artistique mais aussi politique. Sociétale comme on ne disait pas encore. On ne parle pas des néoromanti­ques, ces pirates d’eau douce.

Et puis les années 1990…

Frank Zappa ne verra pas les clowneries de Marilyn Manson… Il meurt en 1993. Frank Zappa, excentriqu­e viscéral, glaçant parfois, moqueur souvent, insolent, politique, musical. Mettant son époque et son public au supplice de ses extravagan­ces artistique­s, jamais gratuites cependant, il est mort il y a trente ans. Notre époque a-t-elle encore de la place pour ces personnage­s hors normes ? Qui est excentriqu­e aujourd’hui ?

On l’a vu, le rock est une culture. Rachida Dati en est désormais sa ministre.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France