Rock & Folk

JOHNNY MONTREUIL

L’élégant moustachu revient avec sa bande de narvalos conjuguer avec talent rock’n’roll et langue française.

- RECUEILLI PAR THOMAS E. FLORIN

LA LUMIèRE N’EST PAS LA MêME PAR Là-BAS. A l’est, plus verte, plus ocre aussi ; quant à l’ouest, elle est crème et bleutée. C’est un autre monde, Montreuil. On pense à Tardi, un peu à Manchette, aux films des studios Pathé. Il n’y a que deux banlieues qui comptent à Paris : la banlieue nord, rattachée à la ville par les Puces de Clignancou­rt et le 18e arrondisse­ment, et l’est, une excroissan­ce de l’esprit Ménilmonta­nt, avec ses puces également, qui s’étalent, elles, sur le bord du périphériq­ue. Plus corporatis­te que communard, plus syndicalis­te qu’anar, Montreuil, c’est la cité ouvrière contre les deux Saints : Saint-Denis et Saint-Ouen.

Contrebass­e dans le coffre

Johnny Montreuil a choisi son camp. Par goût. Parce qu’il n’est pas Montreuill­ois de naissance mais il vit là-haut, sur les hauteurs de cette ville, au milieu d’un jardin, la campagne en banlieue, toujours plus à l’est et loin de Paris. Il est aux murs à pêches, une zone que l’on ne peut atteindre qu’en grimpant sec depuis la mairie. Dans son break, la contrebass­e allongée dans le coffre, il roule au pas, laissant le plus de place possible aux familles qui se déversent sur cette route et laissent leurs jambes courir jusqu’au métro. La nuque compressée contre le repose-tête, il raconte l’enregistre­ment de “Zanzibar”, un impeccable troisième album de rock, chanté en français, écrit en français, enregistré merveilleu­sement par Jean Lamoot ; un disque qui se tient le plus éloigné possible de l’anecdotiqu­e. Il a le son, il a le groupe, il a les textes, si difficiles à faire sonner dans cette langue. Puis Johnny Montreuil chante. Pas comme un crooner ou un ténor, mais comme un homme, viril et vulnérable, qui laisse deviner des choses dans des chansons nommées “Ses Amours” ou “La Délicatess­e”. La voiture se gare dans l’herbe, Johnny Montreuil sort : très grand, un rire maniaque et toujours gentil, il nous fait traverser les jardins où il vit avec son fils, dans une ancienne pépinière que l’on devine magnifique au printemps. C’est au milieu du troisième champ, après avoir passé deux murs aux ouvertures basses, que l’on atteint sa caravane : bleue et blanche, haute de plafond, elle a une forme de baleineau. A l’intérieur, du parquet, un poêle, du mobilier en bois. On est à table, Johnny Montreuil ouvre son frigo. Il y a des jouets d’enfant à nos pieds mais pas de chien. Lui a la tête dans le froid et pose la première question de cette interview : “Plutôt jus d’ananas ou de pamplemous­se ?” Ce n’est pas facile de raconter sa vie. Durant deux heures, Johnny Montreuil le fera, dans le désordre. Et on reconstitu­era après : enfance en HLM, “cité dortoir, banlieue sud, un peu triste”, Johnny Montreuil veut apprendre la guitare : “électrique ! Mais je n’ai pas le droit d’avoir d’ampli. Alors je jouais fort parce que ça ne sonnait pas. Résultat : quand on m’a prêté une guitare sèche, je jouais très fort”. Sa vie bascule avec le chant. “J’ai découvert le chant vers vingt ans, aux vendanges. Puis je travaillai­s avec des enfants, des tout-petits, je leur chantais des berceuses le soir. C’est bien, tu apprends à poser ta voix. Alors, j’ai commencé à jouer avec des gens dans des cafés autour de chez moi. Dans ces endroits en banlieue, il n’y avait pas de musique. Je découvrais Fante, Bukowski, j’étais un peu dans ces ambiances, la nuit, la guitare : les gens, ça leur faisait plaisir, ces chansons. Puis j’ai commencé à écrire les miennes…”

Poèmes sans rimes

ROCK&FOLK : Qui parlaient de quoi ?

Johnny Montreuil : De se barrer. Je trouvais le monde autour de moi un peu triste. J’ai déménagé. Rennes, Toulouse, puis un peu en Irlande, au Canada. Je suis arrivée à Montreuil il y a vingt ans. J’avais une vision fantasmée de la banlieue à cause de Brassens, la manière qu’il avait d’écrire sur Paris, ou Renaud, sur la banlieue. Ici, il y a vingt ans, c’était plein de cafés avec des rockers, des Maliens, des Berbères. C’était très riche et j’avais envie de me faire une place dans tout ça.

R&F : D’où Johnny Montreuil : moitié Johnny Cash, moitié banlieusar­d, c’est ça ?

Johnny Montreuil : Voilà. J’ai commencé ce groupe comme ça : tout seul à la contrebass­e, à faire mes adaptation­s en français de Johnny Cash. Ça a été long de se faire accepter. Il y avait encore Schultz ici, Parabellum… L’ambiance c’était “Johnny Montreuil, c’est qui ce bouffon ?” C’était marrant, je débarquais avec un violoniste tzigane, parce que j’avais ça aussi, l’amour de la musique de Serbie, des Balkans, comme des chansons napolitain­es ou du rebétiko grec. Mais à partir du deuxième album, Johnny Montreuil est devenu plus rock’n’roll, rythm’n’blues.

Newspapers in French

Newspapers from France