“Get Rich Or Die Tryin’ ”
50 Cent
Première parution : 2003
L’authenticité est la valeur la plus importante dans le rock. Etre rock le jour et la nuit, sur scène comme en dehors, dans ses textes, dans son attitude jusqu’aux moindres détails de sa vie privée, voilà ce qu’on attend d’un individu revendiquant ce statut. Ce certificat ne s’obtient pas aussi facilement, mais par contre, une fois acquis, sa validité peut durer longtemps, voire s’avérer éternelle. Ainsi, le châtelain multimillionnaire Mick Jagger qui défiscalise la totalité de ses activités professionnelles comme les tops boss du CAC 40 peut tranquillement scintiller
ad vitam aeternam de l’aura rock. Mais à partir des années quatre-vingt, lorsque le rock est devenu une marque accolée à tout ce qui était vaguement disruptif et branché, lorsqu’il a ambiancé la bande-son des pubs et des génériques TV, le statut de l’authenticité du rocker a été bien écorné. Rock est devenu le synonyme de branché, riche et célèbre. Il y a bien eu quelques étoiles filantes comme Kurt Cobain,
Peter Doherty… mortes ou assagies depuis. Le rap, et surtout le gangsta rap, a revitalisé la notion d’authenticité. Le gangsta rappeur a grandi dans le ghetto et ne l’a jamais réellement quitté, il a vécu de trafic de drogue, de proxénétisme, a eu des démêlés avec la police car il a trempé dans des affaires louches, voire dans des meurtres, il a multiplié les conquêtes féminines et continue à le faire. Ses chansons racontent sa vie, son quartier (ses “streets”), ses frères (“niggaz”) et font l’apologie de son être réel comme un brillant CV. Le rappeur a reconstruit le modèle de la masculinité désinhibée et sûre d’elle, réinvestit la subversion perdue du rock’n’roll, du rock, du punk…
A ce titre, Curtis James Jackson III n’a vraiment rien à envier à quiconque. Une mère dealeuse et junkie qui meurt lorsqu’il a huit ans, un père enfermé à perpétuité pour meurtre, Jackson a grandi dans le Queens, chez ses grands-parents. Assez rapidement, il a dealé de la coke et possédé des armes à feu. Serré par les flics, il a fini sa scolarité dans un centre de redressement pour mineurs. Une fois sorti, il s’est orienté vers le rap, chaperonné par Jam Master Jay de Run-DMC qui lui a appris à perfectionner son flow et son écriture. Pour parfaire sa filiation, Jackson a adopté le pseudo d’un gangster de Brooklyn, parti de rien et devenu un peu plus riche et mort aussi, “50 Cent”. Alors que son premier album, “Power Of The Dollar” (2000) va être distribué, il est victime d’un attentat au 9 mm. Avec plusieurs balles dans la peau et hospitalisé, il est abandonné par sa maison de disques et son premier album pourrit dans les bacs. Mais, 50 Cent n’abandonne pas. La renaissance prend le visage d’Eminen et Dr Dre qui produisent son album suivant, “Get Rich Or Die Tryin’ Le fond rouge de la pochette rappelle que c’est une histoire de sang. De sang versé, mais aussi d’hérédité. 50 Cent possède le pedigree de l’authentique Le regard froid, direct et dur l’atteste. Il nous défie et nous menace. Son durag (bonnet en toile fine) crème rappelle sa double appartenance communautaire, au monde du hip-hop et à celui des fils d’esclaves, comme la chaîne au bout de laquelle pend un crucifix serti de diamants. Car l’histoire de 50 Cent est aussi celle d’une résurrection. C’est tout le sens de l’impact laissé par la balle sur la vitre derrière laquelle 50 Cent se tient désormais debout. Son torse nu aux muscles saillants et huilés est la preuve de sa santé et de sa force. Il est de retour parmi nous plus radieux que jamais, ce qu’indiquent les fissures sur le verre à l’image de rayons de soleil. 50 Cent se tient également prêt à en découdre et on imagine que le holster poitrine contient une arme susceptible d’être dégainée au moindre danger. Le titre de l’album inscrit à la hauteur de sa bouche est plus qu’une déclaration évidente, c’est une maxime de vie, celle de 50 Cent, du gangsta rap, du ghetto. Devenir riche à tout prix, quitte à y laisser sa peau. Le rappeur en possède déjà certains attributs comme la croix, la montre et la boucle de la ceinture couvertes de diamants scintillants.
Il y a aussi l’inscription de son nom qui parcourt la surface totale du cuir et du tissu de ses vêtements. 50 Cent est une marque, celle du rappeur véritable contre qui aucun doute d’authenticité ne peut s’élever. Pourtant, tout semble un peu fabriqué et joué. Dans le clip du premier single extrait de l’album, “In Da Club”, 50 Cent rejoue son histoire. On assiste à l’arrivée de son corps blessé dans un centre spécialisé, à son opération, sa convalescence dans une salle de sport médicalisée, son retour à la vie grâce à la musique et à la séduction en club. Tout le processus de rétablissement est surveillé, analysé par Eminen et Dr Dre, blouse blanche et dossier médical en main, cachés derrière un miroir sans tain. La “thug
story” authentique s’est transformée en un storytelling à des fins mercantiles. Dès lors, la vitre percée par balle de la pochette fait figure de vitrine brisée. Le corps de 50 Cent comme son histoire s’exhibent à la vente. C’est tout le paradoxe du gangsta rap : éprouver son authenticité au sein de la société marchande. De là à analyser cette pochette comme la métaphore de la construction du corps noir dans le gangsta rap à des fins commerciales, il n’y a qu’un pas. Car sous nos yeux, 50 Cent semble devenir l’acteur et l’objet de sa propre réification dans cet univers impitoyable et réducteur qu’est l’industrie musicale. Etre un dur ou jouer au dur, quelle est la différence pour celle-ci ? La partie sombre à droite de l’image, là où le rouge vermeil tend vers la nuit, ne désigne peut-être pas uniquement l’âme troublée de 50 Cent, mais plutôt l’obscur piège du show-business. ■