Un indicible pouvoir d’attraction
Le circuit discographique officiel raffole actuellement des rééditions. Pourquoi le circuit indépendant n’y aurait-il pas droit lui aussi, surtout si c’est l’occasion de donner un coup de projecteur sur des essais méconnus ? Et c’est ainsi que certains labels rééditent des oeuvres de groupes maintenant disparus et que, parmi les huit sélectionnés du mois (sur trenteneuf à la rédaction), un chanteur-guitariste ressort une nouvelle version de son album originel et un groupe revisite son répertoire en le confrontant à un musicien africain.
Pour son troisième album, King Biscuit se réclame de l’afro-rock après avoir célébré le blues du Mississippi. Accueillant un nouveau membre venant d’une famille de griots du Burkina Faso, le trio originel a voulu revisiter avec lui neuf titres de son répertoire, en s’inspirant notamment de la tradition gnawa. La guitare y côtoie donc le synthé, la batterie, les claviers et les instruments traditionnels africains au gré de morceaux qui, en faisant le choix de la longueur (cinq minutes en moyenne), privilégient leur aspect hypnotique et la recherche d’une transe par-delà les frontières (“Voltage Diarra”, Joie’n’Records, facebook.com/ KingBiscuitFr, distribution InOuïe).
Deux ans après des débuts remarqués, le trio de région parisienne Gurl sort un second EP six titres (anglophone) qui le positionne comme une valeur sûre de la nouvelle scène avec son mélange adroit de rock garage et de surf. On sent que les influences se bousculent et qu’il n’a pas envie de s’enfermer dans une chapelle, quitte à frôler le hors-jeu avec un final acoustique sans intérêt avéré. Mais sinon, ça dépote avec le sourire et les morceaux sont portés par une énergie juvénile et fun qui réserve de beaux comme “Silly Dreams”, alliage réussi de fougue et de mélodie, et “Song For The Sun” ou “My Dream Car”, qui sonnent la charge avec élégance (“Maybe Were Not Kids Anymore”, Le Cèpe Records, facebook.com/rocknguurl).
Originaire de Marseille, le FrancoBritannique Phil Pace affiche une discographie déjà conséquente mais tenait à ressortir son premier album paru en 2007 : remixés et remasterisés (avec quatre inédits en prime), tous ces morceaux originaux se caractérisent par une fraîcheur et un aplomb qui brassent influences perceptibles et hommages plus ou moins déguisés aux figures marquantes qui ont déclenché son éveil musical, aussi bien du côté de la pop anglaise (directement évoquée à travers la reprise très réussie de “Cold Turkey” de John Lennon) que des songwriters américains (Bob Dylan, Bruce Springsteen). (“There’s A Place”, Phil Pace, philpace.fr).
Depuis 2015, La Poison (de Paris) réunit le guitariste Daniel Jamet (Mano Negra), David et Moon, respectivement batteur et chanteuse du Maximum Kouette. Ce second album entérine le choix d’un “rock electro chimique” où guitare, batterie et chant s’amusent au milieu des machines vintage, où les souvenirs de B-52’s et Devo s’ébattent parmi les apports du punk rock. Excellente entrée en matière, la petite ritournelle obsédante, “Le Monde Va Mal” égrène tous nos problèmes pour appeler en écho un “Besoin De Réconfort”. Voix assurée, mutine et vibrionnante, rythmes enlevés, superbe ballade (“Béton Brûlant”), textes piquants : l’offensive déjantée ne boude pas son plaisir (“Décadanse Générale”, Hyp, la-poison.com, distribution Integral).
Second album en sept ans pour Jesus Of Cool : le trio toulousain devient occasionnellement quatuor quand intervient une chanteuse en contrepoint à un chant principal qui fascine par son aspect. Une mélancolie sous-jacente berce les morceaux enlevés et passe au premier plan sur les ballades aux allures de complaintes. La fêlure, le désarroi sont palpables sous des mélodies soignées et des orchestrations diversifiées. Et un indicible pouvoir d’attraction anime des réussites troublantes telles “Mrs Double Bind” ou “Shall We” (“Vanishing & Lust”, Pop Sisters Records, facebook.com/JesusOfCool4, distribution La Grande Distribution).
Nouveau groupe en piste depuis un an, Lemon Rose réunit des musiciens de Bordeaux membres d’autres formations du cru : Th da Freak, Order 89, Opinion ou Squad Surf Club. Ce premier EP quatre titres bat le rappel des années soixante et soixante-dix à grand renfort de vocaux mélodiques, de rythmes dansants ou de guitares déchaînées et assume un parti pris vintage avec flamboyance. Il immerge l’auditeur dans un melting-pot alerte de pop savoureuse, de rock garage et de psyché, avec une nette préférence pour les rythmiques soutenues et une entrée en matière (“Your Eyes On Me”) qui impressionne par son efficacité, son insouciance assumée et sa concision impeccable (“The Bean”, Les Disques Du Paradis, facebook.com/lemonrosebandband).
Avant d’interpréter ses propres chansons, David Scrima était un dessinateur-illustrateur dont les oeuvres témoignent de sa passion pour le rock. Sa rencontre avec Mark Daumail (Cocoon) fut déterminante : ce dernier a pioché dans de nombreux morceaux une sélection de titres qu’ils ont enregistrés à deux (avec quelques complices) en plongeant dans une pop-folk francophone légère et plaisante où la voix défend des chroniques douces-amères (“Gardien De Musée”, Yum Yum, facebook.com/p/David-Scrima100063018619196, distribution Believe).
Franco-américain basé à Paris, le chanteur-guitariste Cory Seznec est un baroudeur musical que les rencontres ont fait voyager à Tombouctou et au Kenya, avant de s’installer trois ans en Ethiopie, puis de revenir tourner en Angleterre avec le trio Groanbox. Depuis qu’il oeuvre en solo, il tente la synthèse entre ses différentes expériences, et son quatrième album en offre un aperçu probant : plutôt contemplatif et inspiré des écrits du naturaliste américain Aldo Leopold, il repose sur des fondements du folk traditionnel, comme le prouvent l’unique reprise (“Lonesome Road” de Doc Watson), l’influence blues et country ou l’intervention d’un banjo et d’une guitare slide. (“Deep Of Time”, Captain Pouch Records, coryseznec.com, distribution InOuïe). ■