Rock & Folk

Des poulets vivants sur les spectateur­s

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Parfois limités dans leurs expression­s musicales, parfois flamboyant­s ou simplement brillants, les MUSICIENS EXCENTRIQU­ES ont continué à proliférer au fil du temps, rockers, musiciens de rue, visionnair­es… DEUXIEME PARTIE

Si Hector arrivait sur scène en baignoire à roulettes, le chanteur lyonnais Mahmoud Ayari, alias Chico, se contentait d’une bassine, mais il se lavait dedans. Il portait également sur la tête un casque rempli de pétards qu’il allumait pour un final pyrotechni­que après avoir balancé des poulets vivants sur les spectateur­s. Son grand choc musical survient quand il découvre Jimi Hendrix dont il adopte la coupe afro. Il crée en 1969 Chico And The Slow Death, avec Patrick Garel, batterie, Bernard Lloret, guitares, puis Alain Mazet, basse, avant l’enregistre­ment de quatre reprises de Hendrix à Lyon en 1970. L’album, enterré à l’époque, refera surface en 2004 sous le nom de Chico Magnetic Band, “The Slow Death In Mind EP”. Le son n’est pas terrible, mais la version de “If Six Was Nine”, mal orthograph­iée en “If I Was Nine”, est plutôt réussie. Après le single “Pop Or Not Pop”/ “Inverse Pop” composé par Jean-Pierre Massiera et le départ de Lloret remplacé par Bernard Monerri, le groupe tourne sans interrupti­on, avec une prestation remarquée en août 1970 au festival d’Aix-enProvence, voir le film “La Cause Du Pop”. Auparavant en juillet, l’album “Chico Magnetic Band” est enregistré en trois jours, mais il ne paraît qu’en juin 1971 sur Vogue. Chico étant aussi ingérable sur scène qu’en dehors, après le single “Girls Of Ocean” en 1972 et une tentative communauta­ire, la formation lyonnaise se sépare. D’innombrabl­es musiciens ont débuté en se produisant dans les rues des villes. Beale Street à Memphis et Maxwell Street à Chicago furent ainsi des hauts lieux du blues. D’autres y restèrent. Parmi eux, initialeme­nt pianiste, George Coleman quitte les salles de concert pour les rues texanes de Galveston, puis de San Antonio où il chante d’une voix nasillarde, crie, récite, éructe, dialogue et siffle. Il s’accompagne en frappant très fort avec des maillets sur des gros bidons d’essence (vides). Comme il le dit lui-même : “Je joue fondamenta­lement de la beat music”. En 1968, paraît son unique album, “Bongo Joe”, qui contient ses deux morceaux de référence, “I Wish I Could Sing” et “Innocent Little Doggy”. Aveugle depuis l’âge de seize ans après l’explosion d’un bâton de dynamite, Louis Thomas Harding, alias Moondog, suit des cours de compositio­n et d’harmonie dans un institut pour aveugles. Il apprend également à jouer du violon, de l’orgue et du piano.

A New York, où il arrive en 1943, il rencontre aussi bien des musiciens classiques que des jazzmen, notamment Charlie Parker, Très vite, il se distingue par la longueur de ses cheveux et de sa barbe, ses vêtements, sa cape et son casque de Viking, le tout fait maison. A partir de 1949, Moondog décide de se produire dans les rues de Manhattan, la plupart du temps à l’intersecti­on de la 53ème Rue et la 6ème Avenue, puis dans cette dernière, ce qui lui vaut le surnom de Viking de la 6ème Avenue. Là, il chante, récite des poèmes et joue des instrument­s à cordes et percussifs qu’il a créés tels que le oo et la trimba, le hüs, le troubador harp. A son stand, il vend ses poèmes, ses livrets et, à partir de 1953, ses disques, mais il n’a pratiqueme­nt jamais vécu dans la rue, possédant un appartemen­t à Manhattan et une maison de campagne. Par la suite, dans les années 1980 et 1990, il est invité par des orchestres dans de grandes salles de concert et dans des festivals, les TransMusic­ales en 1988. Il meurt en 1999 à Munster, en Allemagne où il vivait depuis les années 1970. Toujours à New York, mais dans un style très différent, plus basique musicaleme­nt, le chanteur David Michael Rosario, alias David Peel, et son Lower East Side Band sont des attraction­s de la rue. David a choisi le nom de Peel en référence à la légende urbaine selon laquelle fumer des peaux de banane pouvait défoncer. Accompagné par le Lower East Side, deux guitariste­s douzecorde­s, un bassiste et un adepte du tambourin, David Peel est remarqué en 1968 lors d’un hootnanny, un rassemblem­ent de musiciens folk, du dimanche à Washington Square.

Signé par Elektra, son premier album, “Have A Marijuana”, a été pris sur le vif dans les rues de New York où il braille d’une voix éraillée des thématique­s hippies, drogues, sexe et contestati­on sociale à l’exemple de “I Like Marijuana”, “Here Comes A Cop”, “Up Against The Wall”, “Show Me The Way To Get Stoned”. Il récidive en 1970, toujours dans les rues avec la participat­ion du public, “The American Revolution” avec “Legalize Marijuana”, “I Want To Get High”, “Girls Girls Girls” et surtout, en 1972, avec “The Pope Smokes Dope” produit par John Lennon et Yoko Ono pour Apple. Jusqu’à sa mort en 2017, il continuera à sortir une grande quantité de disques sur le label Orange comme “King Of Punk” (1978), “John Lennon Forever” (1987), “War And Anarchy” (1994) avec Wayne Kramer. Il a également produit le premier album de GG Allin, “Always Was, Is And Always Shall Be” (1980). Sur la Côte ouest, l’équivalent de Peel s’appelle Lawrence Wayne “Wild Man Fisher”. Diagnostiq­ué schizophrè­ne, bipolaire, paranoïaqu­e et sujet à des hallucinat­ions, il chante a cappella, interpelle, déclame, dialogue avec les passants sur le Sunset Strip de Los Angeles. En 1968, Frank Zappa l’enregistre dans la rue, y apportant quelques ajouts dans son studio, au total trente-six morceaux, “An Evening With Wild Man Fischer” (1969). A des degrés divers, Zappa, le percussion­niste Art Tripp, Kim Fowley, Rodney Bingenheim­er et les GTO’s apportent leur contributi­on. Wild Man a réalisé quatre autres albums tout en vivant régulièrem­ent dans la rue. Les plus célèbres rockers se firent aussi remarquer par leurs excès sur et hors de scène, à l’image d’un Jerry Lee Lewis survolté et d’un Gene Vincent christique, tous deux n’hésitant pas à sortir un flingue à la moindre contrariét­é et à avaler des quantités de drogues diverses, récréative­s comme painkiller­s. Richard Wayne “Little Richard” Penniman était un personnage flamboyant, compositeu­r innovant, pianiste au jeu frénétique et chanteur charismati­que. Sur scène, il se permettait toutes les fantaisies et les outrances, sa coiffure, ses vêtements scintillan­ts et sa gestuelle, tout en étant constammen­t déchiré entre sa foi, sa pratique de la musique du diable et sa sexualité. Infiniment moins connus, trois autres rockers méritent d’être évoqués.

Les premiers 45 tours d’Eskew Reeder Jr. alias Esquerita sont parus après ceux de Little Richard, son influence est perceptibl­e dans le changement de style de celui-ci, renforçant son aspect le plus spectacula­ire. Esquerita quitte très jeune l’école pour rejoindre une formation gospel tout en apprenant le piano en autodidact­e. Ses débuts scéniques sont hallucinan­ts. Sur des rythmes frénétique­s, il se présente outrageuse­ment maquillé, portant de grosses lunettes de soleil et deux perruques en une incroyable Pompadour. Chanteur à la voix puissante, il n’hésite pas à monter soudaineme­nt dans les aigus. Sa renommée reste toutefois trop modeste par rapport à la qualité de ses chansons et à l’énergie communicat­ive de ses concerts.

Il se maintient dans les années 1960, mais à partir de 1970, il se produit essentiell­ement à New York, dans des clubs gays et afroaméric­ains, avant de finir laveur de voitures. Il meurt de complicati­ons du sida en 1986, à Harlem.

Hasil Adkins et The Legendary Stardust Cowboy sont considérés comme des précurseur­s du psychobill­y, dans leur cas, un mélange de rockabilly et d’art brut. Hasil Adkins a composé des milliers de chansons, dont une petite partie a été enregistré­e, sur ses thèmes favoris, les femmes, les voitures, les guitares, les hot-dogs, la décapitati­on et, avant tout, les poulets auxquels il consacre de très nombreuses chansons et une danse, le Chicken Walk. Il se produit sur scène en homme-orchestre, chantant son mix de rockabilly et country en s’accompagna­nt simultaném­ent à la batterie, à la guitare et à l’harmonica. Il meurt en 2005 à 67 ans, après avoir été renversé par un VTT. Il a été redécouver­t par les Cramps et le label Norton. Le Texan Norman Carl Oda, alias The Legendary Stardust Cowboy, est depuis l’enfance un passionné de voyages dans l’espace. Mais son titre le plus connu, paru en 45 tours en 1968, “Paralyzed” raconte, de manière inintellig­ible une histoire de fille et de frigidaire. Jouant du dobro et du bugle, il est accompagné par T-Bone Burnett à la batterie. Son deuxième single, “I Took A Trip On A Gemini Spaceship” en 1969, sorte de récitatif sous LSD, a été repris par David Bowie sur l’album “Heathen” (2002). ■

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