“The Velvet Underground”
Criterion et Apple TV+
C’EST L’OCCASION QUI FAIT LE LARRON. Actuellement sur les plateformes de streaming (Apple TV+ via Canal+ en France) et disponible à la vente en Blu-ray 4K distribué par Criterion, le neuvième long-métrage de Todd Haynes sur ce groupe désormais mythique qui s’est formé à New York il y a pile-poil soixante ans vaut bien un coup de projecteur de janvier. C’est à Haynes, certains lecteurs s’en souviennent peut-être, qu’on doit “Velvet Goldmine”, film glam controversé, mais soutenu par Rock&Folk à sa sortie en 1998, et finalement devenu culte, comme le constatera l’excellent Stephen Dalton deux décennies plus tard. Depuis, le réalisateur américain en a tourné d’autres, généralement bien perçus par les médias (ça n’est évidemment pas un gage de qualité…), dont “Far From Heaven”, “I’m
Not There” ou “Carol”. Accueilli fraîchement à Deauville en septembre 2023, “May December” lui a donné l’occasion de filmer une nouvelle fois son actrice fétiche, la troublante Julianne Moore. “The Velvet Underground” est un documentaire de commande dans lequel Todd Haynes s’est impliqué dès 2017 et dont la première a eu lieu à Cannes quatre ans après. Il a pu bénéficier de la collaboration des trois membres survivants du groupe, John Cale, Mo Tucker et Doug Yule, même si la présence de ce dernier se limite, en fait, à sa voix off. Quelques interventions de Nico et Sterling Morrison, décédés, ponctuent ce doc qui fait évidemment la part belle à celles de Lou Reed, omniprésent. Sa soeur, des amis à lui, le compositeur La Monte Young, l’incontournable Danny Fields et quelques ex-stars de la Factory ont également été interviewées et, sans surprise, le témoignage de Jonathan Richman, qui a côtoyé le groupe très jeune, est particulièrement pertinent. On entend aussi, dans “The Velvet Underground”, les voix d’autres disparus tels que Delmore Schwartz, Billy Name et David Bowie. Le documentaire est dédié à Jonas Mekas, réalisateur avantgardiste et archiviste réputé, décédé en 2019, qui a côtoyé le groupe et Andy Warhol, et a vraisemblablement fourni à Haynes des images rares. En vérité, il y a énormément à regarder dans “The Velvet Underground” car il est souvent en split screen. Les yeux des spectateurs peuvent être attirés par un visage à droite et le groupe en live à gauche. De la même manière, lorsqu’il n’y a qu’une séquence à l’écran, elle peut être d’un côté ou de l’autre, et rarement au milieu. Evidemment, ce parti pris arty sied au sujet que Todd Haynes traite de façon chronologique. Dans leur récit, à la fois sobre et précis (et parfois drôle lorsque Mo Tucker parle des hippies…), les interviewés mentionnent l’essentiel tout en laissant planer ce qu’il faut de mystère. L’enfance et l’adolescence de Lou Reed sont traitées avec tact, sans occulter ses traumatismes, mais sans essayer de faire croire qu’à eux seuls, ils ont défini sa personnalité. Dans le même esprit, les interventions brillantes de Cale, notamment à propos de la formation du groupe et sa quête d’identité musicale, apportent de l’eau au moulin sans occasionner de tsunami. Le rôle d’Andy Warhol, un genre de publiciste de luxe en fait, est aussi abordé avec justesse. L’attirance des hommes et des femmes proches du groupe pour Lou Reed n’est pas tue, pas plus que sa dépendance aux drogues dures. De larges extraits de la chanson “Heroin” pimentent d’ailleurs la bande-son, et la scène finale montre Lou au Bataclan en 1972, en train de l’interpréter (au chant et à la guitare) avec John Cale à l’alto et Nico à leurs côtés. D’une durée de près de deux heures “The Velvet Underground” file comme une flèche tirée par un arc, et on prend parfaitement la mesure de ce que ce groupe fondateur, qui n’a pourtant existé que peu de temps, a apporté. Les tensions multiples, l’éviction de Nico, puis celle de Andy Warhol, les départs de John Cale, Lou Reed puis finalement de Sterling Morrison sont évidemment évoqués, mais sans fiel et avec le recul nécessaire pour bien les appréhender. Le film tend à démontrer que le Velvet Underground ne rimait plus à rien sans Lou, mais dans l’inconscient collectif des amateurs de rock, le groupe n’a jamais cessé d’exister. Sans paraphraser Brian Eno, on doit rappeler que son impact, sur les musiciens, a été et continue d’être énorme. Enfin, détail qui a de l’importance, John Cale publie toujours d’excellents disques. “Mercy”, son dernier, était, de très loin, un des meilleurs de 2023. ■