Rock & Folk

Le look chic de l’époque : chemises à pois, boots pointues, et les guitares qui allaient avec

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“YOU CAN WALK ACROSS IT ON THE GRASS – THE BOUTIQUE SOUNDS OF SWINGING LONDON” Grapefruit/ Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Combien de temps cela a-t-il duré ? Deux ans, trois ans ? 1965, 1966, quelques mois de 1967 ? C’était l’époque, éphémère, où Londres swinguait et était le centre du monde, tout cela grâce à quatre jeunes gens venus, paradoxale­ment, de Liverpool. Jusqu’ici, la capitale était une ville sinistre massacrée par la guerre. Pour reprendre un vieux cliché, la vie y était en noir et blanc. Et puis, fin 1964, tout a changé. Les mods étaient là depuis près de quatre ans mais n’avaient pas touché le grand public. En 1965, ce fut l’explosion. Des magasins comme Biba, John Lord, le coiffeur Vidal Sassoon, les nouveaux clubs, les bars à la mode, les minijupes, les couleurs éclatantes, la nouvelle importance des jeunes, leur dimension économique, leur déterminat­ion… Un vent d’euphorie a soufflé sur Londres durant ces petites années. Paris n’a jamais rien connu de tel. Alors oui, dans la ville de Big Ben se répandait un nouvel esprit qui allait gagner tout l’Occident. A vrai dire, on n’attendait rien de ce coffret de trois CD. En réalité, c’est une merveille. L’absence de longs solos de guitare, le règne des accords majeurs, des instrument­aux pleins de cordes et de cuivres pétaradant­s que les esprits chafouins trouveront kitsch mais que les autres trouveront adorables. Il y a forcément quelques poids lourds qui ne dérangeron­t personne : les Kinks (“Dedicated Follower Of Fashion”), le David Bowie des débuts (grandiose “Can’t Help Thinking About Me”), les Who (“I’m A Boy”, phénoménal), les Small Faces, les Creation, les Artwoods, les Action. Mais il ne s’agit pas d’un coffret sur la scène mod. C’est le reste qui est intéressan­t. Outre Dusty Springfiel­d, Tom Jones, les Easybeats, d’autres découverte­s sont très appréciabl­es. Des choses inconnues, les morceaux sous-estimés de The Downliners Sect (“The Cost Of Living”), de Zoot Money’s Big Roll Band (“I Really Learnt How To Cry”), de The Profile (“Haven’t They Got Better Things To Do”), de Peanut (“I’m Waiting For The Day”), de The Sun (“I’m Following You”), de Moon’s Train (“I Get Excited”), le fabuleux “Sorrow” des Merseys (repris par Bowie sur “Pin-Ups”), et puis des trucs amusants comme “Kinky Boots” chanté par Patrick McNee et Honor Blackman, “England Swings” par Petula Clark, “When I Think Of You” de l’icône de l’époque Twiggy, “The London Look” de The Hi-Fis (“They’re all moving, they’re all grooving, they all got the London look”) ou encore l’instrument­al formidable de The Mood Mosaic, “A Touch Of Velvet-A Sting Of Brass”. C’était le temps de l’innocence, de l’espoir. Après arrivera le psychédéli­sme, le hard rock, le rock progressif, et puis les choses se passeront à Los Angeles ou San Francisco. Les Beatles, les Stones, les Kinks, David Bowie et les Who sauront se réinventer, la plupart de ceux présents dans ce coffret magistral disparaîtr­ont.

Une question, d’ailleurs, se pose : à l’heure où tout le monde se rue sur des vinyles neufs ou d’occasion à des prix prohibitif­s et parfois aux sources douteuses, pourquoi ne pas préférer un triple CD de ce genre qui, pour moins de vingt euros, aligne plusieurs heures de merveilles avec un mastering parfait ?

Snipers “COME ON! 1983/ 1985” Smap Records (Import Gibert Joseph)

Durant la première partie des années quatre-vingt, en France, il n’y a pas eu que le punk alternatif (Boucherie, Bondage, ce genre, n’est-ce pas).

Il y avait aussi une autre école, qui a touché moins de monde mais a laissé beaucoup de souvenirs.

Les Snipers venaient de Dijon.

Ils aimaient les Flamin’Groovies, pas mal de choses sixties, mais chantaient en français. Antoine Masy-Périer, pas encore Tony Truant, avait joué dans une première mouture du groupe. Ils étaient amis avec les Calamités, qui venaient du coin aussi. Dominique Laboubée les a adoubés. Ils étaient également potes avec Gilles Tandy et les Barracudas.

Tout cela rentrait dans une même constellat­ion : celle des Dogs. Une même vision d’une certaine élégance. Les Snipers jouaient bien, avaient deux très bons chanteurs et un excellent guitariste solo, Frédéric Pinasseau.

Ils avaient le look chic de l’époque : chemises à pois, boots pointues, et les guitares qui allaient avec : Rickenback­er, Dan Armstrong.

Ils ont donné une démo à Willie

Loco Alexander qui l’a remise aux deux patrons de New Rose. Signature immédiate. Cette compilatio­n réunit tout ce qu’ils ont fait, et à vrai dire, il n’y a pas grand-chose à jeter. Quelques reprises obligatoir­es (“Tallahasee Lassie” version Groovies, “Come On” de Chuck Berry version stonienne, “One More Heartache” de Marvin Gaye, “Psychotic Reaction” de Count Five), mais pour le reste, c’est un rock mélodique, à la Dogs mais en français, qui mène le bal. Et même s’il n’y a rien au niveau de “Little Johnny Jet” ou “I’m Just Losing That Girl”, tout cela est de très bon niveau et, bizarremen­t, n’a pas vieilli.

Jody Reynolds “THE ENDLESS SLEEP MAN 1958-1962” Jasmine (Import Gibert Joseph)

Du rock’n’roll gothique dans les fifties, voici ce que le grand Jody Reynolds faisait. Cet incroyable styliste avait eu un petit tube avec un morceau sinistre mais fascinant, “The Endless Sleep”.

Il avait une sacrée voix et était bien produit. Normal, le jeune avait été repéré par Lee Hazlewood et Al Casey. La fine fleur ! Notre homme a sorti une série de chansons démentes, dont le mythique “The Fire Of Love”, repris plus tard par le Gun Club sur “Miami”. Ce truc malade et quasi démoniaque ne pouvait que plaire à Jeffrey Lee Pierce. Le reste est très bon aussi, comme le montre cette compilatio­n de 24 titres sur laquelle il n’y a rien de médiocre ni de moyen, mais beaucoup de grandeur.

“FANTASTIC VOYAGE – NEW SOUNDS FOR THE EUROPEAN CANON 1977-1981” Ace (Import Gibert Joseph)

Encore une compilatio­n Ace concoctée Par Bob Stanley et Jason Woods. Le titre vient d’une chanson de Bowie sur “Lodger”. Il s’agit d’aligner des musiciens qui auraient été influencés par le Bowie de la fin des années soixante-dix ou qui l’auraient euxmêmes influencé à leur tour. L’exercice est délicat : pour bien faire le job, il faudrait inclure les quatre cinquièmes des musiciens anglais surgis après le punk. De Bauhaus à Duran Duran en passant par Gary Numan, Joy Division et Japan, tout le monde sur l’île a été marqué à vie par ce qu’il a fait en gros de “Station To Station” à “Scary Monster (And Super Creeps)”, son dernier chef-d’oeuvre, sans parler de ce qui a précédé. Stanley et Woods ont fait ce qui leur chantait pour cette musique “européanis­te”, fortement marquée par celle de l’idole qui avait lui-même été plus qu’influencé par les albums d’Eno, ceux de Neu! ou de Kraftwerk. Il y a donc un instrument­al correct des Simples Minds du début (“Theme For Great Cities”, qui ne casse pas des briques non plus), Cabaret Voltaire, Ryuichi Sakamoto, les Associates, Holger Czukay, Robert Fripp, Peter Gabriel (on ne comprend pas bien pourquoi, du reste), le merveilleu­x “Nite Flights” des Walker Brothers, que Bowie reprendra plus tard, Daryl Hall, Grauzone évidemment, mais aussi, c’est assez bizarre, Areski Belkacem et Brigitte Fontaine qui, s’ils ont influencé l’auteur de “Low”, l’ont fait dans le plus grand secret. Pour le reste, beaucoup de synthés, de boîtes à rythmes, de froideur caricatura­le et “d’abstractio­n”. Le tout souvent très vain. C’est oublier que sur “Low”, “Heroes”, “Lodger” et “Scary Monsters...”, il y avait aussi et surtout de grandes chansons, y compris sur les instrument­aux des deux premiers qui, même sans paroles, pouvaient imprimer à vie nos cerveaux.

The Long Ryders “NATIVE SONS” Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Grosse réédition pour l’album mythique des Long Ryders. Le disque, l’EP sensationn­el “10-5-60”, des séances inédites, des démos, un live, un livret impression­nant, un petit poster, manque plus qu’un patch. Bon, la pochette déjà. La bicoque en rondins, la barrière, les coupes de cheveux. Avec des vestes en daim à franges, on avait droit à un inédit du Buffalo Springfiel­d. Mais les Long Ryders préféraien­t les Byrds (d’où le “Y” de leur patronyme), y compris la période avec Gram Parsons, et vénéraient Gene Clark, qui a participé à l’album. De toute la scène Paisley Undergroun­d, c’est ceux qui étaient le plus portés sur le country rock du Los Angeles sixties, alors qu’ils venaient de la scène néo-garage. Une forte énergie, beaucoup de nervosité, une musicalité impeccable (banjo, picking, pedal steel) et, forcément, l’héritage du punk qui les avait marqués. On n’est pas chez Poco ou les Eagles. Le premier morceau, “Final Wild Son”, sonne comme du Dylan vers 1965, le reste rejoint les influences citées plus haut, mais ces amis de Steve Wynn — le Dream Syndicate aura décidément catalysé tout un mouvement musical — mettent ça à la sauce de l’époque, tout en restant près de l’esprit vintage. Ces gens avaient l’intelligen­ce de ne pas tomber dans le pastiche comme, au hasard, les Fuzztones avec le garage. Les Long Ryders savaient composer, ce qui permet à “Native Sons” de ne pas avoir pris une ride. L’EP “10-5-60” ici inclus montre qu’à leurs débuts, ils étaient plus influencés par un léger psychédéli­sme, comme beaucoup de la bande Paisley, et contient au moins une merveille inaltérabl­e : “And She Rides”. On plaint ceux qui ne connaissen­t pas cet enchanteme­nt rêveur.

Purple Hearts “EXTRAORDIN­ARY SENSATIONS: STUDIO & LIVE 1979-1986” Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Au tout début des années quatre-vingt, les jeunes mods fans des Jam se devaient de posséder quelques albums miraculeus­ement publiés par certains groupes. Il fallait donc avoir ceux des Chords, de Secret Affair, des Purple Hearts, des Lambrettas et, pour les plus acharnés, des pauvres Merton Parkas. A quelques rares exceptions près (deux ou trois morceaux corrects sur le Chords, idem pour le Secret Affair), tout cela était globalemen­t très médiocre et n’avait pas grand-chose à voir avec la musique mod. Pour cela, il faudra attendre l’apparition des Prisoners un peu plus tard. Les Purple Hearts ont connu leur quart d’heure de gloire avec deux ou trois petits hymnes ne touchant qu’un public uniquement mod : “Jimmy”, “Millions Like Us”, “Frustratio­n”. De la gentille power pop vaguement punkifiée. Et lorsqu’ils dégainent l’obligatoir­e reprise sixties pour obtenir la caution mod (“Can’t Help Thinking About Me”), de Bowie, évoquée plus haut, ils ne parviennen­t même pas à jouer correcteme­nt la suite d’accords. Ces gens ont sorti plus tard un second album dans l’indifféren­ce la plus totale. Le coffret réunit tout ce qu’ils ont fait, avec démos, live, etc. L’objet n’intéresser­a que ceux qui avaient 17 ans à l’époque, portaient une parka et n’ont jamais réussi à grandir. Tout le monde n’avait pas le talent de Paul Weller et des Jam. ■

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