Rock & Folk

Suzi Quatro

Rockeuse troque combinaiso­n cuir contre mèches peroxydées

- Polydor

“MAIN ATTRACTION”

“J’AI PRIS LES MECS à LEUR PROPRE JEU.” Quand Suzi Quatro débarque dans le monde poilu du rock, en 1964, les femmes servent surtout de faire-valoir — sois belle et gazouille. Le problème de Susan Kay Quatrocchi­o ? Son modèle, c’est Elvis Presley, pas un pot de fleurs. Elle a quatorze ans, vit à Detroit et, avec son quintette féminin, The Pleasure Seekers, elle joue “What A Way To Die” façon garage. Suzi ne supporte plus deux clauses pour leur programmat­ion : se produire avec mini-jupes et perruques. Elles changent de nom (Cradle), jouent encore plus fort et c’est là qu’un type flashe sur Quatro. Pas n’importe qui : Mickie Most, producteur de The Animals, Donovan, The Yardbirds. “Ses compétence­s, sa beauté mais surtout, c’est sa frime qui m’a subjugué.” Nous sommes en 1971, Suzi affiche à peine vingt ans, Most lui paye un aller simple pour l’Angleterre, la colle dans les pattes de Mike Chapman (producteur de The Sweet, plus tard Blondie) et l’envoie tourner sur toutes les scènes du pays. Pas en première partie des Carpenters, non, elle joue avec des sauvages (Thin Lizzy et Slade), chante ce qu’elle veut (Elvis, “All Shook Up”), porte ce qui la botte — prenant modèle sur la Marianne Faithfull de “Naked Under Leather”, Quatro arbore une combinaiso­n cuir, noire, moulante, zippée, insolente. On est très loin des modèles féminins de l’époque, style Carole King, ballades au piano, look hippie, robe à fleurs. Suzi s’engage dans un bras de fer avec des musclors comme T.Rex ou Status Quo et n’en sort pas perdante puisqu’elle enchaîne les hits — “Can The Can”, “Devil Gate Drive”, “48 Crash”, “Daytona Demon”, “The Wild One”… Elle vendra cinquante millions de disques. Elle qui n’avait qu’un mâle, Elvis, comme exemple, va devenir le modèle de toutes les femmes voulant se mettre au rock — citée par Tina Weymouth, Chrissie Hynde, Kathy Valentine et bien entendu Joan Jett. Le phénomène Suzi Quatro dure de 1973 à 1975. Laissant tomber le zip en cuir, elle peine à survivre au glam, tentant des choses plus country, varièt, hard, et elle aura beau renfiler à l’occasion la combi cuir, les charts l’abandonnen­t — il n’y en a plus que pour cette nouvelle génération, Patti Smith, Debbie Harry… Le succès, Quatro le rencontre désormais à la télé : c’est elle qui incarne Leather Tuscadero, bassiste du groupe de la série “Happy Days”. Quand arrivent les années quatre-vingt, elle a un enfant et se retire pour mener une paisible vie familiale dans sa maison de l’Essex. Les six albums sortis entre 1975 et 1982 ? La Terre entière s’en tape, les yeux tournés vers Kate Bush ou Pretenders… “Main Attraction” (1982), “Attraction Principale”, avec sa pochette craignos (Suzi dans un drive-in de campagne, son image sur l’écran), est-ce un titre ironique ? L’album sort dans l’indifféren­ce générale. Pire : dans l’embarras quand de rares chaînes osent diffuser le clip de “Remote Control”. La chanteuse y apparaît en clone de Bonnie Tyler, égarée dans une discothèqu­e miteuse, ambiance “Star Trek” en sous-sol. Niveau relooking, on a un problème. Coiffure palmier avec mèches peroxydées, veste imitation zèbre, déhancheme­nts malaisants, l’ex-rockeuse fait peine. Pourtant : morceau génial, comme un miraculeux inédit de Gary Numan. Quatro négocie un virage new wave remarquabl­e, à défaut d’être remarqué. Ce n’était pourtant pas gagné, au vu de l’emballage et du casting. Quel producteur dans le coup Suzi a-t-elle appelé à la rescousse ? Chris Andrews. Un faiseur de hits… en 1965. Encore plus largué qu’elle. Son nom n’est associé en aucun cas à des formations comme Eurythmics mais à Sandie Shaw, à qui il a fourni des tubes au milieu des vénérables sixties. Le type a complèteme­nt disparu des radars, difficile de voir de l’opportunis­me dans l’alliance entre ces deux has been. Et les voilà produisant une succession de chansons étonnantes, excellente­s. “Remote Control” en premier chef, mais aussi “Transparen­t”, “Candy Man”, voire “Fantasy In Stereo”, “Oh Baby”… Les morceaux en mode new wave, façon Kim Wilde ou Yazoo, sont les meilleurs, les autres, dans un style country-pop à la Linda Ronstadt, ne sont pas tous repoussant­s. Comment le courage de Suzi est-il remercié ? Pour la première fois de sa vie, l’album ne pénètre aucun chart d’aucun pays. Niveau critiques, deux écoles : ignorance ou quolibets. Quatro n’enregistre plus d’albums les dix années suivantes, n’est plus citée que pour une raison annexe : l’actrice Sherilyn Fenn est sa nièce. Bien plus tard, elle recevra un Icon Award du Women’s Internatio­nal Music Network, la BBC l’élisant parmi les douze plus importante­s “Queens of British Pop”. Sa combinaiso­n en cuir est devenue un symbole d’émancipati­on. Son bref passage dans le rayon peroxydé mérite également un trophée. ★

Première parution : novembre 1982

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