Un mélange très kitsch
Occasionnellement, parmi les groupes de rock de toute obédience se glissent des adeptes du blues, et cette tendance tend à se confirmer et à prendre de l’ampleur. Ainsi, parmi les huit sélectionnés du mois (sur trente et un reçus à la rédaction), plusieurs d’entre eux ressortent expressément de cette mouvance.
Freddy Miller a de quoi susciter bien des jalousies : des prix à la pelle, des tournées internationales et une programmation dans tous les festivals ayant un rapport avec le blues… Après une décennie avec le groupe Shake Your Hips, il se produit sous son propre nom depuis plus de quinze ans. Son second album aligne douze compositions originales transcendées par sa voix et par la qualité d’une formation de cinq musiciens. Il attaque en force avec “Give Me A Sign”, prend le parti de la finesse avec la ballade “Just Be Yourself”, puis embarque l’auditeur dans un blues mâtiné de rhythm’n’ blues et de blues rock (“Just Be Yourself”, 1000’R Productions, facebook.com/ FreddyMillerBand, distribution InOuïe).
Les premières amours du chanteurguitariste Marc Verwaerde étaient placées sous le signe du country-rock mais c’est plutôt du côté folk pop qu’évolue son nouvel EP, après un premier album paru en 2021. Originaire de Lyon, il a grandi en Angleterre, en Espagne et au Brésil, et ce parcours cosmopolite a sans doute contribué à l’ouverture musicale qui caractérise ses ballades, tantôt dépouillées (comme “Words”), tantôt étoffées par une flopée de complices (basse, batterie, cuivres, claviers) : les orchestrations délicates ouvrent des chemins de traverse à des mélodies accrocheuses et à une superbe voix qui excelle sur “I Love You” (“A Better Man”, Microcultures, facebook.com/VerwaerdeMarc).
Venu du Luxembourg, le Kid Colling Cartel est un quartette fondé il y a plus de dix ans par son chanteur-guitariste, qui est également l’auteur-compositeur des dix morceaux de ce second album. Adepte d’un son garage pimenté d’orgue Hammond, il puise aux sources du blues “Ain’t Nobody” ou “Living On The Wild Side”, mais cultive une approche groovy, se colore d’éclats rock quand il manifeste un intérêt pour les gros riffs de guitare et diversifie sa palette vocale avec l’intervention de Daniel Restrepo pour une parenthèse hispanisante (“El Gato”) ou de l’éruptif Jonathan Red pour “I’ll Carry You” (“Living On The Wild Side”, Rock & Hall, kidcolling.com).
Jekyll Wood est un hommeorchestre qui officie en solo avec ses guitares et ses machines depuis plus de cinq ans. Son nouvel EP cinq titres témoigne du charme de sa pop qui emprunte à l’electro, au folk et au rock. Ses compositions portées par des mélodies attrayantes, des arrangements délicats et des performances vocales imposent en douceur leur sophistication délicate. S’il apprécie les atmosphères évanescentes et les ballades en apesanteur (“Cliché Is A Farewell”), il se délecte de mid-tempos groovy et dansants (“The Doll Is An Evasion”) et il n’hésite pas à varier les ambiances et les rythmes avec le long final, “Extraordinary Man” (“Blinding Fog”), Time Is Out, jekyllwood.com).
Depuis 2011, Hoboken Division a beaucoup évolué : le duo est devenu trio, puis quatuor, et avec son troisième album, il modifie quelque peu son alliage originel de delta blues et de rock et il diversifie son approche et la pare d’éclats psyché en recourant d’une manière immodérée à la fuzz sans rien abdiquer d’une originalité où la voix féminine joue un rôle prépondérant. C’est le cas avec “Discipline”, quand le parti pris grouillant et sonique est curieusement souligné par une approche vocale sur le mode de la ritournelle. Mais ce groupe inventif s’autorise aussi des parenthèses lumineuses (“Legion”) et des ballades sensuelles (“Psycholove”, La Face Cachée, facebook.com/hobokendivision).
Contrairement à beaucoup d’autres formations, Structures s’est rétréci depuis ses débuts en 2018, passant ainsi du quatuor au duo. Son premier album délaisse le post-punk au profit d’un rock abrasif qui nourrit ses riffs et ses déferlements sonores de ses multiples influences dont certaines, venues en droite ligne de la scène anglaise des années quatre-vingt, apportent une coloration new wave (“Cold Touch”) qui est contrebalancée par le goût d’une furia sonore aux éclats indus placés sous le signe de Nine Inch Nails (“Pigs”). La noirceur énervée jouxte ainsi des ouvertures plus paisibles (“Home”) ou un final nuancé avec “The Monster Hero” (“A Place For My Hate”, Divorce facebook. com/StructuresAmiens, distribution Pias).
They Call Me Rico est un multiinstrumentiste venu du Québec qui conçoit ses albums dans son home studio du côté de Lyon. Ce cinquième essai en six ans mêle les instruments tout comme les genres (pop, rock, blues) pour élaborer des atmosphères qui happent l’auditeur : “You Done Me Wrong”, le plus long morceau de l’album, sert ainsi d’introduction en prenant progressivement de l’ampleur pour évoluer du murmure à la colère, “Wheel Of Love” opte pour l’accélération rock et sonique, “Ease My Mind” se love dans des intonations pop, “This Old Dog” et “Please Don’t Go” renouent avec un blues tour à tour rugueux ou charmeur (“Wheel Of Love”, Voxtone, theycallmerico.com, distribution Inouïe).
En piste depuis 2016, Bandit Voyage est un duo déjanté qui revendique le bricolage sonore et un mélange très kitsch des genres. Même si elle prend des formes différentes, la filiation avec les Rita Mitsouko est évidente pour la chanteuse et le bassiste adepte de synthés vintage. Les treize morceaux de ce second album naviguent ainsi librement entre anglais et français, post-punk, pop et folk, passant sans transition de la danse à la mélancolie, confrontant l’hommage aux Talking Heads à des souvenirs sixties, osant les bidouillages incongrus et les rapprochements insolites : le voluptueux “Can You Smell” ou l’enivrante “I Heard Your Name” (“Was Ist Das ”, Cheptel Records, facebook.com/bandit-voyage). ■