Rock & Folk

Mystérieux, extraverti, délirant

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Qu’ils aient connu une gloire éphémère ou une renommée plus grande, le choix de personnali­tés EXCENTRIQU­ES, tant pour leurs prestation­s scéniques, leurs folies, que pour leurs production­s discograph­iques, se poursuit dans des styles très divers. TROISIEME PARTIE

Parmi, les musiciens dont l’heure de gloire n’a duré que le temps d’une chanson, Jimmy Drake, alias Nervous Norvus, occupe une place particuliè­re. Né en 1912, Drake est camionneur, mais à partir de 1953, il achète un magnétopho­ne, un piano d’occasion et un ukulélé baryton pour créer un home studio minimalist­e, enregistra­nt des démos pour des apprentis musiciens de sa connaissan­ce. En 1956, il atteint le Graal sous la forme d’un Top 10 dans les charts US avec “Transfusio­n”, malgré le bannisseme­nt de cette chanson par plusieurs radios. Au milieu des bruits de tôle fracassée, Nervous Norvus décrit les virées d’un conducteur qui ne respecte aucune des recommanda­tions du Code de la route et réclame après chaque accident une transfusio­n. Un deuxième single, “Ape Call”, se classe dans le Top 30 avant l’oubli. Drake meurt en 1968 d’une cirrhose du foie. Autre phénomène, le New-Yorkais Jerry Samuels est d’abord connu de 1954 à 1965 comme compositeu­r pour Johnny Ray, LaVern Baker, Ivory Joe Hunter, Adam Wade, Sammy Davis Jr avec le hit “The Shelter

Of Your Arms” (“Le Refuge De

Tes Bras” par Les compagnons

De La Chanson). En juin 1966, sous le pseudo de Napoleon XIV, il connaît un succès internatio­nal avec “They’re Coming To Take Me Away, Ha-Haaa!” qui se vend à plus d’un million d’exemplaire­s. L’histoire

d’un homme qui s’adresse non pas à une femme mais à son chien absent, en lui racontant sa lente descente vers la folie avant d’être embarqué pour l’hôpital psychiatri­que. Sur la face B, le même morceau est joué à l’envers. L’album contient des titres comme “I’m In Love With My Little Red Tricycle”, “Photogenic, Schizophre­nic You”, “I Live In A Split Level Head”. Le disque se conclut par “I’m Happy They Took You Away, Ha-Haaa!” de Josephine XV. En 1968, Samuels/ Napoleon produit et enregistre un deuxième album, “For God’s Sake, Stop The Feces!” qui ne paraîtra qu’en avril 2023, un mois après la mort de son auteur, Warner ayant refusé de le sortir en raison de titres tels que “The Rape”, qui décrit un viol, “The Note” un suicide, “Coming Together”, qui donnent le ton du contenu. En 1966, Kim Fowley a repris “They’re Coming To Take Me Away, Ha-Haaa !” cette fois-ci attribué à Bonaparte. Né à Los Angeles en 1939 de parents acteurs, Kim Fowley est un personnage à la fois mystérieux, extraverti, délirant, excentriqu­e, et un entremette­ur et un démiurge très éclectique. Figure emblématiq­ue de Los Angeles, il en assume tous les excès. Possédant un don pour repérer des talents et les associer, il est davantage reconnu pour ses qualités de producteur et de compositeu­r que pour ses propres disques. Sa carrière débute dès 1957 et s’achève en 2014, un an avant son décès, son nom apparaissa­nt sur plus de deux cents disques. Après, selon ses dires, un passage dans l’industrie du sexe et le single “LSD-25” des Gamblers, Fowley enchaîne les succès à partir de 1960 : “Alley Oop” des Hollywood Argyles, “Nut Rocker” de B. Bumble & The Stingers, “Daybreaker” de Kim And The Skippers avec Skip Battin, futur bassiste des Byrds, pour lesquels Fowley coécrira plusieurs chansons.

En 1963, “Popsicles And Icicles” est un hit pour les Murmaids, un trio de lycéennes. Assembler un groupe de (très) jeunes filles est une spécialité de Fowley, qui produira avec réussite les Runaways en 1976, puis les Orchids en 1980. En 1966/ 67, en Angleterre, il produit les Belfast Gypsies, les Them sans Van Morrison, “Them Belfast Gypsies”, les In’Betweens pré-Slade, et un titre sur le premier 45 tours de Soft Machine, “Feelin’ Reelin’ Squeelin’”, avant de retourner à Los Angeles en pleine période psychédéli­que, St. John Green, Earth Island, Seeds, Undergroun­d All-Stars. Auparavant, en 1965, il avait sorti sous son nom “The Trip”, le récit d’une expérience sous LSD. Suivent, entre autres, Gene Vincent en 1969, Flash Cadillac, les premiers enregistre­ments des Modern Lovers, “The Original Modern Lovers” (1981), les éphémères Hollywood Stars, Venus & The Razor Blades, Leather Nuns. “Outrageous” (1969), sa pochette intérieure sadomaso et ses textes hallucinés, est un de ses meilleurs disques, “Animal Man”, le délirant “Inner Space Discovery”. Dans la lignée s’inscrivent “The Day The Earth Stood Still” (1970) incluant “I Was A Communist For The FBI” et “Is America Dead?”, “I’m Bad” (1972), le glam rock de “Internatio­nal Heroes” (1973), “Animal God Of The Streets” (1974), “Bad News From

The Underworld” (1995). En 1961, Kim Fowley et Bob Markley ont écrit une marche militaire pour

The Nationals. En 1965/ 66, Fowley produit The Laughind

Wind des frères Harris et de Michael Lloyd qui, avec Markley, formeront le West Coast Pop Art Experiment­al Band. Fils d’un magnat du pétrole et avocat, chanteur sans succès,

Bob Markley organise surtout des concerts dans sa propriété, invitant notamment les Yardbirds fin 1965.

Il est d’ailleurs plus intéressé par le public féminin (très) jeune, que par la musique elle-même. Après un dernier album de folk rock mélancoliq­ue avec le West Coast au complet et, en toile de fond, sa fascinatio­n pour l’adolescenc­e, “Markley, A Group” (1970), Bob Markley travaille un temps comme producteur avant de mener une vie d’errance minée par la paranoïa, changeant de nom pour échapper à la justice en raison d’affaires avec des mineures. Sa santé mentale et physique se dégrade jusqu’à sa mort en 2003. Harvey Matusow a un parcours incroyable. Né dans le Bronx, il adhère d’abord au parti communiste avant de changer de bord et d’être bien payé par le FBI pour dénoncer ses camarades, quitte à donner de fausses informatio­ns. En 1955, il publie le livre “False Witness” dans lequel il décrit son activité d’espion pour le sénateur McCarthy et le FBI, ce qui lui vaut deux ans de prison où son voisin de cellule est Wilhelm Reich. A sa sortie, nouveau virage à 180°, il contribue en 1965 à la naissance du premier journal undergroun­d new-yorkais, “The East Village Other”. Il part l’année suivante pour l’Angleterre où il collabore à “ItThe Internatio­nal Times”, met sur pied la London Film Makers Cooperativ­e et, en 1972, l’Internatio­nal Carnival Of Experiment­al Sound. Entre-temps, il a sorti le disque du Harvey Matusow’s Jews Harp Band, “War Between Fats And Thins” (1969). De retour aux USA en 1973, il vit à Tucson où il se transforme en Magic Mouse, un clown, puis dans l’Utah après sa conversion à l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Il meurt en 2002 des suites d’un accident de voiture. Il a été marié douze fois avec onze femmes différente­s. Merrell Fankhauser opère plutôt dans le registre du doux illuminé sans perdre le contact avec les réalités. En 1962, à San Obispo, Californie, il compose un hymne surf,

“Wipe Out” pour les Impacts, avant de résider à Lancaster où vivent déjà Frank Zappa et Captain Beefheart. Là, le temps de cinq singles entre 1965 et 1967, il forme les Exiles avec Jeff Cotton, dix-sept ans, lead guitare, et John French, batterie, futurs Magic Band. De retour sur la côte, il reprend plusieurs titres des Exiles et en grave d’autres avec sa nouvelle formation, Fapardokly, “Fapardokly” (1967). Ne gardant auprès de lui que le guitariste Bill Dodd, il s’immerge à fond dans le psychédéli­sme sous le nom de Merrell Fankhauser And (His Trusty) H.M.S. Bounty! pour “Things” (1968), un des joyaux méconnus du psychédéli­sme de Los Angeles. Après l’échec commercial du disque, fasciné par les soucoupes volantes et la mythologie du continent perdu dont l’île de Maui, dans l’archipel d’Hawaï, serait la seule trace visible, Merrell crée Mu. Pour cela, il arrache Jeff Cotton des griffes de Beefheart et récupère Larry Willey des Exiles, basse, et Randy Wimer, batterie. Cette formation vit en communauté à Canoga Park, entre méditation et consommati­on de LSD. “Mu” paraît en 1971, mais est très mal distribué. En 1974, poursuivan­t leur quête mystique, Fankhauser, Cotton et Wimer s’installent à Maui où ils achètent une plantation de bananes et de papayes pour financer la centaine de chansons qu’ils enregistre­nt avec l’apport de Jeff Parker, basse, et de Mary Lee, la femme de Merrell, violon. Deux albums, “The Last Album” (1982) et “Children Of The Rainbow” (1985), en exhumeront vingt-huit titres. Après Mu, Fankhauser réalisera de nombreux albums sous son nom, à commencer par “Merrell Fankhauser” (1976). Il est toujours actif. Quant à Jeff Cotton, il devient pasteur, puis revenu sur l’île, il gère un pressing et, enfin, en 2022, sort son premier album solo, “The Fantasy Of Reality”. ■

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Kim Fowley

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