Compassion incluse Comme Un Fils
DE NICOLAS BOUKHRIEF
De film en film, Nicolas Boukhrief semble analyser son époque à la façon d’un ethnologue.
Que ce soit à travers des polars vitaminés (braqueurs de fourgons blindés dans “Le Convoyeur”, drogue brouilleuse de cerveaux dans “Gardiens De L’Ordre”), ronde de la baise insouciante en pleine époque sida dans “Le Plaisir (Et Ses Petits Tracas)”, terrorisme vicelard (“Made In France”), vieillissement décadent sous Alzheimer carabiné (“Cortex”) ou encore love story impossible sur fond de religion (“La Confession”). A tel point que chacun de ses films auraient pu, naguère, faire l’objet de débats houleux aux “Dossiers De L’Ecran”, mythique émission de la télévision française des années 1960/ 90. Idem pour “Comme Un Fils”, drame urbain social qui nous plonge au coeur des sentiments humains avec tact, réalisme et sensibilité. Et sans larmoiement exagéré. Jacques Romand est un professeur dépressif au bout du rouleau. Il ne croit plus en son métier devenu de plus en plus difficile à gérer (et ce n’est pas la France de 2024 qui le contredira). Un jour, dans une petite épicerie, Romand est témoin d’une agression commise par un jeune Rom de quatorze ans. Un petit dur à cuire qui, comme beaucoup de mômes de sa génération, ne croit plus trop en rien. Et surtout pas en l’espoir utopique d’une vie à peu près correcte. Le prof, qui lui aussi est largué par les aléas de son époque, se met à s’intéresser au cas de ce rebelle en herbe. Il s’inquiète de son sort, le prend en charge comme il peut, l’héberge, tente de l’amadouer, difficilement, et surtout essaie de lui offrir un avenir meilleur. En lui apprenant à écrire et en lui inculquant des valeurs considérées aujourd’hui comme ancestrales. Voire obsolètes. Et en fait, pour le coup, un fils de substitution. D’où le titre. Aidé par son coscénariste habituel (Eric Besnard, fils de Jacques Besnard, le réalisateur du “Grand Restaurant”, un des meilleurs De Funès), Boukhrief cerne au plus près les états d’âme de cet enseignant qui retrouve enfin un sens à sa vie en exerçant à nouveau son métier. Mais cette fois comme un acte de foi absolu. Pour le bien d’un seul être humain. Car pour le réalisateur, les professeurs, sont plus que jamais “les héros du quotidien”. Surtout si on se fie à “Class 84”, série B d’anticipation des années quatre-vingt où les profs sont obligés de donner leurs cours un flingue à la main. Ce qui, en caricaturant un brin, pourrait devenir le cas dans certains établissements d’aujourd’hui. Evidemment, il fallait un acteur d’exception pour tenir ce rôle. Et qui d’autre que Vincent Lindon pour l’incarner. Si on se fie à sa filmographie de ces vingt dernières années, on sait que l’acteur est particulièrement doué pour interpréter des personnages proches du peuple (surtout dans les films de Philippe Lioret comme “Welcome” ou “Toutes Nos Envies”). Genre plutôt ouvrier que super-héros, en quelque sorte. Nicolas Boukhrief ne décolle donc jamais sa caméra de cet immense comédien pour saisir ses coups de colère et d’émotion et ses jeux de regards pleins d’empathie et d’affolement. Comme s’il scrutait littéralement les tripes et l’âme de cet homme, synthèse de tous les professeurs de France et de Navarre, désespérés de ne plus pouvoir exercer pleinement leur métier pour construire une société plus juste et plus honorable. On dit souvent de Lindon qu’il est le Jean Gabin d’aujourd’hui. Dans sa façon d’être et d’agir, les pieds bien ancrés sur terre, Lindon possède l’aura du Gabin deuxième période. Celui du “Président”, de “Mélodie En Sous-Sol”, du “Pacha” et du “Chat”.
Le voir bouger à l’écran tient de l’hypnotisme total. Compassion incluse.
Il ne faudrait pas oublier celui à qui il donne la réplique : Stefan Virgil
Stoica, jeune élève d’une école d’acteurs en Roumanie que Boukhrief est allé chercher sur place, au pays de Dracula (en salles le 6 mars)... ■