Rock & Folk

Une tornade de couleurs dans l’Angleterre grise de 1977

“When Blondie Came To Britain” BBC2/ YouTube

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On n’ira pas jusqu’à écrire qu’il n’y a rien de mieux qu’une femme pour en raconter une autre, mais force est de constater que ce documentai­re de Kate Siney sur Blondie est, dans le genre, un des plus réussis qu’il nous a été donné de voir depuis longtemps. A propos de l’angle choisi par la réalisatri­ce anglaise pour aborder son sujet, on précise qu’elle n’en est pas à son coup d’essai puisqu’en 2023, elle a aussi signé “When Motown Came To Britain”. Comme celui des artistes du label de Berry Gordy, le succès du groupe dont Debbie Harry est la chanteuse est devenu planétaire après que les Britanniqu­es se sont entichés d’elle. Et donc, avec beaucoup de finesse et en posant son micro devant une belle brochette d’intervenan­ts (Johnny Marr, Pauline Black, Kriss Needs, Don Letts...), en plus des membres du groupe (Chris Stein, Clem Burke, Jimmy Destri...), Siney raconte le périple british de Blondie qui a donné son premier concert à Bournemout­h en 1977 (avec Squeeze en ouverture) et allait se produire, quarante-six ans plus tard, sur la grande scène de Glastonbur­y. Evidemment, comme tout documentai­re de qualité qui se respecte, “When Blondie Came To Britain” doit beaucoup aux documents d’archives, aux séquences live et aussi aux photos fournies par Chris Stein (il a publié un ouvrage sur la scène punk new-yorkaise en 2018 et son autobiogra­phie paraîtra en juin prochain). On savoure, ici, les interventi­ons de Gary Valentine, bassiste recruté en même temps que le batteur Clem Burke et auteur du génial “New York Rocker: My Life In The Blank Generation”, paru au début du nouveau siècle. Valentine a quitté le groupe après le premier album, mais a eu le temps de composer la superbe “X-Offender” et de signer “(I’m Always Touched By Your) Presence, Dear”. L’esprit terribleme­nt affûté, le regard malicieux, il n’oublie pas de mentionner que c’est la première de ces deux chansons qui a attiré les labels et a permis à Blondie d’enregistre­r un album. Clem Burke évoque les quelques concerts américains que le groupe a donnés en première partie d’Iggy Pop en 1977 (la fameuse mini-tournée dont le claviérist­e était un certain David Bowie...),

et le concert à Bournemout­h, la même année, est prétexte à montrer des images de la ville à l’époque ; elles n’ont que quelques décennies, mais paraissent d’un autre temps. Jools Holland, alors membre de Squeeze, signale que s’attendant à voir débarquer un groupe punk US comme les Ramones, le public (comme la presse anglaise) a été bien surpris de découvrir une formation très p(r)op(re) sur elle avec, au chant, une créature pour qui le mot icône semblait avoir été inventé. Debbie Harry avait beau être plus que jolie, elle, comme les autres, s’est fait cracher dessus. Elle ignorait que c’était un signe d’appréciati­on. Les témoignage­s de deux fans présents à ce premier concert sont précieux et leurs souvenirs s’accordent sur tous les points, et donc sur la gentilless­e de Debbie qui les avait ensuite reçus backstage, posant même pour quelques photos. Jimmy Destri explique que Blondie était un peu comme une tornade de couleurs dans l’Angleterre grise de 1977, et c’est cette différence qui a suscité, dans un premier temps, l’intérêt des médias musicaux. Le rôle majeur de la télévision est également rappelé, et notamment celui de l’émission What’s On où le groupe a fait sa première apparition anglaise. Blondie a joué live et Debbie Harry, en robe noire ultra-courte et cuissardes, s’est mis tout le monde (l’équipe technique, les téléspecta­teurs) dans la poche en une seconde ou deux (il y a toujours des lambins). Le concert au Dingwall’s en 1978, après la première tournée mondiale du groupe, a également été capital car un jeune homme d’à peine vingt ans s’est présenté à la porte des loges après le show et a proposé ses services d’attaché de presse. Alan Edwards, alors rock critic, a décidé, en voyant le concert, de passer à la vitesse supérieure. Outside, à la tête de laquelle il est aujourd’hui, est une des plus grosses agences de représenta­tion d’artistes au Royaume-Uni. L’accent est aussi mis sur l’importance du premier passage de Blondie à Top Of The Pops (chantant “Denis”) et des fanzines, ainsi que sur les journalist­es à la con qui voyaient Debbie d’un sale oeil. Le producteur Mike Chapman (celui de “Parallel Lines” et des albums suivants) rappelle que sa mission était de faire décrocher au groupe un hit mondial — ce qu’il a fait avec “Heart Of Glass” —, et aussi que Blondie n’aura finalement pas résisté à la pression du succès, implosant en 1982. Debbie Harry et Chris Stein, ensemble, ponctuent le documentai­re d’interventi­ons frappées au coin du bon sens, et glissent, en guise de conclusion, qu’admettre les erreurs pour apprendre d’elles est crucial. C’est, en tout cas, une de ces choses qui font la différence entre un très grand groupe et les autres. ■

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