Posada sous peyotl
En préambule de “Record Art Cover” (autoproduction), Manuel Decker rappelle l’importance d’un bon visuel choc pour entrer dans l’Histoire du rock. Ainsi, comment parler du premier Velvet Underground sans citer la banane warholienne, la Butcher cover des Beatles et autre pochette stonienne à braguette incorporée. Dépassant la simple énumération généralement rencontrée dans les ouvrages liés au genre, Manuel Decker propose toute une série de thématiques qui remettent en lumière le génie des concepteurs de pochettes. Fer de lance d’une génération punk riche en talent, le collectif Bazooka aura aussi bien auréolé les disques des Stooges, Starshooter, Alain Bashung que la compilation “Skydog Commando”. Réunis dans les mêmes pages : le pop art, Jean Solé, Dali, David Stone Martin, Crumb, Toulouse-Lautrec, Vasarely, Peellaert...
Habitué des pages du “New York Times” et du “New Yorker”, Koren Shadmi délaisse les grandes figures de la culture pop pour s’intéresser cette fois au groupe le plus représentatif de la Grosse Pomme. Avec “The Velvet Underground — Dans L’Effervescence De La Warhol Factory” (La Boîte A Bulles), le dessinateur s’attarde plus particulièrement à décrypter les rouages de la mécanique complexe que formait le duo de compositeurs Lou Reed et John Cale. De leur première rencontre à la fin de l’année 1964 à l’arrivée d’Andy Warhol dans l’équation, les rapports entre ces deux accidentés de la vie sera une succession de hauts et de bas. Abonnés au succès a posteriori, ils finissent par se séparer dans la rancune la plus tenace qui soit. Entre une narration fouillée jamais rébarbative et un dessin qui colle au sujet, Shadmi ajoute un bon moment de lecture à une histoire new-yorkaise qui n’est pas près de finir.
Surfant avec bonheur sur la vogue du polar scandinave, le journaliste Nicolas Beuglet décroche le jackpot dans la seconde moitié des années 2010 avec sa trilogie dédiée aux aventures de la glaciale inspectrice norvégienne Sarah Geringën. Revisité par Pierre Makyo, “Le Cri” (Philéas) est une adaptation du premier épisode dans lequel le scénariste a choisi de se débarrasser de tous les passages susceptibles de ralentir le rythme. Dans un HP du côté d’Oslo, un suicidé avec un chiffre énigmatique scarifié sur le front attend l’inspectrice. Très rapidement, celle-ci comprend qu’il y a un os : le type s’est autant suicidé que l’ancienne soldate des forces spéciales est bonne soeur. Histoire pleine de rebondissements sur fond d’expériences de manipulation des esprits, cette BD speedée vaut aussi par le véritable tour de force réalisé par le dessinateur Laval Ng. A partir d’un choix de couleurs froides, il s’empare de l’histoire en lui imprimant sa marque à travers des successions de plans cinématographiques.
Deux ans après un “Hound Dog” d’exception, Nicolas Pegon revient avec “Le Feu
De Saint Antoine” (Réalistes), un ouvrage de poche dont le contenu graphique est le chaînon manquant entre les enluminures du Moyen-Age et la musique psychédélique des années LSD. Entièrement réalisée en couleurs fluorescentes avec une narration digne d’un riff de Hawkwind, l’ouvrage raconte les tribulations d’un religieux au XVème siècle de notre errance moderne. Alors que sa foi est violemment prise à partie par le doute, notre bon moine-boulanger se retrouve dans le pétrin après avoir utilisé de la farine contaminée par un champignon riche en substances hallucinogènes. Alors que le brave homme espérait un signe de Dieu, il se retrouve en communication avec Antoine, un psychonaute de maintenant qui l’invite à venir contempler le linoléum de sa cuisine pour se détendre. C’est le début d’un dialogue entre deux personnes aux idées diamétralement opposées mais qui arrivent à discuter sans échanger de coups. Totalement, cette BD courte inspirée par Posada sous peyotl est une expérimentation visuelle qui dépasse le cadre habituel de la BD conventionnel. ■